Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Des critiques réclament une enquête publique sur l'ARC et KPMG

Des critiques réclament une enquête publique sur l'ARC et KPMG

À la lumière de l'amnistie offerte par l'Agence du revenu du Canada à des clients du cabinet comptable KPMG, impliqué dans un stratagème d'évitement fiscal à l'île de Man, plusieurs groupes, politiciens et experts réclament une enquête du gouvernement fédéral.

Avec les informations de Frédéric Zalac, Harvey Cashore, Dave Seglins et Kimberly Ivany

Une enquête de CBC/Radio-Canada révélait mardi que des clients fortunés de KPMG, qui ont caché des millions de dollars dans des sociétés-écrans enregistrées à l'île de Man, ne feraient face à aucune pénalité ni accusation criminelle, en vertu d'une proposition faite par l'Agence du revenu du Canada.

Le professeur spécialisé en impôt de l'Université Laval, André Lareau, estime que la nouvelle ministre du Revenu national, Diane Lebouthillier, devrait annuler l'accord le plus tôt possible. « L'offre devrait être retirée », dit-il, en ajoutant que cette amnistie équivaut à dire aux contribuables fortunés « nous vous donnons une absolution. »

Durant la période de questions hier, le chef du NPD Thomas Mulcair a appelé le premier ministre Justin Trudeau à lancer une enquête sur cette offre secrète.

« Arrêtez de protéger les riches et commencez à défendre un système fiscal équitable pour tous », a déclaré Thomas Mulcair. « Combien de fois se sont produites de telles choses et est-ce que le premier ministre va demander une enquête? »

Le directeur de l'organisation Canadiens pour une fiscalité équitable, Dennis Howlett, veut aussi que le nouveau gouvernement libéral agisse. « Je voudrais appeler le nouveau gouvernement à lancer une enquête complète, dit-il. Qui était responsable? Quel genre de transactions ont été faites? À quel niveau? »

Dennis Howlett a également souligné que les libéraux ont fait campagne sur la réforme de l'Agence du revenu du Canada, en promettant un investissement de 80 millions de dollars sur quatre ans pour sévir contre l'évasion fiscale et la fraude.

« Voici donc l'occasion [pour les libéraux] de nous montrer qu'ils sont sérieux dans leurs promesses et qu'ils vont agir en conséquence. »

— Dennis Howlett, directeur de l'organisation Canadiens pour une fiscalité équitable

« Pire qu'un paradis fiscal »

Le stratagème de l'île de Man durait depuis plus de 10 ans, mais l'ARC ne l'a découvert qu'en 2012. Le fisc a ensuite entrepris des procédures légales pour que KPMG dévoile l'identité des clients impliqués. La cause n'a jamais été conclue, mais des documents déposés en cour à l'automne dernier révèlent que 15 des 21 clients visés de KPMG se sont eux-mêmes identifiés à l'ARC, à la suite de l'offre d'amnistie, envoyée par l'Agence en mai dernier.

André Lareau, de l'Université Laval, qui s'est rendu à l'île de Man en 2015 avec une équipe de CBC/Radio-Canada, dit qu'il n'arrive pas à comprendre pourquoi l'ARC a fait cette offre secrète aux clients de l'ARC.

Cet expert en droit fiscal se dit particulièrement troublé que l'ARC ait insisté pour que cet accord reste confidentiel, à défaut de quoi l'offre serait résiliée.

« Le Canada est encore pire qu'un paradis fiscal où il n'y a pas de transparence », a-t-il déclaré, après avoir lu la clause de confidentialité.

Il ajoute que si la nouvelle ministre lance une enquête, celle-ci devrait également porter sur KPMG et la manière dont le cabinet comptable a maintenu le stratagème caché durant plus d'une décennie.

Vous avez des renseignements à nous faire parvenir sur ce sujet? Vous pouvez joindre de façon confidentielle le journaliste Frédéric Zalac par courriel à frederic.zalac@radio-canada.caou par téléphone au 604-662-6682.

