Deux fois plus de jeunes Québécois de 12 à 18 ans prennent des antipsychotiques comparativement à il y a dix ans, selon des données obtenues auprès de la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ). Une tendance qui préoccupe la communauté médicale.
Un texte de Marie-Eve Cousineau
Plus de 5000 Québécois de 12 à 18 ans ont reçu une ordonnance d'antipsychotiques en 2015, contre près de 2800 en 2005, selon la RAMQ. (Ces données ne tiennent pas compte des patients qui ont pris ces médicaments dans les hôpitaux.)
Cette hausse s'observe partout au Canada, selon la chef de la pédopsychiatrie à l'Hôpital de Montréal pour enfants, Dr. Lila Amirali.
La spécialiste n'en demeure pas moins inquiète. Ces médicaments, dit-elle, doivent être utilisés en dernier recours.
«C'est un problème, étant donné qu'on a des effets secondaires très importants qui sont associés, comme le trouble du métabolisme et la prise de poids.» - Dr. Lila Amirali, chef de la pédopsychiatrie à l'Hôpital de Montréal pour enfants
Chez les adolescents, les antipsychotiques de deuxième génération (ex.: rispéridone, quétiapine et aripiprazole) sont utilisés pour traiter la psychose et la schizophrénie à ses débuts.
Mais les médecins prescrivent aussi ces médicaments aux jeunes souffrant de troubles de l'humeur ou ayant des problèmes de comportement ou d'agressivité, liés au trouble sévère du déficit de l'attention avec hyperactivité (TDAH), au spectre de l'autisme ou à la toxicomanie, entre autres.
« On voit beaucoup plus de psychoses qui commencent plus tôt durant l'adolescence », indique Dr. Lila Amirali. Mais ces cas, estime-t-elle, ne justifient pas à eux seuls une telle hausse des antipsychotiques chez les 12-18 ans.
Dr. Lila Amirali souligne que des études menées dans d'autres provinces canadiennes ont montré que l'augmentation de la prise d'antipsychotiques chez les jeunes s'explique principalement par l'utilisation de ces médicaments dans le traitement de troubles de comportement sévères, du TDAH et des troubles dépressifs.
« Mais il existe d'autres solutions [pour ces problèmes], comme les interventions psychosociales », signale-t-elle.
Une pilule plutôt qu'une thérapie ?
Au Québec, la RAMQ dit ne pas être en mesure de fournir le nombre d'ordonnances d'antipsychotiques prescrites à des jeunes, en fonction de leur condition ou de leur trouble. Impossible donc de savoir à quoi cette hausse est attribuable.
Le pédopsychiatre Martin Gignac, lui, croit que ce recours aux antipsychotiques ne témoigne pas d'un « surdiagnostic » des troubles de santé mentale. Les médecins effectuent peut-être un meilleur dépistage, avance-t-il.
«Là où c'est préoccupant, c'est "est-ce que c'est une solution en dépit d'autres interventions ?"»
-Dr. Martin Gignac, pédopsychiatre à l'Institut Philippe-Pinel de Montréal
Les adolescents peuvent attendre longtemps avant d'obtenir un suivi avec un psychologue dans le réseau public. Dans certains centres jeunesse, le temps d'attente est de quelques mois, voire d'un an, selon Dr. Martin Gignac.
L'Association des pédiatres du Québec déplore aussi le manque de ressources pour les jeunes. « Dans les écoles, il y a des coupures importantes, non seulement en orthophonie, en ergothérapie, en orthopédagogie, mais beaucoup aussi en psychologie », dit sa présidente Dr. Pascale Hamel.
Dr. Pascale Hamel et Dr. Gignac sont convaincus que les médecins ne prescrivent pas les antipsychotiques « à la légère ». Toutefois, « un omnipraticien dans son bureau peut être interpellé à traiter une situation qui pourrait peut-être davantage être pris en charge par une intervention psychosociale, soit avec un psychologue et un travailleur social, dit Dr. Gignac, aussi professeur agrégé de clinique à l'Université de Montréal. Mais parce que les temps d'attente sont trop longs, il va devoir se rabattre sur une molécule pharmacologique comme celle-là. »
Les médecins demandent au gouvernement québécois d'améliorer l'accès aux services psychosociaux pour les jeunes.
Qui prescrit le plus?
Les psychiatres prescrivent et renouvellent la majorité des ordonnances d'antipsychotiques des Québécois de 12 à 18 ans, selon la RAMQ. Ils en ont délivré trois fois plus en 2015, comparativement à 2005. La tendance est similaire chez les omnipraticiens et les pédiatres.
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