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5 ans plus tard, que reste-t-il du printemps arabe?

5 ans plus tard, que reste-t-il du printemps arabe?

Le 25 janvier dernier, les cinq ans des révoltes de la place Tahrir, en Égypte, ont à peine été commémorés. Là-bas, comme en Syrie, au Yémen, en Libye et au Bahreïn, le bilan du printemps arabe est surtout taché de sang. Seule exception : la Tunisie.

Un texte de Christine Bureau

« Le bilan est plutôt négatif, mais ce n'est pas la faute au peuple. C'est la récupération de ces mouvements par les puissances régionales, mais aussi mondiales. »

— Noomane Raboudi, spécialiste du Moyen-Orient, Université d'Ottawa

Égypte - « Un moment de recul »

Le 25 janvier 2011. Les Égyptiens envahissent par milliers la place Tahrir pour demander, et obtenir 18 jours plus tard, la démission du président Hosni Moubarak. Depuis, le pays a chassé du pouvoir Mohamed Morsi, qui avait été élu en 2012, et a mis à sa place l'ex-maréchal Abdel-Fattah Al-Sissi.

Pour le professeur de l'Université d'Ottawa Noomane Raboudi, le régime de Sissi est « pire » que celui de Moubarak. « La répression frappe tout le monde, tous ceux qui ont démontré une certaine résistance. Il y a des activistes de gauche qui sont en prison, qui sont disparus », soutient-il. Sans compter les représailles envers les Frères musulmans, qui ont régné aux côtés de l'ex-président Mohamed Morsi de 2012 à 2013.

Le président Sissi garde malgré tout un fort appui auprès de la population et même de l'élite, étant perçu comme un gage de stabilité. « Il y a certains aspects d'un État policier, mais ce qui m'inquiète le plus, c'est que les élites appuient cette répression », affirme Rachad Antonius, professeur au Département de sociologie de l'UQAM.

Toutefois, les conditions d'un changement plus profond sont bel et bien là, même si l'Égypte se retrouve à l'heure actuelle dans « un moment de recul », croit-il.

« On est dans une contre-révolte. Il y a certains reculs, mais je pense que ces reculs ne dureront pas toujours. »

— Rachad Antonius, spécialiste du Moyen-Orient, UQAM

De plus en plus de critiques s'élèvent d'ailleurs contre le régime, note-t-il.

Tunisie - Entre terrorisme et chômage

La Tunisie est un exemple de « démocratie naissante » dans le monde arabe. Il s'agit du seul pays qui, cinq ans après les révoltes, est gouverné par des institutions, offre une liberté d'expression politique (mais une liberté de pensée réduite), et où l'armée n'est pas une institution politique, estime Noomane Raboudi, de l'Université d'Ottawa.

Tout n'est pas rose pour autant.

Menacée d'un côté par une situation économique difficile et de l'autre par la Libye, la Tunisie reste fragile. Les commémorations du printemps arabe ont fait sortir une horde de chômeurs dans la rue, proclamant le même slogan qu'en 2011 : « Pain, liberté, dignité nationale. » En tout, 800 000 Tunisiens seraient sans travail.

« La Tunisie a la chance de ne pas avoir de très grosses richesses naturelles. C'est ce qui a facilité les compromis politiques, mais en même temps, c'est ce qui explique la situation économique difficile. »

— Noomane Raboudi, spécialiste du Moyen-Orient, Université d'Ottawa

Puis il y a la Libye, pays voisin, où l'instabilité profite de plus en plus aux djihadistes. « Pour la plupart des attentats qui ont frappé la Tunisie, la préparation, l'entraînement et les armements venaient de la Libye. [... ] C'est pour cette raison que l'avenir de la Tunisie dépend de la stabilisation de la Libye », analyse M. Raboudi.

Libye - Divisions internes et déstabilisation régionale

Le consensus est quasiment absent en Libye, résume le professeur de l'Université d'Ottawa Noomane Raboudi. « C'est une société tribale, une culture bédouine traversée par toutes sortes de niveaux de polarisation. Et bien sûr, [le groupe] État islamique est là. Il adore ce genre de situation », avance-t-il.

