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Les «unschoolers», ces enfants qui ne vont pas à l'école

Les «unschoolers», ces enfants qui ne vont pas à l'école
Radio-Canada

Ils ne vont pas en classe, ne font pas l'école à la maison, ne passent pas d'examens et choisissent eux-mêmes ce qu'ils veulent apprendre. Ce sont des unschoolers, ou des enfants non scolarisés. Ils seraient des milliers au Canada. Incursion dans l'univers de ces familles qui croient en un autre modèle d’éducation.

Un reportage de Laurence Martin et Valérie Ouellet

Assise à la table de la cuisine, Zoéanne, 5 ans, dessine des formes qui ressemblent à des lettres, dans un petit carnet. Son frère Justin, 10 ans, vient s’asseoir près d’elle et se met à fredonner des lettres de l’alphabet pour l’aider : « A-B-C….»

Au sous-sol, Mathieu, 15 ans, interprète au piano la trame sonore d’un film japonais, pendant que son grand frère Alexandre s’adonne à sa passion : la peinture. Concentré devant un jeu de société, Zavier passe presque inaperçu tellement il est silencieux.

Dans la cuisine, Lynn prépare le repas, pendant que ses cinq enfants apprennent ce qu’ils veulent, quand ils le veulent. Pas d’école, pas de devoirs, pas de leçons... et pas de règles.

Bienvenue dans le monde du unschooling ou de la non-scolarisation, une façon d’apprendre centrée sur les désirs de l’enfant.

Le parent comme guide

Le terme unschooling a été popularisé dans les années 1970 par le chercheur et enseignant américain John Caldwell Holt.

Les parents unschoolers croient que tous les enfants ont naturellement le goût d’apprendre. Selon eux, les jeunes qui choisissent ce qu’ils veulent découvrir, à leur rythme, font des apprentissages plus valorisants et plus significatifs.

Avant même sa première grossesse, Lynn Dubien avait déjà décidé que ses enfants n’iraient jamais s’asseoir sur des bancs d’école. Pour elle, comme pour un très grand nombre de familles qui font ce choix, le unschooling n’a rien à voir avec des croyances religieuses.

« La non-scolarisation, c'est le respect et la confiance. [...] C’est vraiment laisser l’enfant diriger son propre apprentissage. Ils savent ce qu’ils veulent apprendre, ils savent ce qu’ils aiment et c'est à nous de les laisser faire, ils sont capables. » - Lynn Dubien

Contrairement aux parents qui font l’école à la maison - et donc qui se transforment en enseignants pendant la journée -, Lynn décrit son rôle « un peu comme un guide [...]. Je les encourage, je leur suggère des activités, mais ce sont eux qui dirigent leur apprentissage, ça vient d'eux. »

Pas deux journées pareilles

Dans les familles qui font du unschooling, chaque jour est différent et difficile à prévoir. L’étude des oiseaux, des insectes, de l’astronomie, le jardinage ou encore les promenades en forêt... la liste des activités est très variable dans la famille Dubien.

Lors de notre visite, Mathieu, 15 ans, venait tout juste d’apprendre par lui-même à jouer du piano en deux jours, après avoir trouvé un vieux clavier dans le sous-sol et regardé des vidéos sur Internet.

« Je pense que j'ai appris aussi vite parce que c'est amusant. Puis j’avais toute la journée pour apprendre. »

- Mathieu Dubien, 15 ans, non scolarisé

Sa mère abonde dans le même sens. « Quand on fait un casse-tête, [on apprend] les formes, les couleurs. Pour les petits, faire des biscuits, c'est des fractions, des mathématiques. Tous les sujets sont là dans la vie de tous les jours. On n'est pas obligé de s'asseoir à une table pour les trouver », dit-elle.

Mais certains choix d'activités, comme les jeux vidéo, préoccupent Lynn. « Quand je les vois jouer pendant deux heures, ça me stresse énormément », dit-elle. Heureusement, elle ajoute qu'ils ne jouent pas toute la journée et qu’ils ont tous d’autres intérêts.

Chacun de ses enfants lui a demandé de l’aide pour apprendre à lire, à écrire et à compter. Tous à des âges différents.

« Ça n’a aucune importance qu'ils apprennent à lire à 5 ans ou à 13 ans. J'ai connu des gens qui faisaient de la non-scolarisation, où l'enfant a appris à 13 ans et maintenant, il n’arrête pas de lire », dit-elle.

