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Des blindés canadiens dans la guerre au Soudan du Sud

Des blindés canadiens dans la guerre au Soudan du Sud

Une compagnie canadienne pourrait avoir manipulé de la documentation dans le but de vendre des dizaines de véhicules blindés au Soudan du Sud, a appris CBC.

Par l'entremise de son usine aux Émirats arabes unis, la société Streit Group a exporté 173 véhicules Cougar Typhoon, utilisés pour le transport de troupes, au Soudan du Sud en 2014. Cette transaction a récemment été critiquée par un comité des Nations unies chargé de faire le suivi de sanctions concernant des armes imposées à différents individus de cet État d'Afrique orientale.

Des documents obtenus par CBC, qui incluent des reçus de livraisons et des certifications, montrent que les véhicules étaient destinés aux services policiers du ministère sud-soudanais de l'Intérieur.

Cependant, des photos révèlent que les véhicules, aux couleurs camouflage, ont été équipés de mitrailleuses et sont utilisés par l'armée. Ces clichés seraient également entre les mains des enquêteurs des Nations unies.

Or, rappelent les organismes des droits de la personne consultés par la CBC, une telle pratique constitue une violation du droit international et engage la responsabilité du Canada.

Le gouvernement fédéral reconnaît qu'il a l'obligation de tenir compte de l'usage qui est fait de l'équipement que le Canada vend à l'étranger. Selon des rapports d'Affaires mondiales Canada, une « attention particulière » doit être accordée aux « documents expliquant l'utilisation finale » de l'équipement afin de s'assurer que les produits exportés sont destinés à un utilisateur qui en fera l'usage prévu et qu'ils ne seront pas détournés de leur fin.

La plupart du temps, l'attention du gouvernement se porte sur de l'équipement militaire fabriqué au Canada. La loi sur l'exportation ne prévoit toutefois rien sur l'équipement construit à l'extérieur du pays.

L'armée a approuvé les permis

Paul Champ, un avocat international des droits de l'homme, croit qu'il est légitime de se demander si cette transaction faite par Streit en 2014 viole les sanctions imposées par le Canada et les Nations unies. Il faudrait savoir, pour cela, quand les véhicules ont été livrés au Soudan du Sud.

La guerre, qui a été ponctuée de rapports faisant état de violences contre les civils, a commencé en 2013, à la suite d'une lutte de pouvoir entre le président du pays et l'ex-vice-président Riek Machar. La guerre s'est déroulée de manière intermittente, au gré des interventions de la communauté internationale pour établir des accords de paix entre les différentes parties.

La pratique de « détournement » a le potentiel – de même qu'une transaction totalisant 15 milliards de dollars pour la vente de blindés en Arabie saoudite –, de ternir l'image du gouvernement Trudeau et de nuire à la candidature éventuelle du Canada pour l'obtention d'un siège non permanent au Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies (ONU), estime l'expert en droits de la personne.

Les ventes ont été approuvées en trois temps, soit en janvier, en mars et en août 2014, par le général-major Akol Koor Kuc et non par le ministère de l'Intérieur du Soudan du Sud.

Luuk van de Vondervoort, un ancien employé de l'ONU, qui a aidé à rédiger le rapport critiquant Streit, soutient que la transaction aurait dû sonner l'alarme à propos de la compagnie canadienne, qui possède des usines de fabrication à Innisfil en Ontario.

Il avance que Streit, qui appartient à Guerman Goutorov, un homme d'affaires canadien, avait la responsabilité de s'assurer que les véhicules ne seraient pas vendus s'il planait un risque quant à leur utilisation pour commettre des crimes contre l'humanité.

« C'est très clair que ces véhicules ont contribué à la guerre », a expliqué M. van Vondervoot.

Alors que les Nations unies n'ont pas commenté officiellement l'utilisation des véhicules dans leur rapport, CBC a obtenu des photos exclusives témoignant de leur usage pendant des combats qui se sont tenus, entre autres, dans l'État d'Unité où les affrontements ont atteint leur point culminant.

L'Armée de la libération du peuple du Soudan a été accusée d'abus horribles et d'avoir mené une campagne de « terre brûlée » en abattant et en terrorisant des civils à partir de l'année 2013.

Le groupe armé a négocié et brisé deux trêves en 2014, et le massacre de 200 civils a été signalé dans la ville de Bentiu au printemps de cette année-là.

