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L'école minuscule qui mène la lutte pour des toilettes neutres au Canada

L'école minuscule qui mène la lutte pour des toilettes neutres au Canada

«Certaines personnes entrent dans les catégories "garçons" et "filles". D'autres non. Et c'est correct, parce qu'ils sont quand même des humains.» - Odessa Hewitt-Berhard, 13 ans.

L'école City View Alternative comprend quatre classes de secondaire 1 et 2. Ils sont à peine 64 élèves à fréquenter l'établissement, qui occupe un seul corridor du troisième étage d'une autre école à peine plus grande.

En 2013, l'école a vécu un moment tournant: 22 de ses étudiants ont inauguré leur nouvelle salle de bains «tous-genres». (L'école préfère le terme «tous-genres» au terme «neutre», le trouvant plus inclusif.)

(Photo: Joshua Ostroff/HuffPost Canada)

City View devenait alors la première école de Toronto a en avoir une, et la première au Canada à en installer une de façon proactive, plutôt qu'en réponse à une plainte.

C'était également l'un des premiers établissements à avoir une salle de bain «tous-genres» comprenant plus d'une cabine.

«Plusieurs personnes à l'extérieur de l'école me disent qu'ils trouvent ça étrange, a raconté au Huffington Post Canada Odessa Hewitt-Berhard, une élève de secondaire 2 membre de l'alliance gay-hétéro de l'école. Mais comme ce n'est pas étrange pour moi, je l'explique comme je le vois: c'est une salle de bain, c'est joli à l'intérieur, il y a des oeuvres d'art. C'est agréable.»

(Photo: Joshua Ostroff/HuffPost Canada)

La lutte pour les droits des transgenres est l'équivalent moderne de la lutte pour les droits civiques. Mais depuis que la question a gagné en visibilité, les réactions sont parfois dures.

Il y a eu la loi HB2 en Caroline du Nord, qui impose l'utilisation des toilettes publiques correspondant à l'identité sexuelle à la naissance. La Caroline du Nord est l'un des 12 États où des projets de loi sur l'utilisation des toilettes publiques ont été présentés. Au Canada, le projet de loi C-279 sur les droits des transgenres a déraillé lorsqu'un sénateur conservateur y a ajouté un amendement discriminatoire sur l'utilisation des toilettes. Aucun autre texte n'a été promulgué à sa place.

En Alberta, les nouvelles règles anti-discrimination imposées aux écoles ont été dénoncées par l'évêque catholique de Calgary comme étant totalitaires. Les règles ont été adoptées après qu'une école primaire catholique ait interdit à une fillette transgenre de sept ans d'utiliser la toilette des filles.

Une question complexe

Évidemment, chaque question sociale comporte plusieurs facettes, qui doivent toutes être prises en compte.

«Par exemple, la religion est un gros obstacle. On veut que les gens puissent pratiquer leur religion, mais l'idée d'avoir des droits religieux qui briment les droits d'autres personnes n'a aucun sens pour moi», a commenté Severin "Sevy" Lortie, une élève de 14 ans de City View.

Il a ajouté: «En passant, je n'ai rien contre la religion. Je pense que c'est génial. Il y a de belles histoires, et c'est une démonstration de notre volonté de comprendre comme le monde fonctionne. Je pense que ça devient un problème lorsque notre interprétation commence à exclure certaines personnes parce qu'on essaie de suivre une voie rigide en la présentant comme la volonté de Dieu.»

«Si une personne catholique me disait qu'elle est contre [la salle de bains «tous genres»], je ne la traiterais jamais de sexiste ou d'homophobe. Parce que dès que tu utilises ces termes-là, ça clôt la discussion.»

Enseigner la justice sociale à l'école

Il n'est pas surprenant que City View soit à l'avant-plan de cette lutte, car son mandat est d'encourager l'activisme et d'enseigner dans une optique de justice sociale. Lorsque l'Ontario a ajouté le concept de consentement au curriculum de son cours d'éducation sexuelle l'an dernier, c'était grâce au projet scolaire de deux élèves de l'école, Tessa Hill et Lia Valente. Leur pétition a recueilli 40 000 signatures, en plus de leur donner l'occasion de rencontrer le premier ministre et le ministre de l'éducation de la province.

Comme la question du consentement, la création d'une salle de bain «tous genres» était aussi une initiative étudiante, enclenchée après la promulgation de la loi 33, qui a ajouté en 2012 les concepts d'identité et d'expression sexuelles à la Charte des droits de la personne de l'Ontario.

"Le changement social n'est jamais facile. Mais nous devons continuer d'avancer"

— Dave Eggen, ministre de l'Éducation de l'Alberta

«Nous avons encouragé les conversations sur la différence entre le sexe, le genre et l'orientation sexuelle pour essayer de rendre le curriculum plus inclusif», a indiqué David Stocker, enseignant primé de l'école City view. Il est aussi en charge de l'alliance gay-hétéro de l'école et père de trois enfants, dont un pré-adolescent trans. Sa conjointe et lui ont également choisi d'élever leur plus jeune enfant, Storm, de façon sexuellement neutre, ce qui avait créé l'émoi dans les médias à travers le monde en 2011.

L'impact des changements au cours d'éducation sexuelle s'est immédiatement fait sentir dans le corridor de City View, a raconté David Stocker.

«On a commencé à voir des graffitis sur les portes des salles de bain. Quelqu'un a dessiné une robe sur le signe de la toilette pour garçons. Un message a aussi été mis sur la porte des toilettes des filles, qui disait que ce ne sont pas toutes les filles qui portent des robes. Il y avait une discussion parmi les étudiants.»

(Photo: Joshua Ostroff/HuffPost Canada)

«On s'est dit que comme notre école avait à coeur l'activisme et la justice sociale, peut-être qu'on devait regarder dans notre propre corridor», s'est remémoré l'enseignant.

Le processus a pris quelques mois. Des sessions d'informations se sont tenues en présence des parents, ce qui s'est avéré plutôt simple compte tenu de la nature progressiste des parents d'élèves de City View. Il y a aussi eu des consultations avec la commission scolaire et son bureau de la prévention de la violence fondée sur le sexe, qui a demandé à City View comment ils avaient préparé les écoliers à l'arrivée d'une toilette «tous genres».

«Si vous installez une salle de bain "tous genres" simplement parce que vous êtes légalement tenus de le faire, ça va être très problématique. Il y a aura probablement de la violence, et certaines personnes vont faire rire d'elles. La commission scolaire du district de Toronto doit travailler pour créer un meilleur environnement», estime Odessa Hewitt-Berhard.

Depuis l'ouverture de la salle de bain «tous genres» de l'école City View, 50 autres écoles ont emboîté le pas. De plus, après qu'un élève transgenre ait porté plainte après avoir été intimidé à cause de son identité sexuelle, la commission scolaire du district de Toronto a annoncé que tous ses établissements offriront des salles de bain «tous genres».

Pour lire l'entrevue intégrale du Huffington Post Canada avec les élèves de l'école City View, cliquez ici.

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