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Ces hommes et femmes se mettent à nu et parlent de leur amour-propre (PHOTOS)

Nus pour parler d'amour-propre (PHOTOS)
ANASTASIA KUBA

En grandissant, la photographe Anastasia Kuba se trouvait belle. Elle répondait en tout cas aux critères habituels: yeux clairs, cheveux blonds, gros seins. Dès son plus jeune âge, elle a fait l’objet de toutes les attentions. Pourtant, elle manquait cruellement d’amour-propre. "La seule chose qui semblait avoir de la valeur, c’était mon apparence", explique-t-elle au HuffPost.

L’idée que Kuba se faisait de sa beauté a influé sur bon nombre de ses choix. "Je pensais n’avoir rien d’autre à offrir. J’étais jeune. Je ne savais pas encore qui j’étais." Pour gagner sa vie quand elle avait la vingtaine, après avoir quitté la Russie pour les États-Unis, elle a été engagée comme danseuse aux seins nus. Cette embauche ne constituait pas un moment charnière dans sa vie, mais confirmait ce qu’elle pensait d’elle-même: son physique déterminait sa valeur en tant que personne.

Ces temps-ci, beaucoup de discussions féministes s’articulent autour des concepts d’émancipation et de bonne image du corps, dans l’idée que toutes les femmes – ou, plus exactement, tous les êtres humains – sont belles. Même si Kuba n’est pas contre cette vision des choses, elle trouve qu’elle ne s’attache pas au fond du problème. "Quand on parle de l’importance d’avoir une bonne image du corps, on ajoute généralement que la beauté ne se mesure pas au nombre de compliments que l’on reçoit. J’étais dans le cas inverse. On me disait que j’étais belle, mais c’était à peu près tout."

Vers 25 ans, quelque chose a changé chez Kuba. Elle s’est rasé le crâne, elle a cessé de se maquiller et de porter des hauts talons. À sa manière, elle a arrêté de se conformer aux normes de beauté en vigueur dans notre société. Ses photos ont reflété cette évolution. Jusqu’alors, elle était spécialisée dans l’intime et tentait de saisir l’attirance sexuelle entre les corps. À présent, elle souhaite explorer la question du corps en tant qu’enveloppe physique de l’être. Sans morale ni blabla. Juste la vérité.

"Les corps ont des choses à raconter, et nous sommes des créatures complexes", dit-elle. "Je voulais que les corps se racontent."

Attention: cet article contient des photos de nus et n’est pas nécessairement indiqué dans un contexte professionnel

Anastasia Kuba

"Lettre à ma fille.

Ma très chère Indra,

Je t’adore. Tu es parfaite. Forte, déterminée, intelligente, tu as beaucoup d’humour, tu n’hésites pas à dire ce que tu veux et tu poses des limites. Ce sont des qualités que j’admire. Tu es plus que belle. Ta naissance a transformé ma vie, et m’a énormément encouragée. Tu as une force incroyable! J’apprends énormément à ton contact parce que tu n’as peur de rien. Je suis ravie d’être ta maman et de faire ce voyage avec toi."

-Crystal

Kuba a proposé à des modèles de poser pour elle. Elle a reçu des réponses d’hommes et de femmes transgenres ou cisgenres (l'inverse de transgenre, quand une personne se sent en accord avec son sexe de naissance), et de personnes genderqueer, de tous âges et de tous horizons. Chacune de ses séances photo dure environ trois heures, ce qui, selon elle, laisse suffisamment de temps à ses modèles pour être moins méfiant, se détendre et être eux-mêmes. La première heure, elle discute avec eux sans son appareil. "Je suis intimidée, et eux aussi", explique-t-elle.

Elle se souvient avoir été choquée quand des modèles à la beauté classique lui parlaient de leurs complexes physiques. "Mon premier réflexe était de leur dire qu’ils étaient beaux. J’ai dû apprendre à me taire et me contenter de les écouter." Au lieu d’essayer de les réconforter, Kuba a fini par apprendre à reconnaître leur inconfort. C’était gênant. Mais c’est tout l’intérêt de cette démarche.

