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Le tatouage a-t-il encore un sens?

Le tatouage a-t-il encore un sens?
Reuters

Le tatouage est une pratique millénaire qui, aujourd'hui, s'est totalement démocratisée au point de devenir un phénomène médiatisé. En témoignent les nombreuses conventions autour du tatouage organisées à travers le monde comme le Mondial du Tatouage, qui se déroule à partir de ce vendredi 4 jusqu'au dimanche 6 mars, à la Grande Halle de la Villette, à Paris. L'occasion pour les aficionados de découvrir de nouvelles signatures, de nouvelles techniques ou encore de nouvelles tendances.

L'occasion également de se demander si se faire tatouer revêt encore un sens? Des émissions de télé-réalité mettant en scène des concours entre tatoueurs aux studios qui proposent, pour un moindre coût, de se faire tatouer n'importe quel dessin en passant par la scarification des professionnels du métier, le tatouage semble désormais s'inscrire au rang des services liés à la consommation de masse.

Le tatoueur Tin-Tin entouré par Daphné Burki et Günther Love, les parrains du Mondial du Tatouage français.

L'an dernier, le célèbre tatoueur français Tin-Tin, à l'origine du Mondial, affirmait que le tatouage était loin d'être un phénomène de mode. "La mode est par nature éphémère, alors que le tatouage est permanent", déclarait-il à France Culture à l'occasion de l'exposition "Tatoueurs, tatoués", organisée au Musée du Quai Branly.

Le sociologue David Le Breton, auteur du livre "Le tatouage ou la signature de soi" (Éditions Calimiro, 2014), estime que "le tatouage s'est complètement banalisé. "Nous sommes aux antipodes des attitudes rebelles des années quatre-vingt, et à l'inverse dans une attitude consumériste qui s'ignore", note-t-il. "Le tatouage est aujourd'hui banalisé, il ne recèle rien de subversif, il est l'affirmation d'un esthétique de la présence."

Du transgressif au branché

Dans l'ouvrage "Une Antropologie du tatouage contemporain" (Éditions L'Harmattan, février 2013), la chercheuse Elise Müller dégage cinq raisons principales de se tatouer, rapporte Slate.fr: "marquer le passage à une nouvelle étape de la vie, se rassembler (rassembler ses différentes facettes, ses différentes origines...), exprimer ses valeurs, illustrer le mythe personnel."

Selon elle, "si le tatouage existe en Europe depuis des millénaires", il ne s'est démocratisé que dans les années 70 en gardant encore un brin son caractère transgressif. "Ce n’est que progressivement 'et notamment en raison de sa valorisation dans les médias (icônes, sportifs, etc.)' que le tatouage est devenu 'branché' (...) Sans doute parce que, désormais, ceux qui osent la marque et l’exhibent sur les écrans sont des personnes mises en lumière et qui véhiculent les clichés d’une 'vie réussie' (acteurs, chanteurs, sportifs, etc. Tous beaux, riches et bien dans leur peau!)."

S'il est difficile d'estimer combien de personnes sont tatouées en France, un sondage IFOP en date de 2010 pour Dimanche Ouest indiquait que le tatouage concerne 10 % de la population. De surcroît, le tatouage concernerait surtout les jeunes, entre 25 et 34 ans (20%).

Claire Octopus est l'un des artistes-tatoueurs qui présentera son travail au cours du Mondial du Tatouage en France. Avec son compagnon, Steph D., elle tient le studio Octopus, depuis quatre ans, à Pontoise, en Île-de-France. "Il est évident que de plus en plus de gens sont tatoués", indique-t-elle.

Même constat du côté de Myra Brodsky, tatoueuse berlinoise, qui présentera également son travail au Mondial. Elle ajoute, de surcroît, que de plus en plus de personnes se font faire des tatouages pour le plaisir sans chercher de sens véritable à la démarche. "Il s'agit pour eux d'être à la mode, note-t-elle. Cela a permis aux tatoueurs qui travaillent au noir de devenir très populaires à Berlin ces dernières années".

Un travail d'équipe entre tatoueur et client

Claire Octopus affirme prendre 10 à 45 minutes avant de se décider à tatouer le client. "Nous avons de la chance, car les clients s'attachent, majoritairement, à notre style singulier et cela nous laisse une grande liberté". Un style qui mêle cartoon, new-school et couleurs flashy entre personnages Disney trashy et 3D. "Les démarches sont différentes, et cela, que l'on soit collectionneur, passionné ou que l'on tienne à inscrire un moment particulier de sa vie sur son corps", ajoute-t-elle. "Le tatouage induit un travail d'équipe entre le tatoueur et son client".

