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Marie, 56 ans, ancienne prostituée

Marie, 56 ans, ancienne prostituée

Pendant 15 ans, Marie a vendu son corps. À des jeunes, des vieux, des hommes mariés, des hommes violents. Et puis un jour, elle a décidé qu’elle valait autre chose. Rencontre avec une ancienne prostituée qui témoigne de son combat pour sortir de ce milieu.

Elle ne ressemble plus à celle qu’elle a été. Cheveux courts, cigarette au bout des lèvres, enfoncée au fond d’un grand fauteuil de son appartement montréalais, Marie ne laisse pas transparaître ses cicatrices intérieures, et c’est sans complexe qu’elle raconte comment elle est tombée dans la prostitution, alors qu’elle n’avait que 15 ans.

À Québec, elle vend son corps après avoir fui des parents adoptifs incestueux. Parfois pour de l’argent. D’autres fois pour des cadeaux. « Ce que je valais, c’était mon cul. J’ai essayé de me trouver un emploi au début, mais à chaque fois, les patrons m’ont agressée », raconte-t-elle.

« Plus tu étais jeune et prête à aller loin, mieux tu étais payée »

Elle finit par intégrer un réseau de prostitution criminel à Montréal. Dans le centre-sud, sur Sainte-Catherine, dans des petits motels rue Saint-Hubert, sur l’île des Sœurs, Marie se vend. « Ce qu’on l’on gagnait, ça dépendait de notre âge. Plus tu étais jeune et prête à aller loin, mieux tu étais payée ». Et pour tenir le coup, elle prend de l’acide, de la cocaïne et parfois même de l’héroïne. « C’est un cercle vicieux. Pour te donner de la force, tu te drogues. Mais pour payer ta dope, tu dois te prostituer», explique-t-elle en tirant une grosse bouffée sur sa cigarette.

Les discussions avec les autres filles tournent autour de leur avenir. « On voulait toutes en finir avec ça. Certaines d’entre nous avaient des enfants et ne voulaient pas de ça pour eux ». Marie est tombée deux fois enceinte. « La première fois, j’étais mineure, j’ai pu avorter, mais cela m’a coûté 400 $. La deuxième fois, je voulais le garder. Cela peut sembler étrange, mais à l’époque, j’étais très croyante. Malheureusement, j’ai fait une fausse couche. C’était très dur ».

Car dans ces années-là, le discours de prévention n’est pas aussi répandu qu’aujourd’hui. « C’était très rare que j’utilise des préservatifs, mais je prenais quand même la pilule. Je me considère comme chanceuse aujourd’hui de ne pas être malade ».

Durant ses nuits, Marie voit de tout : « Des jeunes, des vieux, beaucoup d’hommes mariés… » S’ils entrent dans son intimité, la jeune femme entrevoit aussi la leur. « À force, ils nous parlaient de leur vie, de leur femme, de leurs enfants ». Même des policiers profitent de ses « services ». Elle se souvient : « Pour une pipe, tu gardais ton casier vierge ».

Certains étaient même « aimables. Mais évidemment, je n’ai jamais pris de plaisir à coucher avec l’un d’eux, de toute façon ils ne pensaient qu’au leur, pas vraiment au mien. Certains nous dégoutaient vraiment. Ceux qui ne se lavaient pas, qui arrivaient débraillés, c’était les pires ».

Presque pire que ceux qui ont une appétence pour le « sexe violent » à entendre Marie. À Montréal, l’un de ses clients réguliers, adepte du sadomasochisme, lui casse le bras et une dent, l’envoyant ainsi à l’hôpital.

« Je me suis dit que ça ne pouvait plus durer. Que la prochaine fois, il allait me tuer ». Au fil du temps, la jeune femme réussit à se trouver un emploi de jour, à se réinscrire à l’université et accorde moins de temps à son activité nocturne.

La peur la pousse à se battre pour s’extirper de l’industrie du sexe. Mais c’est aussi cette peur qui la fait parfois douter, car elle sait qu’elle s’expose à des représailles : « J’ai décidé de me raser les cheveux, j’ai grossi volontairement pour être méconnaissable et j’ai réutilisé mon vrai prénom qu’ils ne connaissaient pas », détaille-t-elle.

Ce qui compte alors pour elle, c’est terminer ses études à tout prix. « Mon père m’a agressée sexuellement, mais il n’était pas que ça. Il m’a donné le goût des études, il m’a toujours aidé et je pense qu’il m’a toujours sincèrement aimé. Lorsqu’il est décédé, je me suis dit "J’espère qu’il sera accepté là-haut". Je pense que je lui ai pardonné », avoue-t-elle, encore très émue.

« Ce n’est pas un choix qui les a amenées ici, c’est un chemin »

Aujourd’hui, Marie travaille à la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES) de Montréal et termine un doctorat en sémiologie musicale. Les cicatrices de son passé, elle les portera toujours, et il est encore très difficile pour elle d’avoir une sexualité normale : « Dès qu’on est un peu brusque avec moi, qu’on se comporte comme l’un des hommes que j’ai pu côtoyer, ça me refroidit immédiatement ».

Marie vit avec la peur de tomber amoureuse, mais s’accroche. Elle tient aujourd’hui un discours abolitionniste sur la prostitution. « Les femmes qui se prostituent valent autre chose, elles valent mieux que ça. Ce n’est pas un choix qui les a amenées ici, c’est un chemin. On leur doit mieux que ça ».

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