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Virus Zika: les insecticides ne sont pas une solution à long terme

Zika: les insecticides, pas une solution à long terme

Le virus Zika inquiète. Il est fortement soupçonné de causer chez les foetus des troubles neurologiques et congénitaux. Que faire pour enrayer pour de bon la propagation de ce virus transmis par les moustiques? Certainement pas compter uniquement sur les pesticides. Les experts sont unanimes : la lutte contre Zika passe par une meilleure gestion de l'environnement.

Un texte de Étienne Leblanc

Quel est l'animal le plus meurtrier de la planète?

Le requin? Il a tué une dizaine de personnes sur la planète en 2015. Le serpent? Déjà pas mal plus dangereux : il a fait plus de 50 000 victimes l'an dernier. En fait, l'animal le plus mortel ne mesure que quelques millimètres et fait beaucoup parler de lui ces jours-ci. Il s'agit du moustique.

Bon an, mal an, il tue environ 700 000 personnes. La malaria est responsable de la majorité de ces décès, mais d'autres virus, comme la dengue, la fièvre jaune, le chikungunya et le Zika, qui sont tous propagés par le fameux moustique Aedes aegypti, causent de nombreux soucis.

Pourquoi ces virus se propagent-ils si rapidement? « Essentiellement pour des raisons environnementales », dit Ashok Moloo, du Service des maladies tropicales négligées à l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Selon l'OMS, de 3 à 4 millions de personnes seraient infectées par le virus Zika dans au moins 24 pays du continent américain.

L'ennemi numéro un : les déchets

En 2014, le Rwanda a surpris le monde entier en interdisant les sacs de plastique partout au pays. La règle tombait sous le sens : en quelques mois, le nombre de personnes infectées par la malaria a diminué. Pour une raison simple : dispersés partout autour des maisons, dans les ruelles, dans les champs ou dans les cours, les sacs de plastique retiennent l'eau et sont le lieu idéal de reproduction des moustiques. En les abolissant, le gouvernement rwandais réduisait du coup le nombre de foyers potentiels pour la multiplication des vecteurs infectés.

« La gestion du plastique, c'est un des nerfs de la guerre de la lutte contre les virus transmis par les moustiques. »

— Thierry Baldet, entomologiste médical et spécialiste des maladies tropicales au Centre de recherches pour le développement international (CRDI)

De fait, le virus Zika touche davantage les zones les plus pauvres, où il n'y a aucune structure de la gestion des déchets.

Boîtes de conserve, assiettes de plastique et autres pneus usagés, lorsqu'ils sont exposés aux précipitations, constituent des gîtes de reproduction larvaires extrêmement favorables aux moustiques Aedes aegypti.

« La mise en place d'une cueillette systématique des déchets et la mise sur pied de centres de recyclage locaux sont parmi les éléments les plus importants à la lutte contre les virus comme le Zika. Ça peut paraître simple, mais c'est essentiel », dit Thierry Baldet, du Centre de recherches pour le développement international (CRDI).

L'entomologiste kényan Dino Martins renchérit : « Les moustiques finissent toujours par devenir résistants aux insecticides. Mais ils ne développent pas une résistance face à l'élimination des gîtes de reproduction. »

Pulvérisation d'insecticides : pas une solution à long terme

Ashok Moloo, de l'OMS, le dit d'emblée : « Il est impossible d'éradiquer tous les moustiques qui transmettent le virus Zika. Ceux qui pensent que c'est possible connaissent mal les effets des différents pesticides sur l'environnement et la santé des gens. »

Au Brésil comme aux États-Unis ces jours-ci, de nombreux groupes exercent une pression sur les autorités pour qu'elles pulvérisent les zones infectées par le virus Zika avec du DDT, un pesticide tellement nocif que les Nations unies l'ont banni dans les années 70. Source de cancer chez les habitants, source d'une pollution agressive qui persiste pendant des décennies dans l'environnement, le DDT a fait des ravages dans les années 50 et 60.

Il a été réintroduit progressivement dans certaines zones d'Afrique en 2006 pour lutter contre la propagation de la malaria. Seules de petites pulvérisations très contrôlées, à l'intérieur des maisons uniquement, ont été autorisées.

