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Financement politique aux États-Unis, le nouveau Wild West

Financement politique aux États-Unis, le nouveau Wild West
HOOKSETT, NH - FEBRUARY 09: Democratic presidential candidate, former Secretary of State Hillary Clinton speaks during her primary night gathering at Southern New Hampshire University on February 9, 2016 in Hooksett, New Hampshire. Democratic rival Sen. Bernie Sanders (D-VT) was projected the winner shortly after the polls closed. (Photo by Darren McCollester/Getty Images)
Darren McCollester via Getty Images
HOOKSETT, NH - FEBRUARY 09: Democratic presidential candidate, former Secretary of State Hillary Clinton speaks during her primary night gathering at Southern New Hampshire University on February 9, 2016 in Hooksett, New Hampshire. Democratic rival Sen. Bernie Sanders (D-VT) was projected the winner shortly after the polls closed. (Photo by Darren McCollester/Getty Images)

Des sugar daddies politiques, des milliardaires qui financent eux-mêmes leur campagne électorale, des publicités payées par de riches donateurs à l'identité secrète, des campagnes aux coûts exponentiels : bienvenue dans le monde du financement électoral américain.

Un texte de Sophie-Hélène Lebeuf

D'une élection à l'autre, les coûts des campagnes explosent, dépassant chaque fois le record établi à peine quelques années plus tôt.

Au total, les élections législatives et présidentielle de 2012 ont coûté près de 8,3 milliards de dollars américains, selon la Federal Election Commission (FEC), l'organe de régulation électoral américain. À en croire certains analystes, la campagne présidentielle en cours pourrait à elle seule engloutir jusqu'à 5, voire 10 milliards de dollars.

Les longues courses à la direction des partis, qui carburent aux millions de dollars, alimentent ce besoin impératif d'argent. Les échéances électorales poussent également les candidats, particulièrement les aspirants au poste de représentants, élus tous les deux ans, à séduire l'électorat - et les donateurs - quasi perpétuellement.

Mais il n'y a pas que les politiciens qui font campagne. De richissimes citoyens et des entreprises le font de plus en plus en leur nom.

« Plusieurs organisations peuvent recueillir et dépenser des montants illimités. Certaines d'entre elles n'ont même pas à divulguer la provenance des dons qu'elles amassent », explique Anthony Corallo, chercheur en gouvernance à la Brookings Institution, une organisation dont le siège est à Washington. Deux problèmes majeurs, selon le politologue, auteur de plusieurs livres sur le financement politique.

« Il y a aujourd'hui une nouvelle génération de "mégadonateurs" qui donnent des montants dans les six ou huit chiffres. »

— Anthony Corallo, chercheur en gouvernance

L'après-Watergate

Dans les années 1970, le scandale du Watergate, qui a révélé l'existence de dons secrets versés tout autant par des entreprises que par des particuliers au président républicain Richard Nixon, avait pourtant forcé un resserrement des règles sur le financement politique.

Depuis, les entreprises et les syndicats n'ont plus le droit de verser directement de l'argent aux partis et aux candidats.

Tout comme les associations de citoyens, ils peuvent cependant former des comités d'action politique (PAC), qui recueillent des fonds au nom d'un candidat. Ils en paient les coûts administratifs, mais n'ont pas le droit d'y verser d'argent. Ils doivent respecter certains plafonds, divulguer l'identité des donateurs et peuvent faire des dons aux comités des candidats et des partis.

Les contributions des particuliers versées à ces PAC, aux partis et aux candidats sont également soumises à certains plafonds, indexés de façon régulière.

Des dons annuels limités... mais importants

  • 2700 à un candidat pendant la saison des primaires et des caucus et 2700 pour l'élection générale
  • 33 400 au comité national du parti, un total de 10 000 à l'ensemble des comités d'État ou de districts, ainsi que 5000 par PAC
  • 100 200 à chacun des comptes des trois comités de parti (national, sénatorial et des représentants) qui ne sont pas reliés à la campagne, pour un total de 701 400 par année
  • Total permis au cours d'une année électorale : plus de 752 500, puisque, depuis 2014, un citoyen peut financer plus d'un candidat, PAC ou parti
  • Les contribuables peuvent en outre cocher une case dans leur déclaration de revenus pour contribuer au financement public des candidats à la présidence, pour une valeur de 3. Un candidat qui a recours au financement public doit cependant contrôler ses dépenses. S'il y renonce, il ne se voit imposer aucun plafond.

Des plafonds de plusieurs centaines de milliers de dollars qui sont considérables à côté des 100 $ que les Québécois peuvent verser à chacun des partis politiques. Ces montants restent malgré tout modestes en comparaison des sommes phénoménales que les Américains peuvent injecter par d'autres moyens dans la campagne.

Quand liberté d'expression rime avec millions

Car, depuis 2010, les tribunaux ont levé certaines restrictions visant le financement politique, invoquant la liberté d'expression, garantie par le premier amendement à la Constitution.

