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Kim Thúy publie « Vi », la petite histoire du plus grand que soi

Kim Thúy publie « Vi », la petite histoire du plus grand que soi
JF briere

Dès notre arrivée chez Kim Thúy, on remarque l’énorme pan de maison transformé en fenêtre. Une ouverture sur le monde qui permet à son garçon Valmont d’observer les éléments à sa guise, sans que sa maman écrivaine s’inquiète d’être vue, elle qui se croit littéralement invisible. Un peu à l’image de la fillette au cœur de son quatrième livre, Vi, qui signifie en vietnamien « précieuse, minuscule, microscopique. »

À l’image de plusieurs Vietnamiens, dont la signification des prénoms contredit souvent leur nature profonde, Vi ne se résume pas à sa petitesse et à son tempérament effacé. Après avoir quitté son pays vers les berges de la Malaisie et immigré au Canada, à Limoilou plus précisément, la jeune fille s’est éloignée du sentier tracé pour elle, en étudiant en traduction et en droit, avant de s’envoler vers la Chine et le Vietnam, à la recherche de quelque chose de plus grand qu’elle. Comme si sa nature se révélait plus forte que son prénom.

« La culture vietnamienne, son éducation et la personnalité de sa mère ont déteint sur Vi : elle s’est toujours perçue comme un être microscopique, explique l’auteure. Mais la vie l’a ensuite obligée à devenir autre chose.

Quand elle est arrivée au Québec, elle a eu peur de l’espace qui s’offrait à elle, puisqu’elle était habituée aux espaces restreints. Avec le temps, elle a appris à gérer l’ampleur et la grandeur. »

Sans désir ni attente envers elle-même, Vi a eu le réflexe de se laisser porter par l’existence. « Je voulais illustrer que lorsqu’on reste ouvert aux rencontres et à la vie, on goûte à plein de choses qui vont nous construire », précise Kim en nous suggérant de goûter à du manioc bouilli au lait de coco et aux arachides que sa mère, sa voisine, nous a offert entre deux questions.

Kim avec ou sans accent

Si le destin de Vi s’avère plus grand que son prénom, l’auteure observe le même genre de contradiction chez elle. Gênée de nous partager la signification de son prénom, l’auteure explique d’abord que sa maman lui a donné le sien avec une variation d’accent. « Elle voulait que je sois une suite d’elle. Dans sa tête, elle pensait avoir plusieurs filles et elle aurait donné des accents différents à chacune. Une chance, je suis la seule! »

Elle poursuit en disant que « Kim Thúy » avec l’accent aigu signifie « beau », un qualificatif qu’elle réfute à son sujet. « Mes frères et moi, on est laids, lance-t-elle devant notre air éberlué. Depuis que je suis petite, ma mère me dit que la vie ne m’avait pas donné la beauté physique et que si je voulais exister, je devais construire quelque chose de l’intérieur. »

« Avec le roman, j’ai voulu transmettre qu’on peut être née avec très peu, mais qu’on peut se construire, grâce à soi et aux autres. Moi, je suis comme du yogourt nature plate avec rien, sauf qu’on m’a donné un peu de confiture et quelques noix. Au fil du temps, je suis devenue intéressante grâce aux ajouts. ».

Un « je » qui n’est rien sans « eux »

Bien que Vi soit présente en filigrane dans tous les détours et que le roman culmine avec son épopée, sa créatrice a consacré plus de la moitié de l’histoire à présenter son grand-père jadis fortuné, son père qui a abandonné femme et enfants, sa mère esthétiquement désavantagée, ses frères et les amis de la famille.

