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Google a gagné au jeu de go, mais l'IA est encore très loin de l'intelligence humaine

Google a gagné au jeu de go, mais l'IA est encore très loin de l'intelligence humaine
Artificial intelligence and communication, brain, circuit-board, micros and electrodes.
Christian Lagereek via Getty Images
Artificial intelligence and communication, brain, circuit-board, micros and electrodes.

19 ans après, Alpha Go a remplacé DeepBlue au panthéon de l'histoire de l'intelligence artificielle. Le programme a remporté samedi 12 mars sa troisième victoire consécutive dans une série de cinq parties contre le champion du monde du jeu de go, Lee Se-Dol, qui domine la discipline depuis une décennie.

La victoire du programme développé par DeepMind, une start-up rachetée par Google, est emblématique, et surtout inattendue. Il y a encore quelques mois, la plupart des experts, qu'ils soient spécialistes du jeu de go ou de l'IA, estimaient que le go était le pinacle des jeux de réflexion et qu'une victoire de la machine n'aurait pas lieu avant des années.

Et même en octobre, alors que Google dévoilait la victoire d'AlphaGo sur le champion européen, personne ne pariait sur la machine. Mais en cinq mois, le programme a continué à apprendre, à s'entraîner, à s'améliorer, tout seul. Effrayé? Il ne faut pas (encore). Après tout, DeepMind ne fait que magnifier et perfectionner des technologies qui existent depuis des années et qui sont encore bien éloignées de la manière dont notre cerveau fonctionne.

Le robot, ce cancre

"On estime que le jeu de go, c'est du raisonnement. Mais en réalité, l'intelligence artificielle qui maîtrise le jeu de go n'a pas de cheminement logique", estime Claude Touzet, chercheur sur l'IA au CNRS. "Elle arrive à prévoir un usage en ayant vu des millions de combinaisons. Pour ce faire, le système utilise des technologies qui existent déjà depuis un ou deux ans, comme la reconnaissance vocale ou d'images dans nos smartphones", précise le chercheur.

Ces techniques, deep learning et reinforcement learning, permettent à un ordinateur de créer des modèles à partir d'une grande quantité d'exemples, puis de s'auto-entraîner (dans le cas d'AlphaGo, en jouant des parties contre lui-même). Mais si la méthode est efficace pour certaines tâches, ce n'est pas le cas pour d'autres, qui nous semblent pourtant évidentes.

Des IA utilisant ces techniques ont par exemple passé un examen de niveau 4e, en ingurgitant des énormes bases de données scientifiques. La meilleure d'entre-elles a répondu bon à 60% des questions. Et encore, seules les QCM ont été gardées à l'inverse d'un test classique.

Quand on parle de QI, il faut encore descendre de quelques classes. Une IA du MIT a répondu à un test destiné à des enfants de moins de six ans, rappelle Le Monde. Le programme s'en est plutôt bien sorti sur le vocabulaire et les similarités (logique, ce sont les deux grandes catégories particulièrement adaptées au deep learning).

Par contre, le côté raisonnement et compréhension du monde n'a pas vraiment fonctionné, raconte le quotidien: "A la question 'où peut-on trouver un professeur?', il a apporté des réponses absurdes, comme 'piano'". Au final, le programme du MIT aurait le QI d'un enfant de quatre ans, mais n'a pas du tout fait les mêmes erreurs qu'un bambin de cet âge.

Le cerveau, la meilleure des machines

"L'intelligence artificielle ne fatigue pas, ne stresse pas et a des capacités de traitement colossales. Mais elle ne sait faire que ça, elle est ancrée dans sa mission", estime Bruno Poucet, neuroscientifique au CNRS, qui liste les avantages de la merveilleuse et complexe machine qui nous sert de tête.

"Le cerveau humain dispose de flexibilité, il peut catégoriser des informations très rapidement pour évacuer les éléments non essentiels. Surtout, le cerveau apprend très rapidement, se développe et "s'auto-façonne" physiquement, c'est la plasticité que la machine n'a pas. La capacité d'abstraction du cerveau est énorme, il manipule des symboles, pas des données.

Et c'est justement grâce à ces capacités, fruits de millions d'années d'évolution, que nous sommes capables de choses qui nous paraissent banales, mais insurmontables pour des machines, comme arriver à généraliser un concept avec seulement quelques exemples. Bref, un apprentissage non supervisé.

Copier l'humain pour parfaire la machine

"Ce type d'apprentissage est prédominant chez les animaux et les humains", explique Yann LeCun, l'un des inventeurs du deep learning et chercheur chez Facebook et à l'université de New York.

"Par exemple, si je dis 'Pierre prend son téléphone et sort de la pièce', vous imaginez beaucoup de choses induites par cette phrase, sur comment l'action s'est déroulée. La machine ne sait pas encore faire ça, y arriver, ça serait lui donner le sens commun", précise-t-il.

Réussir à maîtriser ce nouveau type d'apprentissage est le grand enjeu des années à venir pour l'intelligence artificielle. "On travaille dans des environnements virtuels pour simuler des situations. Par exemple, créer un système qui peut prévoir ce qui va se passer dans une vidéo, en analysant le mouvement de la caméra, sa direction. Ou encore prédire le mot qui va venir après un texte", explique le chercheur.

Une machine qui peut apprendre de peu de données, ou de données fausses, ou sans instruction, c'est aussi quelque chose sur lequel travaille Google, avec le "quantum learning", qui utiliserait les ordinateurs quantiques. "On ne sait pas fabriquer de vrais ordinateurs quantiques et cela ne devrait pas arriver avant 15 ou 20 ans. C'est beaucoup trop tôt pour savoir si cette théorie aura un impact", affirme Yann Lecun.

Une quête qui prendra des décennies

Le fait d'arriver à apprendre à la machine de manière non supervisée prendra, dans tous les cas, des années, voire des décennies. Et, quand nous y arriverons, seront nous enfin en présence d'une "AGI", une intelligence artificielle générale, non spécialisée? "L'apprentissage non supervisé est une condition nécessaire, mais sera-t-il suffisant? On voit cette montagne, mais combien y en a-t-il derrière?" interroge le chercheur.

"Ce qui est sûr, c'est qu'un algorithme révolutionnaire ne sera pas développé dans une start-up en secret. La recherche sur l'intelligence artificielle est l'un des plus grands problèmes scientifiques actuels, et ce n'est pas une chose qu'une seule entité peut résoudre. C'est une recherche ouverte et partagée, entre les universités et les grandes entreprises qui fonctionnera, avec un 'progrès progressif'".

La question n'est pas de savoir si cela sera possible, mais quand. Des experts en IA ont été sondés pour estimer à quelle date une machine sera aussi intelligente qu'un être humain, la moitié des participants estiment qu'une AGI avait une chance sur deux d'apparaître avant 2040 et 90% de chance d'ici 2075. "Une AGI est possible. Ce ne sera pas avant 20 ans, et plutôt d'ici 50 à 100 ans", estime Yann LeCun, sans trop se mouiller. Mais après tout, cela ne fait que trois générations maximum.

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