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Bienvenue aux élections américano-mexicaines

Bienvenue aux élections américano-mexicaines

"El Norte", surnom que les Mexicains donnent aux États-Unis, est victime de l'une de ses attaques récurrentes de xénophobie vis-à-vis des immigrés, une population qui est pourtant l'essence même de ce pays et le fait prospérer.

WASHINGTON ― Dans un premier temps, Donald Trump promet de faire construire une "grande muraille" le long des 3 141 kilomètres de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, et assure que le Mexique devra en assumer les frais. Dans un second temps, l'ex-président mexicain Vicente Fox jure que son pays ne financera jamais un "mur à la con", tandis que son successeur, Enrique Peña Nieto, compare la réthorique "démagogique" du candidat américain à celle d'Hitler et de Mussolini.

Pour ne pas être en reste, Hillary Clinton traite son adversaire de petit dictateur raciste, notamment parce qu'il a qualifié les immigrés mexicains de criminels, de dealers et de violeurs.

La seule présence d'une salade de tacos dans un tweet fait même figure de moment clé de la campagne. Donald Trump a-t-il vraiment voulu, en toute innocence, célébrer la culture mexicaine le 5 mai en se faisant photographier devant des tacos, ou bien en a-t-il profité pour narguer ses critiques? (Comme je l'ai démontré, son message n'avait rien d'innocent.)

Tout ceci n'était que le prologue d'un mélodrame politique américain.

Mercredi, alors que la campagne devient de plus en plus étrange, Donald Trump s'est envolé pour Mexico City. A la traîne dans les sondages, il partait rencontrer Enrique Peña Nieto qui, avec 23% d'opinions favorables, a tout aussi soif de respect que lui.

Le président mexicain avait également invité Hillary Clinton à lui rendre visite, mais elle a sagement décidé de s'abstenir afin d'observer sereinement le spectacle de deux hommes essayant tant bien que mal de faire abstraction d'une année de propos assassins, dans une surenchère que l'on n'avait pas connue depuis que le général Santa Anna a assiégé l'Alamo.

Bien entendu, les Mexicains ne participeront pas à l'élection présidentielle américaine. Mais, cette année, ils jouent un rôle essentiel dans la campagne, au point d'engendrer des tensions entre les deux pays. Quitte à faire preuve d'humour noir, il faut signaler que lorsque le Mexique est au cœur des débats, c'est souvent le signe que les Etats-Unis ont perdu la boule.

Quand les Américains se rendront aux urnes, début novembre, ils éliront un nouveau président (et un nouveau congrès) mais ils ouvriront aussi un nouveau chapitre dans la relation conflictuelle qu'entretiennent les Etats-Unis et le Mexique. Une relation qui passe par une révolution au Texas et des conflits en Nouvelle-Espagne au XIXe siècle, et par une guerre commerciale à la fin du siècle dernier.

Cette année, Américains d'origine mexicaine qui vivent et votent dans certains Etats clés pourraient bien décider de l'issue de la course à la présidence.

La politique en matière d'immigration mexicaine en dépend, dans une période où les Etats-Unis traversent une de leurs nombreuses crises de xénophobie, alimentée par des préoccupations sécuritaires et un taux record d'immigration, en provenance de tous les pays du monde.

On peut facilement identifier le moment où le Mexique est devenu le thème principal de la campagne présidentielle de 2016.

Le 16 juin 2015, un homme grassouillet aux cheveux oranges a pris un escalator doré jusqu'au rez-de-chaussée de la tour de bureaux qui porte son nom sur la 5e avenue, à New York. Entouré de caméras de télévision et de marbre rose, il a annoncé sa candidature à l'élection présidentielle américaine... et révélé sa vendetta contre le Mexique et ses habitants.

Ce jour-là, M. Trump a déclaré que le Mexique nous "envoyait" des gens "à problèmes. Des dealers, des criminels, des violeurs".

La solution, selon lui, était de retrouver et d'expulser rapidement les quelque 11 millions de sans-papiers qui résident aux Etats-Unis (dont plusieurs millions de Mexicains), et de construire un mur haut comme un immeuble de trois étages le long de la frontière. Il obligerait le Mexique à financer ce mur, a-t-il ajouté, en menaçant de geler les transferts de fonds des immigrants mexicains.

Sa candidature a d'abord été prise de haut, une mascarade, fruit du narcissisme d'une star de la téléréalité doublée d'un magnat immobilier aux pratiques louches, l'expression des relents paranoïaques des partis extrémistes américains.

Mais cette rhétorique incendiaire a fini par faire de M. Trump le porte-drapeau du parti républicain. Il affronte aujourd'hui Hillary Clinton, chef de file démocrate et véritable marque politique, forte de dizaines d'années d'expérience et de réseautage.

Pourtant, la stratégie qu'il a employée avec succès au cours des primaires menace aujourd'hui de lui faire perdre les élections.

Il est distancé dans les sondages, et il perd du terrain dans plusieurs Etats clés où il doit absolument l'emporter s'il veut obtenir le plus de grands électeurs. Le 30 août, le New York Times estimait qu'il avait à peine 12% de chances d'être élu.