"Pour ma part, je suis toujours très curieuse, indique Myra Brodsky. Je suis aussi très pointilleuse quand j'échange avec le client. On en apprend beaucoup sur une personne rien qu'en sachant quel type de tatouage il imagine sur sa peau." Myra Brodsky réalise des tatouages qui s'accordent avec l'imagerie autour de l'art et de la composition s'attachant à différentes périodes de artistiques (la Belle Époque, l'art déco, etc.). "Les gens vont au musée pour admirer des tableaux ou des sculptures artistiques appartenant au passé, déclare-t-elle. Quand je travaille, je fais en sorte que mes clients considèrent leurs tatouages de cette façon".

Un tatouage signé Claire Octopus.

"Le tatouage est un médium qui évolue", selon Tony, tatoueur au sein du studio Biribi, à Lyon. "Même si le tatouage devient un produit de consommation de masse, il reste une pratique millénaire au sein de laquelle la notion de rituel et la question du rapport au corps sont encore bien présentes". Tony ne s'attache qu'à réaliser un tatouage par jour, et cela, peu importe le temps que cela lui prend. "Pour moi, le tatouage reflète une esthétique, une vision et une façon de penser donc je ne comprends pas que l'on puisse réaliser 4 à 5 tatouages par jour".

Un tatouage signé Tony, du Studio Biribi à Lyon.

Dans les années 80, il n'existait qu'une vingtaine de studios de tatouage en France contre plus d'un millier aujourd'hui. "Les tatouages aujourd’hui ne sont généralement pas des tatouages de revendication, d’appartenance à un groupe notamment criminel. Ils sont esthétiques", confiait Jérôme Pierrat, rédacteur en chef de Tatouage Magazine en 2015, à Slate.fr.

Pour Myra Brodsky, les réseaux sociaux ont tellement d'impact que n'importe quelle personne capable de se mettre en avant peut attirer l'attention que ce soit seulement un quart d'heure ou de façon permanente. "La scarification ne concerne pas seulement les artistes-tatoueurs et je suis loin de jeter la pierre à ceux qui en arrivent là, précise-t-elle. Mais Internet a son rôle à jouer quant à la banalisation du tatouage en lui-même et la multiplication des tatoueurs, qu'ils soient bons ou pas".

Vers le tatouage fait-maison

Aujourd'hui, de nombreuses tendances se dessinent. Pour exemple, le tatouage réalisé sous les seins fait fureur chez les femmes. Il existe aussi en France une pratique consistant à improviser sur la peau. Mais les tatoueurs qui en sont adeptes se comptent sur les doigts de la main. Ils trouvent ainsi l'occasion de séduire une clientèle à travers un travail spontané et expérimental qui va au-delà de l'esthétique. La signature prend donc le pas sur le sens du tatouage en lui-même.

Là encore, c'est le style du tatoueur qui prime même si un échange avec le client s'avère également nécessaire. Entre spontanéité et expérimental, le client se livre au tatoueur qui au gré de son inspiration et des aspirations du client, lève le voile sur son oeuvre à la toute fin de son travail. "Se faire tatouer n'importe quel dessin sur la peau, ce n'est pas ma conception de ce métier", affirme Claire Octopus.

Quoi qu'il en soit, se faire enlever un tatouage n'est plus une sinécure aujourd'hui. Avec un laser classique, il faut plus de deux ans pour arriver à effacer un tatouage complètement quand la machine "PicoSure", qui nous vient des États-Unis, réduit le traitement d'un an par exemple. Si cela peut expliquer l'explosion des tatouages réalisés sous le coup de l'impulsivité, le coût de ces traitements reste encore onéreux (près de 300 euros la séance quand 5 à 10 séances sont nécessaires selon la nature du tatouage).

Et que dire du nombre d'émissions de télé-réalité autour du tatouage qui pullulent? Elles mettent parfois en scène des volontaires qui acceptent de se faire tatouer par des candidats sous les yeux de ceux que l'on imagine être la crème des tatoueurs. Ces volontaires sont-ils castés par les productions parce qu'ils font peu de cas de la signification du tatouage pour eux-mêmes? On peut citer "Best Ink", "Ink Master : le meilleur tatoueur", "Tattoo Titans" ou encore "Tattoo Nightmare". Une pléthore de programmes qui ne reflètent absolument pas le quotidien du tatoueur selon Claire Octopus.

Le tatouage fait maison pourrait aussi venir révolutionner le monde du tatouage. L'anglais Jakub Pollág a récemment imaginé une machine à tatouer personnelle, un dermographe simplifié qu’il a conçu pour “démocratiser l’industrie du tatouage” et “matérialiser vos pensées directement sur votre peau sans l’aide d’un tatoueur professionnel”, explique-t-il sur son site. À Paris, des tatoueurs organisent même des séances de tatouage à domicile. De quoi continuer à démocratiser la tendance en lui redonnant son sens originel peut-être...

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