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Au cœur de la Trump Tower: les secrets d'une campagne présidentielle qui dérange

Au cœur de la Trump Tower: les secrets d'une campagne présidentielle qui dérange
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Ce mardi, cinq Etats de la côte est organisent des primaires. Une fois de plus, d'après les sondages, Donald Trump est favori côté républicain. Et ce, malgré l'alliance de Ted Cruz et John Kasich afin d'endiguer le phénomène Trump. Et si je m’achetais un peu de réussite à la Trump? Une visite dans ce QG de campagne révèle le programme du candidat et de son équipe familiale: faire de l’Amérique un produit estampillé Trump.

"Success" de Trump est une eau de toilette en vente dans le hall marbré de la Trump Tower, monument 68 étages à la gloire de Donald Trump, situé sur la Cinquième Avenue. J’ai ouvert son emballage bleu marine très viril et je l’ai essayée: une odeur de bois, de propreté… de réussite.

Ronald Reagan avait-il son propre parfum? Non. Preuve que la révolution Trump, selon ses propres dires, est plus solide, plus rentable. Le président russe, Vladimir Poutine, semble du même avis, lui qui a "inspiré" sa propre fragrance, Leaders Number One. Pathétique, dirait Trump. Minable. Allez donc à Moscou si vous voulez tester.

Tout en examinant un flacon de Success, je n’ai pu m’empêcher de trouver le nom bien choisi, même si Trump, très pris par sa campagne, a perdu 203 places dans le classement Forbes 2015 des personnes les plus riches de la planète. Avec une fortune nette estimée à seulement 4,5 milliards de dollars, il a fini 324e.

Mais laissons un peu de côté l’argent pour nous concentrer sur le pouvoir. J’étais dans la tour de Donald Trump juste après sa victoire écrasante à la primaire républicaine de New York, alors qu’il s’apprêtait à gagner cette semaine une série de scrutins dans d’autres États de la côte ouest, tels que la Pennsylvanie.

Les électeurs, les membres du parti et certains dirigeants internationaux inquiets constatent, effarés, que la possibilité de le voir investi par les Républicains est de plus en plus réelle.

Dans la tour, une vendeuse me demande si je souhaite acheter Success. Avant de pouvoir me décider, je me rends compte que je suis en retard à un rendez-vous à l’étage. Je suis là pour explorer, pas pour faire du shopping.

The Huffington Post - Pour acheter Success de Trump, rendez-vous dans l’atrium de la tour.

Le bâtiment est à la fois le bastion de cette campagne inédite et son emblème. Elle est la clé qui permet de comprendre ce qu’il représente aux Etats-Unis pour les Américains. Son Casterly Rock. C’est aussi l’endroit le plus important pour le Parti républicain en ce moment, sinon pour toute la politique du pays.

Je connais des gens qui y vivent et y travaillent, son histoire et son contexte. Après ma visite de la semaine dernière, j’en ai presque tout vu. Voici un petit guide explicatif.

Vous n’êtes pas les bienvenus

Trump a obtenu la permission d’ajouter 20 étages très rentables à ses plans en s’engageant à faire du hall un lieu public ouvert et attractif.

Il est en effet ouvert aux visiteurs la majeure partie de la journée, mais peu accueillant pour ceux qui ne font pas partie de la clientèle. Les endroits où l’on peut s’asseoir sont peu nombreux, contrairement aux agents de sécurité, dont la tenue de civil ne trompe personne. L’unique banc public a été enlevé.

Si vous voulez vraiment un siège confortable, vous pouvez vous payer un verre au Trump Bar où, d’après l’un des serveurs, Donald en personne se fait souvent interviewer.

Dans la seule boutique du rez-de-chaussée, on trouve bijoux et accessoires de mode d’Ivanka Trump, ainsi qu’une photo où l’héritière arbore sa blondeur impeccable et son look le plus jet set. Le bar de l’atrium affiche, derrière sa rangée de whiskys, un poster Make America Great Again ("Redonnons sa grandeur à l’Amérique"). Dans l’autre bar, c’est une peinture à l’huile du père de Donald, Fred Trump, promoteur immobilier.

Pas de melting pot

D’après les sondages, Donald Trump est massivement rejeté par certaines catégories démographiques et politiques de la population, telles que les femmes, les Démocrates, et les électeurs hispaniques et afro-américains, entre autres.

Malgré son charisme et son habileté indéniable, il est connu pour ses mensonges sans retenue, ses commentaires désobligeants sur les femmes, sa description des immigrés mexicains comme des violeurs et des dealers, et sa proposition d’interdire aux musulmans l’accès au territoire américain.

Jamais un candidat en tête dans la course à l’investiture de son parti n’a été aussi impopulaire. En tout cas, pas depuis 1964, quand Barry Goldwater, le sénateur de l’Arizona, a essuyé une défaite historique après avoir été le porte-étendard des Républicains.

