Plusieurs diffuseurs privés québécois font front commun et réclament, dans une lettre ouverte, une «révision en profondeur du mandat de CBC/Radio-Canada».
Les présidents et chefs de la direction de Groupe Serdy, Sébastien Arsenault, de Groupe V Média, Maxime Rémillard, et de Groupe TVA, Julie Tremblay, ont ainsi répliqué, mercredi, aux propos de Hubert T. Lacroix rapportés dans La Presse, mardi. Le PDG de CBC/Radio-Canada répondait alors pour la première fois aux accusations formulées par les diffuseurs privés le mois dernier, qui décriaient ouvertement le chèque de 675 millions sur cinq ans alloué par le gouvernement de Justin Trudeau aux chaînes publiques. Hubert T.Lacroix a ainsi dénoncé le fait que les joueurs concurrents semblaient vouloir maintenir un «statu quo» à Radio-Canada et leur a reproché leur «vision à courte vue et erronée».
Chez Serdy, V et TVA, on s’est défendu en arguant que «plus rien ne semble freiner le diffuseur public dans sa recherche de cotes d’écoute». On a utilisé à cet égard l’exemple du magazine Lire, d’ARTV, qui a été éliminé de la grille-horaire, au moment même où des séries américaines d’envergure, telles Empire et UnREAL, y font leur entrée. On déplore le fait qu’ARTV se soit «écartée de son mandat culturel pour adopter une approche résolument commerciale». On plaide également que la chaîne Explora use de son émission sur la pêche, Roi des rivières, dans son matériel de promotion, soutenant que cette façon de faire joue dans les platebandes d’Évasion, propriété de Serdy. «Plutôt que de viser la complémentarité, on cherche à dédoubler, voire à mimiquer ce que font les diffuseurs privés», martèlent les signataires.
Au final, les diffuseurs privés affirment ne pas revendiquer de statu quo à Radio-Canada, mais bien une révision en profondeur du mandat de cette dernière, dans le cadre d’une révision globale du modèle de radiodiffusion canadien annoncée par la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly. «Occasion au cours de laquelle nous entendons apporter des solutions concrètes et constructives aux enjeux de notre industrie», est-il écrit dans la déclaration.
Voici l’intégrale de la lettre envoyée par les diffuseurs privés, mercredi.
« Dans une allocution prononcée hier à Vancouver et dont certains extraits avaient déjà été rapportés dans un quotidien montréalais, le PDG de CBC/Radio-Canada, Hubert Lacroix, a faussement caractérisé nos demandes à l’égard du diffuseur public comme le souhait de lui imposer le statu quo.
Or, ce n’est non pas le statu quo que nous réclamons, mais bien, au contraire, une révision en profondeur du mandat de CBC/Radio-Canada, dans le cadre de la révision globale du modèle de radiodiffusion canadien annoncée par la ministre du Patrimoine canadien, occasion au cours de laquelle nous entendons apporter des solutions concrètes et constructives aux enjeux de notre industrie.
Comme nous l’avons déjà fait valoir, à moins que les 675 millions $ supplémentaires qui seront octroyés à CBC/Radio-Canada ne fassent l’objet de mesures d’imputabilité, l’équilibre déjà précaire entre le diffuseur public et le reste de l’industrie sera rompu. Aucune telle mesure n’ayant encore été mise de l’avant, nous ne pouvons que craindre que cet investissement constitue un chèque en blanc à CBC/Radio-Canada pour accentuer la concurrence déjà féroce qu’elle mène aux diffuseurs privés.
N’en déplaise à M. Lacroix, les agissements du diffuseur public depuis le dernier budget semblent hélas nous donner raison.
Au cours des dernières semaines, nous avons en effet été ahuris par le nombre, le rythme et la teneur des annonces effectuées par Radio-Canada, lesquelles se chiffrent à plus d’une trentaine.
Qu’il s’agisse de grands plateaux de variétés, d’achats de séries américaines ou de projets mettant en vedette des personnalités de premier plan requérant des cachets nul doute faramineux, plus rien ne semble freiner le diffuseur public dans sa recherche de cotes d’écoute.
Rien n’illustre mieux cette dérive que le fait que la chaîne à vocation supposément culturelle de CBC/Radio-Canada, ARTV, ait annoncé l’annulation de l’émission littéraire Lire, au même moment où cette chaîne amorce la diffusion des séries américaines Empire et UnREAL qu’elle a acquises en se livrant à une surenchère sur les diffuseurs privés québécois qui souhaitaient en faire l’acquisition.
Un document de promotion au sujet de la nouvelle programmation d’ARTV où figurent uniquement des émissions américaines confirme d’ailleurs à quel point cette chaîne s’est écartée de son mandat culturel pour adopter une approche résolument commerciale.
De la même façon, on constate que la chaîne Explora met en évidence dans son matériel de promotion une émission sur la pêche alors que c'est précisément un des créneaux à succès occupé par la chaîne Évasion. Plutôt que de viser la complémentarité, on cherche à dédoubler, voire à mimiquer ce que font les diffuseurs privés.
Bien que nous nous réjouissions du fait que le gouvernement ait pris conscience de la nécessité de revoir le modèle de radiodiffusion canadien dans son ensemble, y compris le rôle de CBC/Radio-Canada, il se peut qu’il soit bientôt trop tard pour les médias que nous représentons. C’est pourquoi nous avons réclamé non pas le maintien du statu quo, mais plutôt l’instauration d’un moratoire sur la multitude d’annonces faites actuellement, le temps de permettre au gouvernement de faire respecter son engagement, contenu dans le budget, à l’effet que les sommes octroyées à CBC/Radio-Canada le seront en échange « d’une nouvelle vision, d’un nouveau mandat et d’un nouveau plan de reddition des comptes ».
En conclusion, nous avons toujours reconnu l’importance du rôle de CBC/Radio-Canada dans l’écosystème de radiodiffusion canadien, mais nous croyons légitime d’exiger que le diffuseur public ne cherche pas à prendre les diffuseurs privés de vitesse en nous plaçant devant le fait accompli d’une programmation renouvelée et agressivement taillée sur mesure pour élargir, au détriment des autres joueurs, son empreinte dans cet écosystème. Nous espérons être entendus. »
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