Un fragile accord de paix a été signé l'année dernière, mais des combats ont éclaté à nouveau le mois dernier dans la capitale Juba, où au moins 300 civils ont été tués.

L'ONU rapporte également que 900 000 personnes ont fui le pays depuis le début de la guerre.

Streit Group n'a pas souhaité commenter après plusieurs demandes.

Des véhicules fabriqués et expédiés des Émirats arabes unis

Dans sa première réponse au rapport de l'ONU, Affaires mondiales Canada soutient que Streit Group n'a pas enfreint la loi canadienne parce que les véhicules blindés étaient fabriqués et expédiés par une succursale de l'entreprise aux Émirats arabes unis, ce qui situe la vente à l'extérieur du cadre réglementaire sur l'exportation d'armes du gouvernement fédéral.

Il a fallu près d'une semaine avant d'obtenir une réponse de la part de l'organisation fédérale.

« Nous prenons ce problème très au sérieux », affirme le porte-parole François Lasalle, qui rappelle la décision récente du gouvernement de ratifier le Traité sur le commerce des armes, qui permettra d'assurer « plus de rigueur, de transparence dans le contrôle du système d'exportations canadiennes ». La législation entrera en vigueur à l'automne.

Affaires mondiales Canada n'a pas voulu dire ce que connaissait le gouvernement de l'affaire Streit ni à quel moment elle en été informée. Les fonctionnaires fédéraux n'ont pas répondu aux allégations suivant lesquelles la vente de véhicules violait les sanctions imposées.

Cesar Jaramillo, le directeur général de l'organisme de recherche sur la paix Project Ploughshares, estime que le gouvernement tente de se déresponsabiliser parce que les véhicules n'étaient pas fabriqués et exportés depuis le Canada.

Cette attitude envoie, selon lui, aux compagnies canadiennes le message qu'elles peuvent faire n'importe quoi une fois à l'étranger.

Des brèches à refermer

L'affaire devrait, selon lui, faire l'objet d'une enquête fédérale et le gouvernement libéral devrait refermer la brèche qui permet aux compagnies canadiennes de contourner les restrictions sur l'exportation des armes en créant des entités étrangères.

« C'est le moment pour les gouvernements occidentaux, qui représentent souvent les plus grands exportateurs d'armes dans le monde, d'assumer cette responsabilité pour les conséquences que peut avoir l'exportation de ces armes dans les pays enlisés dans des conflits ou qui subissent des violations massives des droits de l'homme », ajoute-t-il.

Luuk van de Vondervoort rejette l'argument du gouvernement. Il soutient qu'en Europe, pour la même situation, le propriétaire de l'entreprise serait considéré comme responsable, à tout le moins de violations de sanctions.

Le Canada a suivi les traces des Nations unies en 2014 en imposant des sanctions aux individus soupçonnés d'être responsables de la guerre civile sanglante au Soudan du Sud.

« Une question qui mérite d'être étudiée »

Paul Champ, un avocat international des droits de l'homme, soutient que si l'un des véhicules ou même une pièce de rechange a été livré après l'imposition de sanctions par le gouvernement conservateur le 24 octobre 2014, Streit Group pourrait faire l'objet de poursuites en vertu du droit canadien, peu importe le lieu de fabrication.

Les documents obtenus par la CBC indiquent que Streit Group soutient que la dernière livraison a eu lieu en août 2014, juste deux mois avant l'entrée en vigueur de la restriction canadienne.

« La question est de savoir si, en raison de l'écart de temps, on considérera une violation ou non de la loi canadienne, puisque la livraison des véhicules par Streit Group se produit à la date limite, dit-il. On peut clairement défendre un cas d'aveuglement volontaire. »

Mais étant donné le possible détournement de véhicules effectué par la compagnie, sa crédibilité pourrait être écorchée, surtout en regard de la date de l'entente.

« C'est une question qui mérite d'être étudiée », croit-il.

« Tout le monde était au courant de l'escalade de violence au Soudan du Sud en 2013, qui s'est transformée en véritable guerre civile au mois de décembre de la même année. Le fait que ces véhicules blindés ont été vendus au printemps 2014, en plein milieu d'une guerre civile brutale – l'une des guerres civiles les plus sanglantes - je pense que ça soulève de vraies questions. »

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