Au fil de ces discussions, Kuba s’est rendu compte qu’une bonne image du corps n’était pas la seule solution. La beauté se réduit rarement aux spécificités physiques ou à l’amour de soi. "L’aspect physique du corps n’a rien à voir avec la façon dont la personne le perçoit", explique-t-elle. "Le dégoût de soi est généralement lié à un traumatisme, au sentiment de ne pas maîtriser son corps à un moment ou un autre. Le physique et la perception du corps ne sont pas liés. On aura beau vous dire que vous êtes beau ou belle, cela n’aura aucun poids. Toute la question est de savoir si vous êtes en accord avec vous-même."

Anastasia Kuba

"Une des choses qui m’a donné envie d’être pris en photo par Anastasia, c’est que je n’avais pas à correspondre à des critères physiques. Il me suffisait de me montrer nue, ce que j’aime le plus chez moi. Je me sens vraiment bien quand je suis nue. Pas besoin de me soucier de ma silhouette ou de mon teint. C’est moi, tout simplement."

-Sankara

Après cet échange, les modèles de Kuba se déshabillent entièrement. Pas de maquillage, de bijoux, d’accessoires. Toutes les photos sont prises en lumière naturelle. Concrètement, elles ne requièrent aucun artifice. L’accord du modèle est indispensable, et Kuba leur permet de mettre un terme à la séance à n’importe quel moment. Elle regarde les clichés avec eux, et efface tous ceux qui ne leur plaisent pas. Pour éviter d’être en position de force, elle les autorise aussi à la prendre en photo nue, s’ils le souhaitent.

"Je veux les montrer tels qu’ils sont spontanément, sans leur donner le temps de présenter leur meilleur profil", ajoute-t-elle. "Quand ils commencent à faire leur show, je le leur fais remarquer. L’émancipation n’est pas le sujet principal de mon travail. Je veux simplement photographier ce que j’ai devant les yeux. De la manière la plus brute possible."

Kuba a fini par remarquer une caractéristique inhabituelle de ses clichés : nus, beaucoup de ses modèles avaient l’air enfantins. Ce n’est pas vraiment ce que l’on serait en droit d’attendre de photos de nus, ni quelque chose qu’elle avait envisagé, mais c’est ce qui s’est produit. "Ils avaient vraiment l’air innocents", explique-t-elle. "C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que mon projet cherchait à cerner l’innocence des corps. Une fois qu’on est débarrassé de son maquillage et de ses vêtements – la façon dont on se présente au monde –, tous les indices sociaux disparaissent et il ne reste plus que vous."

Tous ses modèles rédigent un texte qui apparaît au côté de leurs photos sur son site internet – et qui ont servi pour les légendes des photos de cet article – en racontant des anecdotes liées à leur évolution physique.

"À la fin de la séance, j’étais devenu beaucoup plus indulgent avec mon corps et sa présence" écrit Neil, l’un des modèles. "J’avais le sentiment d’être capable de me regarder dans le miroir et de voir autre chose que quelque chose de sexuel, d’intrinsèquement féminin, et d’intime. Autant de choses que j’associais au physique depuis la puberté." Plus récemment, ses modèles ont commencé à lire des poèmes dans le plus simple appareil. Cela s’est fait par hasard, mais Kuba espère que ce rituel trouvera sa place de manière systématique dans son travail.

Voici une vidéo d’Isobel O'Hare en train de lire son poème Dotted Line. D’autres vidéos sont disponibles ici.

Anastasia Kuba

"Anastasia m’a permis d’ajouter une touche essentielle de magie dans mon voyage sans fin. Elle m’a dit, en peu de mots, que le côté brut des choses les rendait vraies. Que l’âme s’y révélait, dès que l’on pouvait sourire de ce que l’on est sans tenter de se faire passer pour ce que l’on n’est pas. Que si on était capable de partager cela, on se rendrait peut-être enfin compte que nous sommes tous pareils. Et que nous n’avons pas à renier ce que nous sommes par peur du regard des autres."

-Rob

Anastasia Kuba
"J’ai une relation si complexe avec ma carapace que je ne saurais même pas par où commencer. Nous avons survécu aux médicaments dans le ventre de ma mère, six opérations de chirurgie orthopédique, une opération non-consensuelle de réaffectation sexuelle, des interventions de ‘confirmation sexuelle’, des agressions sexuelles, deux troubles de l’alimentation, et plusieurs handicaps permanents liés au contrôle au faciès. Une seule de ces choses pourrait tuer ou anéantir quelqu’un mais mon corps ne se laisse jamais abattre et je suis continuellement stupéfaite des neuf vies qu’il m’a accordées."