Résultat : les particuliers, mais également les entreprises et les syndicats, peuvent désormais verser des contributions aux groupes extérieurs, sans qu'aucun plafond financier ne leur soit imposé. Une situation qui a contribué à la création des Independant Expenditure Groups, mieux connus sous le nom de super PAC.

Le pays se retrouve avec « deux univers parallèles de financement », résume le chercheur Anthony Corrado.

« Après avoir donné le maximum permis de 2700 $ au candidat qu'il préfère, un citoyen peut ensuite verser des millions de dollars à ses super PAC, qui dévoileront son nom, et des millions supplémentaires à des groupes sans but lucratif qui, eux, ne le divulgueront pas », explique-t-il.

« Une partie du financement politique est une version moderne du Wild West car, d'une certaine façon, il n'y a pas de règles. »

— Anthony Corrado, politologue

Cours 101 sur les groupes extérieurs

Ils ont des appellations différentes, des buts différents et des règles différentes, mais ont en commun de recevoir des dons qui ne sont pas limités et de n'avoir aucun plafond de dépenses.

« Super PAC » : les super PAC ont été actifs pour la première fois aux élections de mi-mandat de 2010. Leur but est de faire élire un candidat ou de contribuer à sa défaite. Seules restrictions : divulguer la liste de leurs donateurs, ne pas donner d'argent aux candidats eux-mêmes et ne pas coordonner leurs actions avec les campagnes officielles.

Groupes 501 (c) : groupes à but non lucratif nommés d'après une disposition des lois fiscales et dont la vocation, en théorie est liée au bien-être social. Dans les faits, plusieurs d'entre eux sont carrément prorépublicains ou prodémocrates. Ils ont le droit de faire de la publicité électorale, à la condition que les activités politiques ne soient pas leur objectif principal. Ils n'ont pas à divulguer l'identité des donateurs.

Groupes 527 : groupes constitués en vertu de la section 527 des lois fiscales. Ils font campagne pour défendre des enjeux ou militent en faveur d'un candidat ou contre lui. Eux doivent révéler l'identité des donateurs.

Cela explique par exemple que le gestionnaire de fonds spéculatif Robert Mercer puisse injecter 11 millions de dollars dans le super PAC « Keep the Promise I », partisan du républicain Ted Cruz, ou que l'investisseur en capital privé Toby Neugebauer en donne 10 millions à « Keep the Promise II », un autre super PAC en faveur du sénateur du Texas.

À l'automne 2015, des donateurs du réseau des frères multimilliardaires libertariens Charles et David Koch, une machine militante sans équivalent, avaient déjà donné entre 100 000 $ et 11 millions chacun à des super PAC de candidats républicains. Et ce n'est qu'un début. Car ce réseau de quelque 200 richissimes donateurs qui prônent la réduction de la taille de l'État, le libre marché et les réductions d'impôt projette de verser environ 900 millions de dollars dans la campagne électorale.

Mais les démocrates ne sont pas en reste.

Tom Steyer - qui a fait fortune en investissant dans les projets pétroliers avant de devenir un défenseur de la lutte contre les changements climatiques - envisage de dépenser plus en 2016 que les 74 millions qu'il a dépensés pendant le cycle électoral de 2012. Le financier George Soros a quant à lui versé jusqu'ici 8 millions de dollars au super PAC pro-Clinton Priorities USA Action.

Super PAC les plus riches

  • Right to rise USA (soutient le républicain Jeb Bush) : 118,3 millions de dollars amassés au 8 février 2016
  • Priorities USA Action (soutient la démocrate Hillary Clinton) : 41 millions
  • Conservative Solutions PAC (soutient le républicain Marco Rubio) : 30,4 millions
  • Unintimidated PAC (soutenait le républicain Scott Walker, qui s'est retiré de la course ) : 24,1 millions
  • America Leads (soutient le républicain Chris Christie : 16,1 millions
  • Keep the Promise III (soutient le républicain Ted Cruz) : 15,4 millions

À côté de ces super PAC, des groupes sans but lucratif, dits 501 (c), attirent eux aussi de généreux donateurs, dont ils taisent l'identité.

En 2012, plus de 300 millions de dollars aux sources inconnues ont ainsi déferlé dans la campagne électorale, selon le Center for Responsive Politics, un organisme à but non lucratif et non partisan, qui suit à la trace l'argent injecté en politique.

L'essentiel du quasi-milliard que compte dépenser le réseau des frères Koch doit d'ailleurs être investi dans ces groupes sans but lucratif.

Les exceptions Trump, Bush et Sanders

Avec plus de 150 millions recueillis par leur comité et leurs super PAC respectifs, la démocrate Hillary Clinton et le républicain Jeb Bush disposent, début février 2016, des trésors de guerre les mieux garnis.

Des cagnottes qui contrastent avec les 19,4 millions de dollars recueillis par Donald Trump, une somme composée aux deux tiers d'un prêt qu'il s'est lui-même accordé. Les groupes extérieurs qui le soutiennent ont pour leur part amassé à peine 1,9 million, indique le site Center for Responsive Politics.