Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

RVCQ : «la démarche a parlé» aux mordus de «Série noire»

RVCQ : «la démarche a parlé» aux mordus de «Série noire»
Bertrand Calmeau

Tous les billets avaient été vendus en vue de la Leçon de cinéma des auteurs François Létourneau et Jean-François Rivard, aux Rendez-Vous du cinéma québécois (RVCQ), samedi.

En ce beau soir de février, même si le faste de Montréal en lumière battait son plein quelques rues plus loin, les adeptes purs et durs de Série noire qui ont empli l’auditorium de la Grande Bibliothèque, préféraient causer de leur fiction préférée avec l’inspiré tandem qui lui a donné vie.

Déjà considéré comme culte par plusieurs, l’univers policier absurde de Série noire a été décortiqué sous toutes ses coutures à travers les questions de l’animatrice Marie-Louise Arseneault et les interrogations des spectateurs attentifs, lesquels ont souvent éclaté de rire aux réponses des deux créateurs, et ont soulevé des notions intéressantes, prouvant ainsi qu’ils sont bel et bien fidèles aux tribulations des scénaristes déchus que sont Denis (François Létourneau) et Patrick (Vincent-Guillaume Otis).

On a bien sûr fait attention de ne pas dévoiler les retournements à venir – rappelons que la deuxième saison de Série noire est disponible pour visionnement intégral sur Tou.tv depuis novembre, mais que seulement six épisodes ont été diffusés à la télévision de Radio-Canada -, mais on a néanmoins abordé plusieurs aspects de la production de Série noire pendant la discussion.

La causerie, fort intéressante, s’adressait aux vrais admirateurs, familiers avec le style et l’humour uniques de Série noire. Dans le langage Série noire, on pourrait dire que la démarche leur a parlé… et tout le monde a écouté. «Bring It On!»

Les prochaines Leçons de cinéma des RVCQ auront lieu le 23 février (avec Philippe Falardeau) et le 26 février (avec Pascale Bussières). Plus tôt aujourd’hui, le 22 février, c’était le réalisateur et directeur photo André Turpin qui se prêtait à l’exercice.

Voici quelques faits saillants de l’échange avec François Létourneau et Jean-François Rivard :

Dans le processus d’écriture de Série noire, Jean-François Rivard (aussi réalisateur) a plus de facilité à élaborer l’aspect visuel, tandis que la force de François Létourneau (aussi comédien) se situe au chapitre des dialogues. «On n’écrit pas à quatre mains, mais on construit, on brainstorme», a laissé savoir François. Les deux amis écrivent dans un local semblable à celui de leurs alter egos dans la série : leurs bureaux se font face, un tableau est posé non loin d’eux, une machine à café aussi. «Mais on n’a pas de fruits frais», a précisé Létourneau, sous les rires de la foule, adressant ainsi un clin d’œil à une réplique de Série noire. Tous deux essaient constamment de surprendre en pondant les scènes qu’ils montreront ensuite à l’autre. «En télé, je ne voudrais jamais écrire seul, a martelé François. Au théâtre, oui, mais pas en télé.»

Rivard et Létourneau ont pris une pause d’écriture après l’aventure des Invincibles, qui a duré le temps de trois saisons. «C’est ce que je trouve dur de la télé, il faut écrire vite», a avancé François Létourneau. Or, le tandem savait qu’il voulait proposer une nouvelle fiction. Avant de plancher sur Série noire, les deux artistes ont eu l’idée d’une «série apocalyptique, avant que ça soit à la mode», sur laquelle ils ont travaillé pendant trois mois, avant de la laisser tomber. Cette saga aurait débuté le 31 décembre 1999, dans un contexte où le fameux «bogue de l’an 2000» se serait produit, et les personnages auraient été sur le point d’aller applaudir le spectacle que donnait Céline Dion ce soir-là. Ordinateurs, avions et autres appareils auraient soudain été hors-service. Fait intéressant, l’inénarrable Marc Arcand devait déjà être dans ce projet! «On avait pensé à Xavier Dolan pour le jouer», a lancé Jean-François Rivard, mi-figue, mi-raisin.

