Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

«Oscar De Profundis»: la surprise apocalyptique de Catherine Mavrikakis (ENTREVUE)

«Oscar De Profundis»: la surprise apocalyptique de Catherine Mavrikakis (ENTREVUE)

Les astres s’éloignent de la Terre, pressés de mettre à distance un monde où sévissent la famine, les meurtres gratuits, le cannibalisme et une peste noire qui, une grande ville à la fois, anéantit les crève-la-faim. À une époque où les pays souverains font figure d’exceptions, l’État mondial ne fait rien pour corriger la situation. Les médias ferment les yeux. Et le désespoir galope de frontière en frontière. Jusqu’à ce que Cate, l’un des leaders des gueux montréalais, entreprenne un mouvement de révolte qui pourrait causer préjudice à Oscar De Profundis, la plus grande star internationale revenue dans sa vie natale à contrecœur.

En publiant sa première dystopie apocalyptique, Catherine Mavrikakis surprendra certainement ceux qui l’ont découverte en lisant Les Derniers Jours de Smokey Nelson ou Le Ciel de Bay City. Pourtant, cette incursion dans la littérature de genre est tout sauf surprenante pour l’écrivaine. «Je lis énormément de textes fantastiques et de romans d’anticipation, donc je savais que j’en écrirais un éventuellement», souligne-t-elle.

Professeure en littérature et en création littéraire à l’Université de Montréal, elle était particulièrement consciente des pièges du genre dystopique. «Souvent, ces auteurs sont trop essayistes: ils veulent nous démontrer ce que la société deviendra avec un style trop didactique. Je préfère l’anticipation très mystérieuse et un style romanesque. Mais ce n’est pas évident pour moi. Avec ma formation universitaire, que je le veuille ou non, j’ai une méfiance narrative. Je préfère habituellement le formalisme, le poétique et l’écriture déconstruite. Quand j’écris mes romans, je dois donc faire une brisure avec une certaine modernité intellectuelle.»

Glauque et gris

Contrairement aux auteurs du genre qui ne se gênent pas pour pointer du doigt les dérives du monde actuel, Mavrikakis ne tenait pas à prendre position. «Je voulais installer un brouillard entre le bien et le mal, plutôt que d’insuffler une charge messianique qui prétend aider les gens à changer. Je voulais juste que ça nous trouble, que les choses ne soient pas claires et qu’une atmosphère glauque soit maintenue. Pas uniquement grâce aux personnages, mais grâce à la ville elle-même. »

Extrait:

«La cité semblait avoir été battue à mort par la pauvreté et l’abandon. Au pied des vieux quartiers, le fleuve de novembre s’étalait comme un long ennui, moche et sale. Et la colline autour de laquelle s’était organisée, depuis la fondation de la cité, la vie fébrile, quotidienne, semblait réduite à n’être qu’un grand cimetière des joies anciennes et pétrifiées.»

Ce lieu défraichi est Montréal, une ville au double discours aux yeux de l’écrivaine. «Montréal, c’est le développement, le cosmopolitisme et la foi au changement, tout en ayant un côté désagrégé et apocalyptique. On ressent une ouverture et une effervescence dans la ville, mais les autoroutes sont rongées par l’usure et le mobilier urbain est vieux.»

Surtout, n’imaginez pas qu’elle a campé l’histoire dans un lieu que ses lecteurs connaissent pour les interpeller davantage. «Je suis une grande égoïste qui ne pense jamais aux lecteurs. L’histoire devait avoir lieu dans la ville que je connais, le Montréal des sans-abris et d’une certaine dureté qu’on oublie parfois. De nos jours, la violence ne se reflète pas tant dans le taux de criminalité que dans notre indifférence à la pauvreté. Quand on sort, on se ferme les yeux.»

La révolte des oubliés

Parmi les laissés pour compte, une femme rêve de faire basculer l’ordre des choses et d’envoyer un message aux miséreux des quatre coins de la planète: l’État mondial ne pourra pas se débarrasser d’eux sans une lutte âprement livrée. Plus érudite que les autres, Cate est instinctivement perçue comme un leader.

«Elle a un charisme qui pousse les autres à avoir foi en elle. Elle en sait plus que les autres… ou eux croient qu’elle en sait plus. Elle incarne une petite loi et protège les siens dans un système presque mafieux, où l’on ferme les yeux sur certains meurtres.»

Dans un monde chaotique, sans morale et, certains diront, sans espoir, Cate ose rêver de révolution. «Elle ne croit pas vraiment à la révolte, mais le fait quand même. Ses acolytes lui sont fidèles, sans pour autant être menés par elle. Ils espèrent croire avec elle. Ils ont besoin de croire que le monde a un sens.»

Une vedette bien de chez nous

Déterminée, Cate élaborera un plan impliquant un être assez connu pour suscité l’intérêt du monde entier, Oscar De Profundis, le chanteur le plus populaire de la planète, dépendant aux médicaments et aux jolis corps masculins, dont le retour en terre natale le plonge dans une vague de souvenirs tragiques.

«Oscar est à la fois attachant et insupportable. C’est un personnage un peu fou qui ne voit pas la réalité. Même s’il fait partie du capital destructeur, il essaie de sauver la culture, un peu malgré lui. Il est obscène avec son argent, mais il agit quand même comme un mécène.»

Fasciné par Oscar Wilde et par le poème de Baudelaire «De Profundis Clamavi», la vedette tient la culture en très haute estime, dans un monde où le français a depuis longtemps été englouti par la culture mondiale. Il construit des bibliothèques, sauve des livres et achète les tombes de plusieurs grands de ce monde pour les rassembler dans des mausolées.

Rapidement, les lecteurs comprendront que la leader des exclus et le symbole de la luxure ont plus d’une chose en commun.

«Ce sont deux personnes malades de la vie. Cate, on ne sait pas tout à fait ce qu’elle a vécu, mais quelque chose en elle s’est brisé sans totalement se réparer. Et Oscar consomme la culture, la drogue et le sexe pour oublier. Inconsciemment, les deux veulent se rétablir. Cate a un horizon politique et espère changer le monde. Mais Oscar, en tant que cynique, a décidé que le monde tirait à sa vie. Sauf que… le seul espoir vient peut-être de ceux qui font les choses par hasard. C’est un peu désespéré dans mon roman. Il y a un pessimisme de l’action.»

Oscar De Profundis sera en librairies dès le 31 août 2016.

INOLTRE SU HUFFPOST

Carnets du métro de Montréal

10 livres québécois – beaux et originaux – à offrir en cadeau

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.