Faudrait-il faire la même chose dans les zones touchées par le virus Zika?

« Pas du tout, dit Thierry Baldet. Le moustique qui transmet le virus Zika - l'Aedes aegypti - n'est pas le même qui transmet la malaria. Il agit surtout à l'extérieur, au crépuscule. Il faudrait donc pulvériser à grande échelle à l'extérieur, ce qui est hors de question. Les effets sur la santé et l'environnement seraient pires que le virus lui-même. »

Depuis la mise au ban du DDT, d'autres insecticides moins nocifs ont été mis au point. Des produits à base de pyréthrinoïde de synthèse sont aujourd'hui utilisés dans les zones infectées par la dengue, la fièvre jaune, le chikungunya et le Zika.

Mais l'utilisation des insecticides n'est qu'une solution temporaire. À long terme, les moustiques, et l'Aedes aegypti en particulier, acquièrent une résistance.

« La pulvérisation est une solution à court terme. Elle coûte très cher, et elle a ses limites. Impossible de pulvériser chaque petit contenant qui contient les larves. On élimine les adultes, mais ce n'est pas suffisant. »

— Thierry Baldet, CRDI

Le moustique a un cycle de vie qui lui permet de s'adapter rapidement aux pesticides qui visent à le tuer. Le problème de la résistance explique en bonne partie la propagation rapide de multiples virus au cours de la dernière décennie, comme la dengue, la fièvre jaune et le chikungunya.

« Il faut investir des fonds pour mieux comprendre le cycle de vie des moustiques, dit l'entomologiste kényan Dino Martins. Avec la gestion des déchets, c'est une des clés. »

Le virus Zika est d'autant plus complexe à éliminer que les moustiques qui le propagent sévissent dans les villes. La croissance chaotique de la population urbaine rend la chasse à l'Aedes aegypti quasi impossible.

Des solutions : accès à l'eau potable et génétique

Tous les experts s'entendent sur un fait : le manque d'accès à l'eau potable est un terreau fertile pour l'expansion des virus transmis par les moustiques, comme le Zika.

« La difficulté de trouver de l'eau potable est un grand facteur de risque, puisque les gens sont forcés de recueillir l'eau dans un lieu extérieur et la stocker chez eux, ce qui crée le terrain idéal pour la reproduction du moustique », dit Ashok Moloo, du Service des maladies tropicales négligées à l'OMS.

Encore et toujours, la question des gîtes favorables à la reproduction des moustiques refait surface. Investir dans les infrastructures d'eau potable est donc une solution gagnante pour les pays qui sont touchés par le Zika, la dengue, la fièvre jaune ou le chikungunya, selon les experts consultés.

L'autre solution, controversée, passe par la génétique. Il s'agit de combattre le moustique par lui-même.

L'idée est de « fabriquer » en laboratoire des moustiques mâles portant un gène qui sera mortel pour les futures larves. Une fois relâchés dans la nature, ces mâles s'accoupleront à des femelles sauvages, et les larves pondues mourront avant d'éclore. Comme seules les femelles transmettent le virus, cette technique, mise au point par la firme britannique Oxytec, permettrait à terme de diminuer la population de moustiques infectés.

En avril 2014, à des fins expérimentales, le Brésil a autorisé la dissémination dans l'environnement de ce genre de moustique génétiquement modifié, pour endiguer la contamination de la dengue, qui est aussi transmise à l'être humain par l'Aedes aegypti.

Les résultats de cette solution controversée ne sont toujours pas concluants.

La faute à El Niño?

L'épidémie du virus Zika survient à un bien mauvais moment. Le phénomène El Niño provoque un bouleversement climatique sur le continent américain qui favorise grandement la propagation du virus.

« Le moustique Aedes aegypti se reproduit plus rapidement à la chaleur », explique Ashok Maloo, du Service des maladies tropicales négligées à l'OMS. « Il résiste aux extrêmes climatiques comme les sécheresses et les inondations qui sont accentuées par le phénomène El Niño », ajoute-t-il.

El Niño, conjugué au réchauffement constant du climat depuis trois décennies, n'augure rien de bon pour la propagation de tous les virus transmis par les moustiques.