Justement, parlant du fameux Marc Arcand, on doit son nom au fait que Jean-François Rivard s’amuse énormément des «noms qui ne fonctionnent pas et des mots phonétiquement imprononçables» qui, dit-il, «l’inspirent». La suggestion de baptiser un protagoniste du nom de Marc Arcand est venue du frère de Jean-François. «Il venait avec sa sœur, Claire Cliche», a badiné Rivard. À propos de Marc Arcand, les «pères» des Invincibles et de Série noire aiment bien tracer un lien entre leurs deux séries, en affirmant que, si Lyne-la-pas-fine et Rich-the-bitch avaient eu un enfant ensemble, ce serait Marc Arcand!

La trame de fond de Série noire est un peu la même que celle de l’Actors Studio, une institution américaine qui prône l’enseignement du jeu d’une manière réaliste, du genre «si tu veux jouer la douleur, tu dois avoir connu la douleur». En cours de développement, le fil conducteur policier s’est imposé aux auteurs. «Je suis toujours fasciné, rendu au dernier épisode, de me dire : mon Dieu, ça marche!», s’est extasié François Létourneau. «On ne veut rien laisser aller, a ajouté Jean-François Rivard. On veut toujours donner une justification à ce qui arrive, que ça soit crédible…» Le duo se bâtit des tableaux pendant son écriture pour toujours savoir où il en est dans ses mille et un rebondissements. «La métaphore est quétaine, mais c’est comme faire un voyage où tout est planifié, ou un autre où on arrive là-bas sans savoir ce qui va arriver», a illustré Rivard. «Même si, des fois, on se peinture dans le coin…!»

En ce qui a trait à la multitude de références culturelles et cinématographiques qu’ils insèrent dans leur scénario, Rivard et Létourneau ne s’obligent à rien. «C’est ludique, on a beaucoup de plaisir, a noté François Létourneau. Ce n‘est pas un travail de commande. On a décidé d’écrire une série policière de la façon qu’on pensait le faire.» Secret de tournage croustillant : il a fallu deux jours pour tourner la séquence de la cascade de sauce à spaghetti. À plusieurs reprises pendant leur Leçon de cinéma, Jean-François Rivard et François Létourneau ont remercié leur maison de production, Casablanca, leur productrice, Joanne Forgues, et Radio-Canada, de leur appui moral et financier, qui leur permettent d’aller au bout de leurs élans créatifs.

Jean-François Rivard dit faire énormément confiance à ses acteurs et estime que son boulot à lui, à cet égard, se situe surtout au moment de la sélection des comédiens. «Ce la grande direction de comédiens, pour moi, ça se passe au casting, a-t-il tranché. Comme réalisateur, je ne suis pas en train de montrer à quelqu’un à jouer…» Il se compare à un chef d’orchestre qui apporte un point de vue extérieur à la partition et au savoir-faire de ses musiciens.

«Jean-François n’aime pas les vedettes. Si vous voulez jouer dans l’une de ses séries, vous avez intérêt à ne pas être trop connu», a taquiné François Létourneau à l’endroit de son complice qui, apparemment, aime confier ses rôles à des visages encore inconnus, et non à des têtes d’affiche célèbres. Exception faite, évidemment, des contre-emplois à la Martin Drainville, Guy Nadon ou Alain Zouvi, dans Série noire. «Je me trouve très chanceux d’avoir travaillé sur des projets où on ne m’a pas imposé de comédiens», a sans détour avoué Jean-François Rivard.

Au sujet du East Gay Gang, cette organisation criminelle homosexuelle plus risible que dangereuse, dans Série noire, elle est née dans l’imagination des scénaristes à partir d’une simple déduction. «Dans le quartier gai, la drogue est partout, a observé Jean-François Rivard. Je ne peux pas croire qu’il n’y a pas une filière qui fournit quoi que ce soit!»

