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Des mères s'insurgent contre le recrutement de jeunes par des islamistes

Ces mères qui s'insurgent contre les islamistes

En France, une association de femmes lance un cri d'alarme contre l'embrigadement des jeunes par des groupes islamistes.

Un texte de Sylvain Desjardins

La Brigade des mères organisait dimanche une journée « femmes sans voile » sur la place de la République, à Paris. Les membres de cette association dénoncent, entre autres, le port du voile chez les très jeunes filles, signe de la montée en popularité des mouvements intégristes musulmans en France.

Certaines de ces mères qui ont organisé l'événement ont perdu leur enfant, parti faire la guerre en Syrie avec le groupe armé État islamique.

L'histoire d'Aziza Sayah, mère de Sami

Au début de l'année 2014, Aziza Sayah avait noté que son fils Sami, âgé de 21 ans, devenait de plus en plus religieux. Mais elle ne le voyait plus aussi souvent qu'avant.

Depuis quelques mois, il avait trouvé un emploi comme gardien d'immeuble à Sevran, une ville voisine de celle de sa mère, en banlieue nord de Paris. Il habitait seul.

Lors d'une visite, elle l'avait trouvé en train d'apprendre l'écriture arabe. Il disait que c'était pour mieux comprendre le Coran.

Elle lui avait posé directement la question : « Sami, tu ne vas pas devenir comme ces islamistes radicaux? » Il lui avait répondu : « Bien sûr que non , maman, eux, ils ne sont pas normaux. »

Et puis un jour, Sami a dit à sa mère qu'il partait en pèlerinage à La Mecque.

Aziza Sayah a expliqué à son fils qu'elle le trouvait trop jeune, qu'il avait toute la vie pour faire ça, qu'ils iraient ensemble, pourquoi pas, un jour. Sami ne voulait rien entendre. Sa décision était prise, il lui avait d'ailleurs montré son billet d'avion.

Et puis, tout s'est enchaîné très vite. Quelques jours avant la date présumée du départ, Aziza a appris la terrible nouvelle de la bouche de sa fille. Sami avait écrit un mot à sa soeur Mouna. Un message qui disait : « Va prévenir la famille, je suis parti. Pas à la Mecque, mais en Syrie. »

Le choc a été très dur. Aziza était inconsolable. Les trois soeurs de Sami l'étaient aussi. « Moi, je ne pouvais plus parler pendant des jours, que pleurer, pleurer, pleurer... », dit Aziza.

Au cours des mois suivants, elle a tout tenté pour convaincre son fils de rentrer en France. Il communiquait parfois avec elle par Skype.

Je lui ai dit : « Pourquoi tu m'as fait ça? » Il m'a dit : « Mourir en martyr, c'est bien. Je ne t'ai pas quittée, maman. Je suis allé t'ouvrir une place au paradis. »

Je lui ai dit :« Mais qu'est-ce que tu racontes, Sami? L'Islam, ce n'est pas ça! » Il m'a dit : « Tu ne comprends pas, maman, on va faire tomber le régime de Bachar Al-Assad. »

«Il me parlait d'une guerre qui ne nous concerne même pas!»

- Aziza Sayah

En mars 2015, un an après le départ de son fils pour la Syrie, Aziza Sayah a reçu par Internet un certificat de décès de son fils et une vidéo de ses funérailles, transmis par le groupe armé État islamique. On lui a dit que son fils était mort dans un accident de voiture.

Cette mère, qui a élevé seule ses quatre enfants, est tombée en profonde dépression pendant des mois. Et puis, elle s'est relevée. Et elle a rejoint les rangs de la Brigade des mères. « Mon combat aujourd'hui, c'est d'aider d'autres familles pour éviter que les jeunes ne partent », affirme-t-elle.

Aziza raconte une récente expérience avec une jeune fille du quartier qui voulait partir pour la Syrie. « Ma fille et moi, on a alerté les médias avec sa photo et tout. Et la petite, quand elle a vu sa photo partout, elle a eu peur. Et elle est rentrée chez elle », relate-t-elle.

Pour Mme Sayah, cette action est une véritable victoire contre les groupes djihadistes.

