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La clé de notre santé se trouve dans notre caca

L'étonnant pouvoir de guérison du caca

Les greffes fécales, qui modifient la flore intestinale, offrent un réel espoir thérapeutique, pour des pathologies allant de l’infection à l’obésité.

En mars, lors de la première édition du Near Future Summit de San Diego, conférence rassemblant des professionnels visionnaires, Peter Diamandis, ingénieur et entrepreneur, a demandé aux personnes nées par voie basse de lever la main. Devaient ensuite garder la main levée ceux qui avaient été allaités, et ceux qui avaient évité les antibiotiques (notamment l’azithromycine) et les opérations chirurgicales importantes ces dernières années. Au final, quelques douzaines de personnes, parmi les quelque 250 qui se trouvaient dans la salle, levaient encore la main.

Tout ceci n’était pas qu’un exercice destiné à montrer tout ce que les gens sont capables de révéler sur leur intimité: Peter Diamandis espérait évaluer le statut microbiotique de son auditoire. Les critères cités plus tôt participent à l’épanouissement et la santé de notre flore intestinale. Après ce sondage informel, le philanthrope médical Lee Stein a fait le tour de la salle pour distribuer des kits de prélèvement aux détenteurs potentiels du caca parfait.

On ne sait pas combien ont été choisis pour donner de leur personne, si l’on peut dire. Mais tous les échantillons fécaux récoltés feront l’objet d’une analyse poussée visant à déterminer les interactions de la flore intestinale sur l’organisme tout entier.

Rob Knight, un Néo-Zélandais à l’allure dégingandée, est l’instigateur de ce projet. Du haut de son 1m92 pour 90 kilos, l’homme semble n’avoir jamais eu à se soucier de son poids. En réalité, il a longtemps été obèse. Jusqu’en 2008, il pesait presque trente kilos de plus qu’aujourd’hui.

Une surprenante perte de poids

N’allez pas croire qu’il ait perdu du poids à la sueur de son front, en multipliant les séances d’exercice physique et les régimes. Tout ce qu’il a fait, c’est tomber gravement malade lors d’une randonnée sur le Chemin de l’Inca, au Pérou. Après son traitement antibiotique, il s’est surpris à maigrir rapidement. Il n’avait pourtant rien changé à son régime alimentaire et sportif, et la perte temporaire de poids n’était pas due à la déshydratation entraînée par la maladie. Il a donc soupçonné cette perte de poids, qui s’est révélée permanente, d’être liée aux modifications apportées à ses bactéries intestinales pendant la maladie et le traitement.

Il se trouve que Rob Knight, qui dirige la Microbiome Initiative à l’Université de Californie à San Diego, est l’un des principaux experts américains en matière de flore intestinale. Il a donc commencé par analyser ses selles quotidiennes pour observer cette période de perte de poids rapide à travers le filtre de sa flore intestinale. Il espérait ainsi que la perspective de ce "patient zéro" qui n’était autre que lui-même aboutirait un jour à un protocole plus généralisé visant à aider les autres à perdre du poids.

"Je ne recommanderais bien sûr à personne de se rendre au Pérou pour y consommer de la nourriture contaminée ou perturber son index glycémique afin de perdre du poids", explique-t-il. "Mais tenter de comprendre la nature de ces principes permet justement de produire un résultat précis et efficace. C’est bien entendu ce que nous tentons de faire."

"Il est ahurissant de penser que ce que nous jetons dans les toilettes chaque jour peut avoir de telles conséquences sur notre mode de vie." Nous ne sommes pas les propriétaires exclusifs de notre corps. En plus des cellules humaines que nous emmagasinons, notre transit gastro-intestinal accueille des milliards de cellules non-humaines, un environnement connu sous le nom de microbiome ou d’aire biotique. Ces bactéries intestinales sont si nombreuses qu’elles peuvent peser jusqu’à trois kilos", poursuit-il. "Les scientifiques s’intéressent à leur influence sur tout l’organisme, de la digestion jusqu’au cerveau."