La foule bigarrée préfèrera downtown ou Brooklyn à la Trump Tower. Après deux heures passées à observer les lieux, l'évidence s'impose: les visiteurs de Trump Tower ne sont pas vraiment l’exemple type de la diversité urbaine. On se croirait plutôt à la sortie des urnes chez ceux qui ont voté Donald Trump: une majorité de quinquas blancs, salariés du privé.

Au bar, je rencontre le patron d'une entreprise d'électricité non syndiquée de Boston. Il me raconte spontanément qu'il n'a pas été à l'université, et que c'est une des raisons pour lesquelles il adore Donald Trump, qui incarne à ses yeux le travail acharné.

Après une bonne année 2015 ("Ca marche très fort à Boston", m’explique-t-il), il est venu à New York en famille pour fêter les 60 ans de sa femme. Ebloui par Donald Trump, ses succès passés et à venir, Il est fier de se revendiquer italien et catholique.

"C'est un moment historique", déclare-t-il en admirant le hall. "Oui, je voterai pour Trump. Il montre ce qu'un homme peut accomplir à lui tout seul."

Mon interlocuteur est un type charmant et sincère. Sa famille est on ne peut plus aimable.

Mais ce n'est qu'une facette de l'histoire.

The Huffington Post - Le seul écran de télé au siège de la campagne de Donald Trump est réglé sur CNN.

La nostalgie des années Reagan mais sans Reagan

Le gratte-ciel en verre de Donald Trump a été achevé en 1984, l'année de la réélection triomphale de Ronald Reagan. C’est aussi l'apogée de l'époque dépeinte dans Wall Street, ce film où Gordon Gekko prononce la célèbre devise: "La soif [d’argent] est une bonne chose."

Si le bâtiment est un symbole de l'ère Reagan, Donald est à Ronald ce que l'alu doré est à un lingot d'or dans un coffre de Fort Knox.

Les ténors du parti répubicain étaient alors des baby-boomers inspirés par les pionniers du conservatisme américain, comme William F. Buckley ou Barry Goldwater. La jeune garde réformait le "Grand Ol’ Party" selon les principes reaganiens. À l'époque, Donald Trump était un magnat aux dents longues en marge du parti. Il a fréquenté les étoiles montantes du mouvement dont Charlie Black, Roger Stone, Paul Manafort ou Karl Rove (sans oublier Lee Atwater et Terry Dolan, aujourd'hui décédés).

C'est à un de ces vieux de la vieille que Donald Trump s'est adressé pour organiser sa convention. Coordinateur de la campagne du candidat Reagan dans les Etats du Sud en 1980, Paul Manafort, 67 ans, est consultant pour une série de régimes autoritaires qui s'étendent de l'Arabie Saoudite à l'Ukraine. C'est aussi un grand manitou des conventions républicaines.

"Je connais Donald Trump depuis 30 ans", me confiait-il la semaine dernière.

Il est important de rappeler que Paul Manafort a eu, des années durant, un appartement dans la Trump Tower. Dans l'univers Trump, c'est un signal fort d'engagement et de sagesse. C'est aussi très pratique.

"Paul était à l'étage quand on avait besoin d'un coup de main", m'a confié un proche du candidat. "On le connaît, il nous connaît. Il partage nos valeurs. Pouvait-on rêver mieux? Il habite juste au-dessus du magasin!"

Mais Donald Trump n'est pas reaganien. Il affirme détester les politiciens et la politique, sans être pour autant antigouvernement. Il veut d’ailleurs tout le contraire: davantage de gouvernement dès qu'il s'agit de commerce mondial, d'immigration et de terrorisme. Il n'est pas non plus hostile à l'État-providence, que Ronald Reagan honnissait.

La communication de Donald Trump n'est pas une croisade philosophique, a dit Paul Manafort. C'est plutôt de la gestion d'image: la reformulation de la "personnalité" publique du candidat.

Charlie Black, vieux complice de Paul Manafort en affaires, est à présent un proche conseiller de John Kasich, gouverneur "modéré" de l'Ohio. Les deux hommes négocieront-ils un accord à Cleveland pour obtenir la nomination de leur parti? John Kasich a lui aussi travaillé pour Ronald Reagan. A surveiller, donc.

L'histoire pourrait se répéter. Tragédie? Farce? Ou bien les deux?

The Huffington Post - La Trump Tower, où affaires et politique se confondent.

Les règles, c'est bon pour les petits joueurs

Les lois fédérales sont censées encadrer le financement des campagnes par les entreprises.

Mais le mélange des genres est l'essence même du Trumpisme et de la campagne présidentielle de Donald Trump (comme de la vie politique américaine contemporaine, diront certains.)