Lynn Dubien ne s’en cache pas : ses enfants n’apprennent pas les mêmes matières qu’à l’école traditionnelle. Mais à son avis, ils sont plus curieux, plus débrouillards et plus calmes que leurs amis qui passent leurs journées en classe.

« Le théorème de Pythagore, est-ce qu’on en a vraiment besoin du théorème de Pythagore? Quand ils vont en avoir besoin, ils vont aller trouver une réponse. [La non-scolarisation], ça donne des enfants qui se débrouillent. » - Lynn Dubien

Lynn souligne tout de même qu’il existe des règles dans sa maison. Il y a des heures de repas, de coucher, et chaque enfant a des tâches ménagères à faire.

Et la socialisation dans tout ça?

Quand on est parent de unschoolers, la question de la « socialisation » revient tout le temps. Beaucoup se demandent si les enfants ont des amis et si, à l’âge adulte, ils seront capables d'interagir en société.

Lynn croit que oui et souligne que ce n’est pas parce qu’on est non scolarisé qu’on ne fait pas d’activités à l’extérieur. Zoéanne, par exemple, prend des cours de gymnastique, alors que Mathieu fait partie d’une équipe de hockey. Ses enfants ont des amis d’âges différents, explique Lynn, contrairement à ceux qui vont à l’école.

À 17 ans, Alexandre interagit souvent avec des adultes au quotidien. Il admet que ça n’a pas toujours été facile de se faire des amis de son âge, parce qu’il était souvent à la maison.

« Quand on est unschooler, il faut vraiment aller à la rencontre des gens, se trouver des activités, faire des efforts de plus pour avoir des amis. » - Alexandre, 17 ans, non scolarisé

Bien des parents qui font l’école à la maison ou du unschooling ont aussi tout un réseau et se regroupent parfois entre eux pour faire des activités.

Le unschooling, est-ce légal?

Est-il légal de garder ses enfants à la maison et de les laisser contrôler leur propre éducation, sans les obliger à suivre le programme scolaire officiel?

Vérification faite : presque partout au Canada, oui. Au Québec, c’est une zone grise.

Dans toutes les provinces canadiennes - sauf l’Ontario -, les parents qui gardent leurs enfants à la maison doivent en informer une commission scolaire ou le ministère de l’Éducation. En Ontario, c’est recommandé, mais pas obligatoire.

Partout sauf au Québec, les parents qui n'envoient pas leurs enfants à l'école sont libres de choisir le programme éducatif qui leur convient.

Certaines provinces demandent à voir un rapport annuel sur les progrès de l’enfant, mais la méthode d’évaluation varie beaucoup d’un endroit à l’autre.

Des enfants souvent invisibles

Le ministère de l’Éducation du Québec a refusé de nous accorder une entrevue sur le sujet. Dans un courriel, un porte-parole explique toutefois que l’enfant qui reste à la maison doit recevoir une éducation jugée « équivalente » à celle qui est offerte à l’école.

« Le parent peut varier les approches pédagogiques », ajoute-t-il, mais l’expérience éducative vécue à la maison doit permettre à l’enfant « d’atteindre les mêmes compétences que l’élève qui fréquente une école. »

Le hic, c’est que c’est aux commissions scolaires d’évaluer si les « expériences éducatives » sont équivalentes. Et les politiques d’évaluation varient beaucoup d’une commission à l’autre.

Par exemple, la Commission scolaire de Montréal (CSDM) explique « qu’elle ne pourrait pas approuver le unschooling comme méthode éducative », alors que du côté de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, toujours à Montréal, on affirme que, lorsqu’il est question d’éducation à la maison, « les parents ont quand même une grande marge de manoeuvre. [...] Si l’enfant se présente et se développe bien, on va continuer l’entente. »

Si l’éducation offerte n’est pas jugée équivalente à celle donnée à l’école et que le parent refuse de faire des changements, la commission scolaire peut signaler le cas à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ).

Sauf que le mandat de la DPJ n’est pas d’évaluer des programmes d’éducation, mais plutôt de s’assurer du bien-être d’un enfant et de veiller à ce qu’il n’y ait pas de négligence, comme le souligne Christine Brabant, professeure et chercheuse en pratiques d’éducation alternatives à l'Université de Montréal.