Pendant la discussion menée par Marie-Louise Arseneault, samedi, il a vaguement été question, au grand dam de Jean-François Rivard, des cotes d’écoute de Série noire, faibles au petit écran traditionnel, mais qui n’empêchent pas l’émission d’obtenir une très grande popularité. Jean-François Rivard est convaincu qu’en ce moment, le modèle habituel de la télévision est à repenser, à réinventer, pour mieux correspondre aux besoins des consommateurs. Les gars sont aussi conscients que leur produit s’adresse à un certain public et peut paraître «étrange» aux yeux des autres. «Mon père n’aime pas ça, Série noire», a avoué François Létourneau, sourire aux lèvres.

Quel est le grand thème porteur de Série noire, de l’avis de ceux qui ont mis le projet au monde? La performance. «Les sacrifices qu’on fait pour performer, a relevé Rivard. Je trouve qu’on met souvent nos familles et nos amitiés en péril pour avoir un standing social. Mais, quand on atteint ce standing-là, qu’est-ce qui nous reste après?»

Les scènes se déroulant à Alma dans la série ont véritablement été tournées à Alma. «Par respect» pour les gens de cette ville, l’équipe n’a pas voulu tourner en périphérie de Montréal et «faire semblant» d’être à Alma.

La trame musicale riche de Série noire est une manière, pour Jean-François Rivard, de compenser son «côté rock star frustré», a noté ce dernier, qui a aussi dévoilé se concocter une playlist de morceaux potentiels à ajouter sitôt qu’il commence une production. Chaque air est choisi minutieusement en fonction de l’action à accompagner. «Je ne mets pas une tune pour mettre une tune, a signalé le réalisateur. Je l’ai fait dans Les Invincibles, et j’ai réalisé récemment que c’était une orgie de tunes.» François Létourneau participe de son côté peu à ce volet de la création. «Des fois, il me lance des idées, mais c’est des hos… de tunes poches!», a crâné Jean-François Rivard, alors que les spectateurs pouffaient de rire.

Pourquoi ne voit-on jamais le réalisateur de La loi de la justice, la série écrite par Denis et Patrick, dans Série noire? «Parce qu’en télé, les réalisateurs, on s’en fout!», a soulevé Jean-François Rivard, en plaisantant. Plus sérieusement, c’est parce que La loi de la justice n’est qu’au stade de l’écriture et non en cours de tournage qu’il en est ainsi. Il avait été question, à un certain moment, d’inclure un personnage de réalisateur à cette galerie déjà riche, mais la possibilité a été écartée. Et les auteurs jugent que Marc Arcand assume un peu ce rôle dans la deuxième saison.

François Létourneau et Jean-François Rivard ont statué qu’ils concluraient l’épopée Série noire après seulement deux saisons, en raison, entre autres, du long délai qui a précédé la décision de Radio-Canada d’aller de l’avant avec une suite. «On ne voulait pas se faire imposer une fin. On voulait choisir notre fin», ont-ils décrété.

À court terme, François Létourneau et Jean-François Rivard ont envie de travailler sur de nouveaux projets, séparément, mais souhaitent un jour refaire équipe à nouveau. «On se tape sur les nerfs, des fois», a reconnu Létourneau. «Mais on ne se bullshite pas et on se dit toujours ce qu’on pense.» Le «vieux couple», comme ils se désignent eux-mêmes, bosse ensemble depuis 15 ans. Jean-François Rivard espère notamment s’offrir un temps d’arrêt pour profiter de sa nouvelle paternité, lui qui est devenu papa d’une fillette deux semaines avant le début du tournage de la deuxième saison de Série noire.

INOLTRE SU HUFFPOST

Avant les rues

RVCQ 2016: les films québécois inédits à ne pas manquer

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.