En 42 ans de pouvoir, l'ex-dictateur Mouammar Kadhafi n'a pas réussi à construire de structure politique, comme c'est le cas en Égypte ou en Tunisie, par exemple. Deux parlements s'y affrontent à l'heure actuelle, l'un islamiste à Tripoli, l'autre non islamiste à Tobrouk.

« Dès qu'une partie adopte une résolution, l'autre la refuse. Il n'y a pas de volonté de résoudre le problème. »

— Noomane Raboudi, spécialiste du Moyen-Orient, Université d'Ottawa

Vu l'étau qui se resserre en Syrie et en Irak, les cerveaux terroristes sont de plus en plus nombreux à penser transférer leurs activités en Libye, un changement qui risque de miner la situation à la fois au Moyen-Orient et au Sahel. La majorité des armes utilisées au Mali contre l'intervention française provenaient d'ailleurs de la Libye, précise M. Raboudi.

Syrie - Victime d'une bataille régionale

« Le bilan? Tout le monde le voit. La Syrie est complètement détruite, la violence est partout. Elle prendra 30 à 40 ans à se remettre », soutient le professeur à l'UQAM Rachad Antonius, pour qui la Syrie est devenue un terrain de bataille interconfessionnel et régional.

Selon lui, « les racines profondes [du conflit syrien] ne se comprennent pas comme une lutte pour la démocratie, mais comme une lutte pour l'hégémonie régionale » entre l'Arabie saoudite, qui soutient certains groupes rebelles, et l'Iran, qui agit en appui au régime de Bachar Al-Assad.

C'est avec leur aide que la révolte syrienne s'est transformée en un conflit armé, alors que les protestations étaient au départ pacifiques et demandaient une simple « ouverture » du régime.

« Les gens étaient prêts à accepter la répression politique en partie, dans la mesure où la Syrie demeurait un endroit agréable à vivre et très sécuritaire. »

— Rachad Antonius, spécialiste du Moyen-Orient, UQAM

Or, si la vie continue dans certaines parties du pays, les forces progouvernementales, également appuyées par les Russes, ont fait de récentes avancées et les négociations de paix sont sans cesse mises en veilleuse par manque de volonté de régler le conflit. Depuis 2011, la guerre a fait plus de 250 000 morts, selon les Nations unies.

Yémen - Le « chaos total »

À l'instar de la Syrie, le Yémen, déchiré par une guerre civile, est l'un des champs de bataille sur lesquels s'affrontent l'Arabie saoudite et l'Iran.

« Leur révolution a été confisquée par la polarisation confessionnelle dans la région. »

— Noomane Raboudi, spécialiste du Moyen-Orient, Université d'Ottawa

Depuis mars 2015, l'Arabie saoudite dirige ainsi une coalition militaire qui tente en vain de chasser les rebelles houthis, soutenus par l'Iran chiite, et ainsi rétablir l'autorité du président Abd Rabbo Mansour Hadi. Un cessez-le-feu entré en vigueur en décembre dernier est à peine respecté.

« C'est le chaos total, poursuit Noomane Raboudi. On essaie de créer quelque chose qui ressemble à un semblant de stabilité, mais le Yémen est un peu à l'image de la société afghane. Les Yéménites, ce sont des guerriers. Ils ne sont pas faciles à gouverner et le pays est ingouvernable maintenant. »

Bahreïn - Autoritarisme et persécution

Le Bahreïn est un émirat où la majorité de la population est chiite, mais où le régime en place est sunnite.

Dans la foulée du printemps, des milliers de Bahreïniens se sont rassemblés place de la Perle, dans la capitale, Manama, pour demander des élections libres et la fin des discriminations envers les chiites. Les revendications auront toutefois été de courte durée.

« Dès qu'il y a eu mouvement de la population, l'Arabie saoudite est tout de suite intervenue » afin de protéger l'émirat en place, résume le professeur de l'Université d'Ottawa Noomane Raboudi.

Le petit État insulaire, malgré l'autoritarisme du régime, n'est toutefois pas en guerre. « Il n'y a pas de guerre, mais il y a une majorité chiite persécutée par les autorités officielles sunnites et bien sûr, ceci appelle l'intervention de l'Iran, qui supporte les chiites, et ça crée des problèmes », résume-t-il.

Violences en Égypte pour le 2e anniversaire de la «révolution»

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