Bien plus simple que la génétique

Rob Knight aime raconter l’histoire de sa maladie au Pérou, car elle résume à merveille la promesse et l’idiosyncrasie du microbiome gastro-intestinal. La recherche sur la flore intestinale pourrait permettre de mettre au point des traitements contre l’obésité, les désordres intestinaux et certains problèmes de santé mentale. Mais, en raison du caractère extrêmement personnel des effets produits par les bactéries intestinales, les membres d’une même famille, ou ceux qui vivent ensemble, peuvent partager bon nombre de bactéries intestinales avec des conséquences différentes sur leur santé. Pour preuve, une des collègues de Rob Knight voyageait avec lui au Pérou. Elle aussi est tombée malade et a pris le même traitement, sans pour autant perdre du poids.

Plusieurs pionniers plutôt bien nantis assistaient au colloque. On aura deviné que certains d’entre eux ont déjà séquencé leur ADN. Mais Rob Knight estime que le séquençage des génomes du microbiome sera un jour plus courant, ce qui offrira bien davantage de débouchés thérapeutiques que le séquençage de notre ADN.

"Il est bien plus facile de modifier le microbiome que le génome humain", remarque-t-il. "Mais chacun d’entre nous agit en profondeur sur ce microbiome grâce à chacun des gestes que nous faisons au quotidien sans même nous en rendre compte, et sans comprendre les implications, bonnes ou mauvaises, de nos choix."

"Il est bien plus facile de modifier le microbiome que le génome humain." Si l’on en croit Rob Knight, les bactéries intestinales sont sensibles aux modifications de l’alimentation, du sommeil, du sport, mais aussi au stress, aux médicaments, aux pathologies et à la bactériothérapie fécale. Il revient donc aux spécialistes de ce domaine de trouver le moyen de maîtriser ces altérations afin d’améliorer la santé de l’individu et de la collectivité. Cela permettrait notamment de savoir quel type de régime alimentaire et sportif convient le mieux à chaque individu, comment tel ou tel mode de vie influe sur l’organisme, même si la perte de poids n’est pas aussi rapide qu’on pourrait l’espérer.

Rob Knight espère qu’une analyse régulière de la flore intestinale pourra nous offrir ces possibilités, et bien d’autres encore, à l’avenir. Prenez, par exemple, la Clostridium difficile. Cette bactérie infectieuse, qui peut entraîner des diarrhées débilitantes, est potentiellement mortelle. Elle est, entre autres, liée à la prise d’antibiotiques (ils peuvent éliminer les bactéries utiles de nos intestins, en même temps que les nuisibles, permettant ainsi à la C. difficile de proliférer sans être inquiétée).

La matière fécale humaine vue au microscope

Paradoxalement, le traitement de pointe contre cette bactérie consiste à prendre d’autres antibiotiques. Dans les cas les plus graves, il peut être nécessaire de faire l’ablation d’une partie du colon. Au cours de sa présentation, Rob Knight a abordé le sujet des greffes fécales (l’injection de matière fécale provenant d’un individu sain dans l’organisme d’un malade) qui pourraient être bien plus bénéfiques aux patients atteints de Clostridium difficile que les antibiotiques ou la chirurgie. Des essais cliniques ont montré qu’une perfusion intestinale de selles saines était beaucoup plus efficace que les antibiotiques. Le traitement est moins onéreux, et surtout moins invasif que la chirurgie.

Connais ton caca toi-même

"La question qui se pose à nous aujourd’hui consiste à découvrir si d’autres maladies sont liées au microbiome", déclare Rob Knight. "Et à identifier les problèmes qui l’affectent afin de pouvoir le reconfigurer." Les pathologies potentiellement liées à une modification du microbiome incluent les plus évidentes, comme les inflammations chroniques de l’intestin, mais aussi d’autres, dont les liens avec cet organe, sont moins évidents, comme la polyarthrite rhumatoïde, l’autisme ou la dépression.

Cet article, publié à l’origine sur le Huffington Post américain, a été traduit de l’anglais par Mathilde Montier pour Fast for Word.

Piere Manzoni

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