« Dans 99 % des cas, [...] comme ça ne relève pas de leur mandat, la DPJ ferme le dossier. Malheureusement, parfois, il n'y a pas de relance, ni du côté de la famille ni du côté de la commission scolaire, alors c'est tout simplement une rupture des liens », dit-elle.

Nous avons parlé à une famille de « unschoolers » qui a eu affaire à la DPJ il y a quelques années, au Québec. La mère croit que c’est un voisin qui a constaté que ses enfants n’allaient pas à l’école et a émis un signalement. Après une rencontre de deux heures, elle nous a raconté que l’intervenant a fermé le dossier.

À l’époque, cette famille n’était pas enregistrée auprès d’une commission scolaire. Selon plusieurs experts, ce serait le cas de la majorité des enfants non scolarisés, ce qui en fait des jeunes invisibles aux yeux de l’État. Un phénomène qui inquiète la professeure Christine Brabant.

« Même si on peut présumer que la majorité des familles font un beau projet éducatif, ça peut inquiéter. [On peut se demander] s'il n'y a pas ici aussi quelques cas d'enfants qui n'ont pas l'éducation à laquelle ils auraient droit. » - Christine Brabant, professeure en éducation à l'Université de Montréal

Selon Annie-Claude Bibeau, du Centre jeunesse Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal, il est « très rare » que la Direction de la protection de la jeunesse soit impliquée dans des cas de unschooling.

« Le responsable de l'instruction des enfants, c'est le ministère [de l'Éducation], qui est régi par la Loi sur l'instruction publique. Nous, on doit intervenir quand on pense que la sécurité et le développement de l'enfant sont compromis. Nos mandats ne sont pas les mêmes. »

Si un signalement est émis, explique-t-elle, la DPJ tiendra compte de l'âge de l'enfant et de la volonté des parents à collaborer avec une commission scolaire.

Combien d’enfants sont non scolarisés au Canada?

Il est très difficile de savoir exactement combien de familles font du unschooling parce qu’un grand nombre d’enfants non scolarisés ne sont pas inscrits auprès d’une commission scolaire ou du gouvernement.

D’ailleurs, aucune province n’était en mesure de nous fournir de chiffres.

Plusieurs chercheurs spécialisés en pédagogie alternative estiment qu’environ 1 enfant sur 10 éduqué à la maison serait en fait non scolarisé.

En 2013-2014, environ 26 000 jeunes au Canada étaient enregistrés comme « enfants éduqués à la maison ». Il y aurait donc facilement des milliers d'enfants non scolarisés au pays, mais leur nombre réel est probablement plus élevé.

Quel avenir pour les enfants non scolarisés?

À 17 ans, Alexandre, l’aîné des Dubien, a déjà une idée de la carrière qu’il aimerait avoir.

Depuis plusieurs années, il se consacre entièrement à sa passion : la peinture. À l’âge où la plupart des adolescents trouvent leur premier emploi, il a décroché une bourse de jeune entrepreneur et travaille à l’organisation d’un festival artistique cet automne.

« Est-ce que je me sens différent? Oui, un peu. Les autres enfants, ils se réveillent le matin, ils ont toujours la même routine et doivent aller à l’école, même s’ils n’en ont pas envie. Moi, je me réveille et je suis exactement où j’ai envie d’être. » - Alexandre, 17 ans, jeune non scolarisé

L’aspect du unschooling qu’il aime le plus, c’est de pouvoir passer autant de temps qu’il veut à peindre, plutôt que d’avoir un cours d’art seulement une heure par jour. À son avis, jamais il n’aurait pu développer une technique aussi avancée s’il était allé à l’école traditionnelle.

Loin d’avoir honte d’être non scolarisé, il se dit fier de son éducation et bien dans sa peau, peut-être un peu plus que l’adolescent moyen au secondaire.

« Oui j’ai des amis et oui je peux trouver un emploi », explique-t-il. « [Quand je serai adulte], si quelque chose me passionne, je vais simplement retourner à l’école, étudier, et je vais y arriver. Certaines personnes ne comprennent pas ça, parce que tout ce qu’ils connaissent, c’est ce qu’on leur a enseigné à l’école traditionnelle. »

Lynn, elle, souhaite que ses enfants deviennent « des adultes heureux, des gens qui vont pouvoir suivre leurs passions et se débrouiller ».

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