Une enquête n'est pas nécessaire, dit l'ARC

Le sous-commissaire de l'ARC responsable des programmes d'observation, Ted Gallivan, dit qu'il tiendra compte des commentaires de M. Lareau. « Je pense que la seule chose responsable que je peux faire en tant que fonctionnaire est d'écouter ce point de vue. » Il rejette cependant la nécessité d'une enquête publique.

Ted Gallivan, qui est entré en poste récemment, dit qu'il n'était pas au courant de l'offre de règlement de l'agence pour les clients de KPMG. « Ceci est un dossier très important, mais il ne représente même pas 1 % du volume de travail que nous faisons. »

Un avocat de Toronto réclame le même traitement

L'avocat fiscaliste Toronto Duane Milot, qui représente des dizaines de contribuables à revenu moyen dans des litiges avec l'ARC, a déclaré cette offre montre qu'il existe un « double standard » entre la façon dont ses clients ont été traités par l'Agence et ceux de KPMG.

« Je pense que l'ARC doit expliquer son comportement, dit-il. Les Canadiens ont le droit de savoir ce que l'Agence fait, et vous ne pouvez pas faire de telles offres attrayantes pour les millionnaires sans expliquer pourquoi vous l'avez fait. »

L'avocat demande aussi un sursis sur les pénalités imposées à certains de ses clients qui, selon lui, ont été victimes d'un préparateur d'impôts sans scrupules.

« Si les clients de KPMG ont droit à cette offre, mes clients y ont tout aussi droit, sinon plus. »

— Duane Milot, avocat fiscaliste

Duff Conacher, professeur invité d'éthique du gouvernement à l'Université d'Ottawa et cofondateur du groupe Democracy Watch, dit que l'offre secrète faite à KPMG démontre le genre de tractations en coulisses que les libéraux ont fait campagne pour changer.

Il dit que ceci est l'occasion « pour les libéraux d'agir pour assainir une situation qui sent mauvais. »

L'ancien sénateur libéral Percy Downe, qui fait campagne contre les paradis fiscaux depuis des années, appelle également le gouvernement Trudeau à enquêter.

« Compte tenu des restrictions imposées aux gouvernements fédéral et provincial et à l'échec de l'Agence du revenu à agir de manière responsable, il devrait y avoir une enquête publique », dit-il.

La version intégrale du reportage de Frédéric Zalac sera diffusée à l'émission Enquête de jeudi prochain, à 21h.

La ministre du Revenu refuse de parler

En réponse à une demande d'entrevue de CBC/Radio-Canada, le directeur des politiques de la ministre du Revenue Diane Lebouthillier, Jacques Hudon, a déclaré qu'il serait inapproprié de s'adresser aux journalistes sur ce sujet.

« Comme les questions soulevées dans votre correspondance sont devant les tribunaux, précèdent la nomination de la ministre actuelle, ou sont liées à des questions administratives, il serait inapproprié pour elle de les commenter », a déclaré M. Hudon.

Il a ajouté que l'ARC avait déjà fourni « des informations substantielles » sur cette question aux journalistes de CBC/Radio-Canada.

Les demandes faites par CBC/Radio-Canada auprès du bureau du premier ministre sont également restées sans réponse.

Cependant, durant la période des questions à la Chambre des communes mardi, le premier ministre a dit qu'il allait se pencher sur l'offre secrète faite aux clients de KPMG. « C'est important pour nous que les Canadiens, tous les Canadiens, paient leur juste part d'impôts, et nous allons veiller à ce que cela continue d'être le cas dans l'avenir. Si les décisions prises sous un gouvernement précédent sont erronées, nous allons assurément les examiner. »

L'Agence du revenu du Canada a déclaré dans un communiqué que « le règlement rapide des différends est dans l'intérêt du public. Un litige est coûteux pour tous et les litiges fiscaux complexes peuvent être infructueux. »

Avec la collaboration de Katie Pedersen

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.