Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Pourquoi une nuit complète de sommeil n'est peut-être pas «naturelle»

Pourquoi une nuit complète de sommeil n'est peut-être pas «naturelle»

Il est indéniable que le sommeil influe non seulement sur notre santé mentale et physique, mais aussi sur notre capacité à fonctionner au quotidien. Nous jugeons que huit heures d’affilée sont la marque d’un mode de vie sain. Mais est-ce vraiment l’unique critère d’un "bon" sommeil?

Des scientifiques et des historiens avancent que nous ne sommes pas faits pour dormir d’une seule traite. Selon les travaux de Roger Ekirch, historien influent à l’université Virginia Tech et auteur de At Day’s Close: Night In Times Past, nos ancêtres avaient un sommeil très différent. Avant la révolution industrielle, on dormait en deux fois, avec une phase de veille entre les deux. Cette période d’éveil nocturne “faisait partie des rythmes de l’existence”, expliquait ce spécialiste en 2001, dans un article qui s’appuyait sur 16 ans de travaux.

Roger Ekirch s’est intéressé à ce phénomène après avoir relevé l’occurrence des expressions “premier sommeil” et “second sommeil” dans nombre de documents historiques, dont les journaux intimes, les dossiers médicaux et les archives judiciaires. Ces récits l’ont amené à penser que ce qu’il a appelé “sommeil fractionné” ou “biphasé” était autrefois courant. “J’ai été frappé par la banalité avec laquelle ces références revenaient", explique-t-il au Huffington Post. "Elles étaient utilisées comme si tout le monde savait de quoi il retournait. C’est ce qui m’a fait penser que ce phénomène n’était ni unique ni anormal.”

Premier sommeil, second sommeil

Voici à quoi ressemblait un sommeil nocturne biphasé: les gens allaient se coucher peu après la tombée de la nuit, en général vers 21 ou 22 heures. Ils se réveillaient vers minuit, se levaient une heure environ, puis se rendormaient jusqu’à l’aube.

Ils passaient parfois cette période d’éveil en corvées ou en futilités, mais le plus souvent en méditation, introspection, rapports sexuels ou en prières (pas forcément dans cet ordre-là!), ajoute-t-il. “Les gens s’adonnaient aux activités les plus variées, comme brasser de la bière ou… aller voler le bois du voisin. D’autres restaient couchés. C’était pour eux un moment très important, voire sacré, pendant lequel ils réfléchissaient aux événements de la journée, méditaient et priaient.”

Les médecins préconisaient même la prise de remèdes à ce moment-là. On le considérait aussi comme idéal pour procréer.

Cependant, l’industrialisation a modifié ces rythmes. L’électricité permettant de prolonger les activités de la journée, les familles ont veillé plus tard. Avec l’invention des pendules et la généralisation du travail à l’usine en remplacement de celui des champs, les individus ont davantage été soumis à des horaires stricts qu’aux rythmes de la lumière naturelle. L’efficacité est devenue le principe organisateur de leur vie… et de leur sommeil.

Sommes-nous faits pour dormir en deux fois?

Dans un courrier au dernier numéro du journal Sleep, Roger Ekirch commente les résultats d’une étude qui a fait grand bruit en octobre 2015. Selon celle-ci, les populations de trois sociétés préindustrielles dormaient environ 6,5 heures d’affilée. Les auteurs en concluent que le sommeil fractionné devait avoir été le fait de la seule Europe préindustrielle, en raison des longs hivers.

Le sommeil fractionné est plus courant que ne l’indique cette étude, estime notre spécialiste, qui en a trouvé la trace aussi bien en Europe qu’en Amérique latine, au Moyen-Orient et en Australie. Le sommeil biphasé n’est peut-être pas caractéristique de toutes les cultures, mais il semble bien présent dans une grande proportion des sociétés préindustrielles.

Des indices scientifiques confortent cette idée. Une expérience menée dans les années 1990 a montré qu’en l’absence d’appareils électroniques, les sujets semblaient préférer dormir en deux fois. Après avoir passé tous les jours 14 heures dans le noir pendant un mois – comme c'était le cas avant l'électricité – les volontaires se sont mis à dormir en deux phases d'environ quatre heures chacune, avec une période d'éveil d'une à deux heures entre les deux.

À l’ère technologique postindustrielle, notre temps de repos est encore davantage sujet aux sollicitations de notre environnement, qui font croire au cerveau qu’il fait jour. C’est le cas de la lumière électrique et de la lumière bleue des écrans, qui entretiennent l’illusion du jour au moment où nous devrions tomber dans les bras de Morphée.

Une explication historique à l’insomnie?

Largement adoptés par les spécialistes du sommeil, les travaux de Roger Ekirch éclairent notre compréhension de l’insomnie.

L’une des retombées importantes de ces recherches historiques est l’idée que l’insomnie du type réveil nocturne – par opposition à l’insomnie caractérisée par les troubles de l’endormissement – est vraisemblablement un vestige de ce rythme de sommeil autrefois dominant, plutôt qu’un trouble.

Les personnes affectées par ce premier type d’insomnie, présentant probablement des rythmes circadiens plus sensibles à la lumière, sont peut-être mieux adaptées au sommeil biphasé.

“L’insomnie en pleine nuit – la plus répandue aujourd’hui – n’a été considérée comme un problème médical qu’au tournant du XXe siècle", indique Roger Ekirch. "Auparavant, ce phénomène était tenu pour parfaitement normal.”

Comment utiliser ce savoir pour mieux dormir, compte tenu des contraintes de notre existence moderne? Retrouver les rythmes de sommeil préindustriels n’est sans doute pas la solution. Mais on peut réguler l’exposition à la lumière, précise-t-il. En excluant par exemple les écrans de la chambre à coucher, en éteignant la télévision une heure au moins avant d’aller dormir et en téléchargeant des applications limitant l’intensité de la lumière bleue, comme f.lux ou le mode nuit de l’iPhone.

Si vous souffrez d’insomnie, comprendre et accepter que votre rythme de sommeil n’est pas anormal peut vous aider. Au lieu de vous tourner et de vous retourner, ou de consulter votre compte Facebook, Roger Ekirch recommande de vous lever et de vous adonner à une activité relaxante, comme la lecture sous lumière tamisée, jusqu’à ce qu’à ce que la sensation du sommeil revienne.

“J’espère (…) que les personnes insomniaques se rendront compte que leur sommeil n’est pas anormal, d’un point de vue historique, du moins. Le savoir devrait les aider”, conclut-il.

Cet article initialement publié sur le Huffington Post États-Unis a été traduit de l’anglais.

INOLTRE SU HUFFPOST

La paralysie du sommeil

7 troubles du sommeil

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.