À ceux qui disent que les jeunes Français qui rejoignent les rangs du groupe État islamique en Syrie ou en Irak sont des délinquants ou des enfants mal éduqués, Aziza Sayah répond qu'elle n'est pas d'accord.

«Dans mon entourage, les familles que je rencontre, c'est des jeunes bien éduqués qui sont partis. On n'a pas mis des terroristes au monde!»

- Aziza Sayah

Le pouvoir de persuasion des djihadistes est cependant très fort, selon elle. « Peut-être qu'ils étaient trop influençables. On leur a fait rentrer ça dans la tête, ces histoires de mécréants », dit-elle.

Aziza Sayah a appris que c'est un collègue de travail qui a fortement influencé son fils. Elle prétend que ces « rabatteurs » touchent 15 000 euros, ce qui représente environ 20 000 $, pour chaque recrue qui part se battre.

Nadia Remadna, la travailleuse sociale qui voulait changer les choses

Nadia Remadna est née en France de parents algériens. Elle vit à Sevran, une des banlieues parisiennes qui a vu le plus grand nombre de jeunes Français quitter le territoire pour aller faire le djihad en Syrie.

Exaspérée par ce phénomène et inspirée de son expérience de travailleuse sociale, elle a fondé, il y a deux ans, la Brigade des mères, dont fait aussi partie Aziza Sayah, la mère de Sami.

Elle affirme que c'est d'abord à l'échelle locale, sur le terrain, que le travail de prévention doit se faire. « J'ai des gamins de 13-14 ans qui ne parlent que de religion! Ce n'est pas normal. Il y a quelque chose qui s'est passé », dit-elle.

Les parents ont également un rôle important à jouer, selon elle. « Si les parents transmettent la haine de l'autre, ces gamins, dans 4 ou 5 ans, ils vont vouloir zigouiller tout le monde! »

Nadia Remadna prétend qu'il faut des « brigadiers » dans les rues pour contrer la propagande des islamistes. Il faudrait être aussi nombreux qu'eux, enchaîne-t-elle.

Mais la présidente de la Brigade des mères dénonce surtout le laisser-faire des dirigeants politiques.

«Il faut faire appliquer les lois! On n'ose même pas verbaliser une femme qui porte le niqab. On n'ose même pas faire respecter la loi. [...] On ne veut pas avoir des fillettes voilées. Ce n'est pas normal qu'en France, on voie des fillettes voilées. Ce n'est pas possible. J'ai envie de vomir quand je vois ce qui se passe. C'est horrible»

- Nadia Remadna

La petite brigade de Nadia et d'Aziza a bien du mal à obtenir du financement de l'État, mais elle fait parler d'elle régulièrement en France.

Ces mères, dans la quarantaine et début cinquantaine, participent à des conférences, à des débats, organisent des manifestations. Elles sont sur les plateaux de télé, dans les journaux.

Nadia Remadna, elle aussi mère de quatre enfants qu'elle a élevés seule, a publié un livre sur la vie dans les banlieues et sur les aberrations du système social français. Un livre dont les médias ont beaucoup parlé en France.

Quelques hommes parmi la brigade

La Brigade des mères, comme son nom l'indique, regroupe surtout des femmes. Mais depuis peu, quelques hommes se joignent à elles.

Des hommes hors normes, selon la présidente de l'organisme. « Je trouve que les hommes sont lâches quand même. Ils nous laissent avec ce combat. »

Chérif Théma est l'un des rares hommes qui sont devenus membres de la petite Brigade des mères. Et il n'est pas seulement inquiet de ce qu'il voit. Il dit qu'il a peur. « De mon balcon, je vois des jeunes de 10-12 ans, qui jouent au ballon, interrompre leur jeu pour participer à des discussions avec des barbus habillés en Ben Laden qui viennent leur parler d'islamisme », s'inquiète-t-il.

M. Théma croit qu'il faut les dénoncer.

La France est le pays d'Europe qui a fourni le plus de combattants au groupe armé État islamique au cours des dernières années.

Selon le ministère de l'Intérieur, 1800 personnes de nationalité française sont impliquées de près ou de loin dans des activités terroristes. Avec la Russie, la France est, de loin, le pays non musulman le plus touché par ce phénomène.

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