L’écrivaine est captivée par les détails, les petites habitudes et le contexte dans lequel évoluent ses personnages. « J’en ai besoin! Quand tu m’as demandé de te parler de mon nom, ça m’a pris 15 minutes pour tout expliquer. On ne peut pas isoler un fait ou une information. Le contexte est nécessaire. Particulièrement dans la langue vietnamienne, dont l’écriture manuscrite est parfois imparfaite. Quand tu la lis, tu dois être assez intelligent pour interpréter les petites erreurs et te servir du contexte pour tout saisir. »

Elle applique le même principe avec les ancêtres. « Une personne ne se résume pas à ce qu’elle est. Elle est le résultat de ceux qui l’ont précédé, de ce qu’ils ont été et ce qu’ils lui ont donné. On ne peut pas briser cette chaîne. Dans le livre, j’étais même prête à aller au-delà des grands-parents de Vi. Je ne pouvais pas décrire ce qu’elle est sans parler de son bagage. »

Devoir de mémoire

Écrivant dans le livre que « la vie vietnamienne se vit et s’amplifie, sans être écrite ni racontée », Kim Thúy se fait un devoir de partager les mille et une raisons qui font de sa culture un objet de fascination. « J’aimerais que la tradition vietnamienne ne se perde pas. Comme il y a encore beaucoup de censure là-bas, j’ai peur que toute une génération meure et que je ne me souvienne plus. Je suis une collectionneuse de gestes, de mots et d’images, et j’adore partager toutes ces petites choses. »

Elle croit aussi que sa culture d’origine offre un reflet à sa culture d’accueil. « Tu comprends bien seulement dans la comparaison. Tu ne connais pas bien le rouge si tu n’as pas le blanc. » Jamais à court d’exemples pour illustrer ses dires, la Québéco-Vietnamienne évoque une comparaison langagière qu’elle a tentée dans une entrevue où l’animateur anglophone lui demandait ce que représentait l’écriture pour elle.

« Quand j’ai répondu “it brings you jouissance” et que j’ai dû traduire “jouissance” en anglais, j’ai expliqué que c’était plus que le plaisir, mais moins que l’orgasme. Un orgasme, c’est court, frappant et intense. Alors que la jouissance, c’est rond, ample et long. L’écriture me donne ce genre de plaisir ample et rond. Après l’entrevue, j’ai cherché la traduction de “jouissance” et j’ai constaté que ça n’existait pas. Chaque langue a sa propre beauté. »

Une plume à fleur de peau

Après avoir lu Ru, À toi et Mãn (traduits dans 22 langues et vendus à près d’un demi-million de copies dans le monde) bien des lecteurs ont l’impression de connaître Kim Thúy en profondeur. Pourtant, à 47 ans, l’écrivaine n’a pas fini de se découvrir elle-même. La preuve : le tournage de l’émission Qui êtes-vous?, qui lui a permis de visiter la plage malaisienne où sa famille, comme tant d’autres boat people vietnamiens, a abouti, et de rencontrer le Français qui les a sauvés. Les téléspectateurs ont alors été témoins d’un jaillissement d’émotions inhabituel chez elle.

« J’ai toujours pensé que je n’avais pas d’émotions. Quand l’équipe de Qui êtes-vous? m’a approchée, je pensais que j’allais faire une mauvaise émission. Je ne suis pas quelqu’un qui pleure. Avant d’entrer dans la salle où j’ai retrouvé nos cartes d’identité, qui montraient qu’on avait vécu dans le camp de réfugiés, je pensais que je n’aurais aucune émotion. Mais quand je suis entrée, tout à coup, ça s’est ouvert en moi… J’ai compris que j’avais des émotions, moi aussi. Je pense qu’involontairement, ma tête s’est coupée de plusieurs sensations pendant la traversée en bateau de quatre jours. Mon corps s’était mis sur pause pour survivre. »

La visite en Malaisie semble avoir ouvert une brèche émotive chez l’écrivaine. « Je ne suis pas encore capable de dire tout ce que ça a changé en moi depuis. Je suis beaucoup plus émotive qu’avant. Mais est-ce seulement grâce au voyage? Peut-être pas. Je crois que c’était des couches accumulées avec le temps. Le verre était plein. Comme une photo qu’on place dans le liquide pour la développer : ça prend du temps avant qu’elle se révèle.

L’émission m’a permis de dire merci aux gens qui nous ont aidés, de pardonner et de boucler la boucle. Il y a une sérénité qui est venue après. Tout ce qui m’a changée a sûrement transparu dans l’écriture de Vi par la suite. »

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