Dans le hall, on peut donc acheter d’innombrables articles à la gloire du magnat de l’immobilier, qui est aussi une vedette du petit écran: boutons de manchette, cravates et pinces à cravate, tenues de soirée, trench-coats (j’ai été tenté), casquettes de golf, couvre-clubs, vêtements pour bébé (sans rire) et livres pour apprendre à réussir à la manière de Trump.

Mais on peut préférer les objets qui évoquent son engouement plus récent pour la politique: des casquettes de baseball “Redonnons sa grandeur à l’Amérique”, déclinées en plusieurs tissus et couleurs, des livres de campagne sur la faillite de l’Amérique, des bonnets de ski, des tee-shirts, des sweatshirts, des affiches, des porte-clés, des bracelets et des bandeaux.

Une affaire de famille

Les Trump sont un croisement de la famille Partridge, des Robinson suisses et des Lannister de Game of Thrones: beaux, indépendants et impitoyables, pilotant les opérations dans leur château-cabane dans les arbres.

Imaginez: le patriarche et sa troisième femme, Melania, vivent dans le penthouse de la tour avec leur jeune fils, Barron. Un grand nombre d’amis et associés de Trump occupent les appartements situés dans les trente étages privés qui se trouvent en dessous. Le bureau principal de la Trump Organization est situé au 26e étage. Deux fils (Don et Eric) et une fille (Ivanka), impliqués à la fois dans les affaires et la campagne de leur père, et que l’on voit de plus en plus dans son sillage et à la télé, habitent les 26e et 25e étages. Le 5e étage, espace immense qui a servi de cadre à la série The Apprentice, héberge les locaux de la campagne. Trump vend ses produits politiques et commerciaux au rez-de-chaussée et au sous-sol.

Il suffit de jeter un œil à l’histoire des présidentielles américaines pour s’apercevoir que la famille Trump n’a aucun équivalent.

Il est arrivé à de nombreuses familles fortunées de se lancer dans la politique, mais non sans avoir au préalable fait leurs armes au gouvernement ou par le biais d’un mandat quelconque. Il en est ainsi des familles Rockfeller, Kennedy et Bush.

D’autres familles se sont élevées dans la politique nationale à la force du poignet, sur plusieurs générations: les Brown en Californie, les Roosevelt à New York et les Stevenson dans l’Illinois.

Quelques hommes d’affaires se sont essayés aux présidentielles de façon assez tardive, notamment le républicain Wendell Willkie en 1940 et l’indépendant Ross Perot en 1992. Mais c’étaient des loups solitaires et ils n’ont pas fait long feu.

On a vu aussi des célébrités devenir candidats, mais pas avant de s’être transformés. Reagan, qui était acteur et animateur, s’est engagé dans le mouvement ouvrier avant d’être élu gouverneur de Californie. Ce n’est qu’après avoir échoué deux fois à l’investiture républicaine qu’il a remporté la Maison-Blanche en 1980.

Trump et sa famille ont cela d’exceptionnel qu’ils représentent un conglomérat sans cesse croissant d’argent, de pouvoir et de célébrité fonctionnant de concert et au même endroit.

Le Huffington Post - Le QG de campagne de Donald Trump affiche un étrange assortiment d’art populaire.

Quelle campagne?

Les murs des bureaux de la Trump Organization sont couverts de photos en couleur de ses propriétés monumentales, aux États-Unis et ailleurs, tandis que des maquettes de ses gratte-ciel, complexes touristiques et terrains de golf sont exposées dans les halls des étages supérieurs.

Le QG de campagne de Trump, en revanche, affiche le décor nu et en piteux état d’une tentative perdue d’avance. A moins qu’il ne s’agisse d’un leurre.

Même après son écrasante victoire à New York, on comptait dans ce vaste lieu haut de plafond une vingtaine d’employés à peine, quelques tables çà et là, une télévision (branchée sur CNN) et des bureaux vides.

Les murs en béton étaient couverts d’un étrange assortiment d’art folklorique à la mode Trump: des tableaux du candidat en héros visionnaire, des aigles américains volant au-dessus de Donald, Trump vu comme un croisement de Reagan et John Wayne.

Trump n’a que faire d’une campagne traditionnelle et le fait est qu’il n’en a pas eu besoin pour caracoler en tête de la course à l’investiture républicaine. Les efforts qui pourraient faire de son équipe une marque facilement reconnaissable s’opposent aux prises de décisions intuitives du candidat.

Sa "campagne" se décide surtout à bord de l’avion privé dans lequel il sillonne le pays au gré de ses meetings, et dans son bureau où il consulte ses principaux collaborateurs.

On remarquera un objet particulièrement intéressant dans ce QG: une réplique fidèle de la Maison-Blanche.

Ce n’est pas — encore — une propriété Trump.

Cet article, publié à l’origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Charlotte Marti, Julie Flanère et Catherine Biros pour Fast for Word.

Voir aussi:

Sur ses électeurs

Les polémiques de Donald Trump en campagne

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