S'il est vrai que l'immigration est encore dans le top cinq des problèmes cités par les Américains, 72% souhaitent permettre aux sans-papiers d'être régularisés. Seuls 38% soutiennent le projet de construction d'un mur à la frontière mexicaine.

Ces chiffres sont importants à plusieurs titres, et ils augurent très mal des chances des Républicains.

D'abord, les Latinos en général, et les Mexicains en particulier, sont la minorité la plus nombreuse aux Etats-Unis aujourd'hui. Ils représentent 60 millions de personnes, dont 35 millions se disent d'origine mexicaine.

Ensuite, la moitié des quelque 11,5 millions de sans-papiers sont Mexicains.

Quand Donald Trump calomnie les immigrés mexicains, il attaque donc un nombre beaucoup plus conséquent - et très influent - de citoyens américains.

Ca ne l'aidera vraiment pas à obtenir leurs suffrages.

On estime que pour être élu président, le candidat républicain doit remporter au moins 40% des suffrages latinos. George W. Bush, qui avait obtenu de justesse un second mandat en 2004, avait remporté l'adhésion de 44% de cette population. En 2008, le sénateur John McCain n'en avait convaincu que 30%, et il avait perdu. Idem pour Mitt Romney en 2012, avec 27%.

"A l'heure actuelle, il semble que Donald Trump soit sur le point d'établir un nouveau record à la baisse, avec 25% seulement d'intentions de vote des électeurs latinos", explique Simon Rosenberg du New Democratic Network, un think tank spécialisé dans les questions d'immigration.

En mai, quand le candidat était sur le point de décrocher la nomination du parti républicain, le directeur de sa campagne, Paul Manafort, avait balayé l'idée qu'il lui serait nécessaire de faire aussi bien que George W. Bush auprès de cette frange de la population.

Etant donné que la plupart des Latinos, et notamment des Mexicains, vivent dans des Etats comme la Californie, New York et le Texas ― qui ne sont pas disputés lors des élections ―, la moyenne nationale importe peu, m'avait-il affirmé. Ce qui compte, c'est que Donald Trump séduise la population latino dans les Etats où elle est moins nombreuse, et où, selon lui, ces électeurs seront moins tentés de voter en fonction de leur appartenance à telle ou telle minorité, et moins ouverts aux arguments des militants latinos du parti démocrate.

M. Manafort a depuis été remercié, et son successeur sait que M. Trump continuera à rebuter les Latinos - et l'électorat modéré en général - s'il persiste à tenir un discours radical sur les questions d'immigration.

Depuis deux semaines, le candidat tente donc de mettre de l'eau dans son vin, ou de dissimuler ses prises de positions passées.

Il n'a en tout cas pas changé d'avis sur la question du mur. Ni sur l'idée d'obliger le Mexique à financer ce projet. Ni sur sa volonté supposée de trouver et d'expulser "immédiatement" les "mauvais" sans-papiers, notamment ceux qui ont déjà eu affaire avec la loi. Mais il a cessé d'attaquer - et d'évoquer - Gonzalo Curiel, un juge fédéral américain qu'il jugeait partial à son égard dans la mesure où ses parents étaient des immigrants mexicains.

Il affirme même qu'il a de la sympathie pour les sans-papiers qui résident aux Etats-Unis depuis des années et qui travaillent sans causer de problèmes.

Les électeurs qu'il rencontre dans ses meetings l'ont fait changer d'avis, poursuit-il.

"Ils me disent, 'M. Trump, je vous adore, mais je trouve que c'est un peu dur d'expulser une famille qui vit ici depuis quinze ou vingt ans'", a-t-il déclaré la semaine dernière.

Il semble peu probable que M. Trump ait réellement changé d'avis. Sa nouvelle équipe de campagne a sans doute analysé les données démographiques et constaté qu'il avait vraiment besoin des Latinos dans plusieurs Etats du pays s'il voulait l'emporter.

Pendant que le candidat "nuance" ses propos, Hillary Clinton continue, elle, à démontrer qu'elle souhaite faciliter "l'accession à la citoyenneté" des sans-papiers. Elle poursuit aussi consciencieusement - certains diront de manière obsessionnelle - ses efforts pour séduire les électeurs latino lors de ses déplacements.

Le colistier qu'elle s'est choisi, Tim Kaine, gouverneur de l'Etat de Virginie (où l'élection pourrait être serrée), parle couramment espagnol. Il est également catholique, comme les deux tiers des Mexicains-Américains, et il a travaillé plusieurs années en Amérique latine, qu'il a parcourue de long en large.

Tandis qu'elle prépare la victoire qu'elle appelle de ses vœux, elle a également demandé à Ken Salazar, ex-ministre de la justice du Colorado, ex-sénateur et ex-ministre de l'intérieur, de préparer la transition avec l'administration de Barack Obama.

M. Salazar est, lui aussi, d'origine mexicaine. Sauf que sa famille a émigré d'Espagne vers la Nouvelle-Espagne il y a environ quatre siècles.

Howard Fineman est le directeur éditorial du Huffington Post Media Group. Cet article a été écrit à l'occasion du lancement du Huffington Post mexicain, le 1er septembre. Lisez-le en espagnol en cliquant ici. Publié à l'origine sur le Huffington Post américain, il a été traduit par Bamiyan Shiff pour Fast for Word.

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