- Mason
Anastasia Kuba
"Ma mère m’a fait beaucoup de mal quand j’étais petit (à cause de sa dépression postpartum). Depuis, j’ai une très mauvaise image de mon corps. L’un de mes premiers souvenirs, c’est d’avoir été battu et d’être en larmes parce que ma mère menaçait de me jeter dehors, tout nu.

Quand j’ai atteint l’âge de la puberté, j’avais tellement honte que je me suis mis à détester mon corps. Et plus je le détestais, plus je détestais ma mère. Après tout, c’est elle qui m’avait fait. La seule chose que je pouvais faire, c’était faire comme s’il n’existait pas. J’étais comme le Dr Jekyll et Mr. Hyde, deux facettes incompatibles du même monstre. Mais, dans mon cas, le bon docteur arrivait mieux à réprimer ses pulsions, et le monstre ripostait de la seule manière dont il disposait: en s’autodétruisant. J’ai développé toute une série de handicaps. J’étais dans une impasse, jusqu’au jour où j’ai rencontré Anastasia, qui vous aide tellement à retrouver une image positive de votre corps qu’elle en est insupportable! Elle m’a aidé à me réconcilier avec ces chairs que je traîne et, ces derniers temps, je déteste un peu moins ma mère."

-Jim
Anastasia Kuba
"Je participe à ce projet parce que j’ai envie de m’aimer et je sais que je suis à peu près sur la bonne voie. Pour moi, l’amour-propre est une manière de me sentir à l’aise dans ce paquet de chairs et d’os qui me gêne depuis près de trente ans. Que se passe-t-il quand on s’autorise à se mettre à nu – littéralement –, sans défense, sans maquillage, sans vêtements. Seule devant l’objectif. Je trouvais ça à la fois terrifiant et très excitant, et c’est comme ça que j’ai compris que je devais me prêter à l’exercice. J’adore tirer des leçons de mes expériences. Je me suis dit: 'J’ai fait énormément de progrès. J’aime enfin mon corps. Ce sera l’occasion de l’admirer, et d’avoir des super photos sans faire aucun effort!' Disons que les choses ne se sont pas tout à fait passées comme ça…"

-Daisy
Anastasia Kuba
"Les traumatismes sont intimement liés à mon attirance pour le projet Nothing But Light. J’ai survécu à des violences sexuelles, mais j’ai du mal à savoir ce qui est bon ou non pour mon corps. Le sentiment le plus courant quand j’y fais attention, c’est la honte. Au fil des années, il a appris à se protéger, mais seulement après que mes hanches ont accidentellement permis à des mains de me toucher, après qu’on m’a dit que ce corps ne m’appartenait pas et que d’autres pouvaient en profiter. Ce traumatisme a germé dans mes os, s’est répandu jusqu’à emprisonner ces hanches et ce corps, en me disant que c’était la seule manière d’être à l’abri. Mais aujourd’hui ce corps est le mien, personne ne l’a touché depuis sept ans, et j’ai le droit de m’ouvrir. Nothing But Light m’a permis d’exister et de voir ma peau. Doucement, patiemment, et avec respect."

- Joss
Anastasia Kuba
“Quand la séance s’est terminée, et que nous avons commencé à regarder les clichés, j’ai dit, à propos de la première: 'Celle-là, je l’aime bien. Elle est apaisée.' Anastasia m’a répondu: Toutes tes photos sont apaisées. Tu es quelqu’un d’apaisé.' Parfois, je l’oublie. Il y a tellement de choses qui me travaillent habituellement l’esprit! J’ai une sorte de trouble obsessionnel que l’on qualifie de ‘purement obsessionnel’, et je n’arrête pas de compter dans ma tête. Les syllabes. Les rythmes musicaux. La machine qui tourne silencieusement en moi mesure constamment tout ce qui peut l’être. La peur et la colère qui envahissent régulièrement mon cerveau à cause du syndrome du stress post-traumatique rendent ce corps particulièrement inhospitalier. J’étais en colère contre énormément de choses depuis près d’un an, et puis je suis tombée malade et j’ai dû faire une pause pour prendre soin de moi."

-Isobel
Anastasia Kuba
"1) Tu es une fille. 2) Pour être aimée et survivre en tant que fille, tu dois être belle. 3) Mais en fait t’es moche. Il ne te reste plus qu’à faire semblant. Et c’est ce que j’ai fait, avec toute l’énergie du désespoir. Faire semblant d’être une jolie fille, puis une femme sexy. Trente-quatre ans que ça dure, et je déteste toujours autant ça. Au lieu de correspondre à un idéal dont mon corps ne serait jamais à la hauteur. Parfois, j’arrivais si bien à donner l’illusion que j’oubliais pendant quelques heures à quel point j’avais l’air à la fois féminine et si peu féminine. Et puis quelqu’un me prenait en photo et je me souvenais que, selon les critères que l’on m’avait enseignés quand j’étais enfant, je ne méritais pas d’être aimée. Et, pour ne rien arranger, j’étais en outre terriblement gênée. Ce qui explique pourquoi la meilleure manière de me déprimer est de me prendre en photo parce que j’étais censée être jolie, et de me forcer à regarder le résultat. Peu importe où je suis, que je sois entourée de gens qui m’aiment, peu importe ce que je fais, les photos de moi me consternent. Le mot ‘selfie’ m’emplit de terreur!"

-Carson
Anastasia Kuba
"Je l’ai fait pour deux raisons: 1. Je suis la première à dire que j’ai un super cul, que je suis vaniteuse, que je suis très fière de mon corps noir. Etre noire et vaniteuse, c’est révolutionnaire!

2. J’espère que d’autres Noires s’identifieront à mes photos. Je veux qu’elles sachent qu’elles sont belles, elles aussi."

-Taylor
Anastasia Kuba
"Quand nous regardions les photos, Anastasia m’ parlé du fait qu’elle remarquait qu’il y avait toujours un moment où le modèle redevient un enfant. Nous avons trouvé les photos qui montraient ce moment. Il y en avait aussi sur lesquelles on voyait le poids des années sur mon visage et la fatigue que mon cœur tentait de surmonter, même si je ne sais pas si d’autres le verraient. C’était tout aussi charmant. Comme un bébé apeuré que je tente d’aimer et de rassurer de mon mieux."

-Neil
Anastasia Kuba
"Je savais que ce ne serait pas une séance de photos chics. Mais l’une des choses qui m’attiraient, c’était le défi de montrer ma féminité une fois qu’il n’y a plus de maquillage, de rembourrage, une fois que l’on est nu. Pourtant, en regardant les photos, la seule chose que je remarquais, c’était que j’avais une coupe horrible (ils avaient frisé le matin-même et je n’avais pas eu le temps de m’en occuper), que sans le fond de teint ma peau était rouge et couverte de taches, que j’avais une poitrine d’homme obèse plutôt que des seins, que mon ventre était énorme. J’avais l’air grosse, moche… et bien trop masculine."

-Joie
Anastasia Kuba
"J’ai toujours fait une distinction entre mon corps et moi depuis que je suis toute petite, pour garder un semblant d’équilibre affectif et physique. Quand j’étais enfant, j’ai été agressée sexuellement, couverte d’insultes, rejetée à cause de la couleur de ma peau, par des adultes et d’autres enfants, et par une personne qui s’occupait de moi. Mon corps a encaissé tout cela, sans que personne ne se préoccupe de mon état d’esprit, de la façon dont je vivais les choses. Ca a été une source d’humiliation au tribunal quand j’étais petite. J’ai trouvé la lumière, et j’ai été obligée de séparer le mental et le physique. Toujours davantage. Je suis née avec des malformations liées aux toxines que respirait ma mère quand elle ramassait des tomates dans la San Joaquin Valley quand elle était enceinte de moi. J’ai subi plusieurs opérations quand j’étais petite, pour réparer ma colonne vertébrale et mon bassin. Je suis née avec un spina bifida partiel, à cause des pesticides. Victime de mon environnement? J’ai attrapé l’hépatite C pendant une de ces interventions chirurgicales parce que j’avais besoin d’une transfusion, ce qui a entraîné un cancer du foie."

-Wendy

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