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«J'ai un enfant atteint de schizophrénie, mais ma vie de famille est très belle»

«Mon enfant est schizophrène, mais ma vie de famille est très belle»

Denise brûle de raconter son histoire. Elle veut tout dire, ne rien cacher, aucun détail, même les plus poignants, les plus bruts, pour que d'autres parents d'enfants atteints de schizophrénie tombent sur ses mots et s'y reconnaissent. C'est aussi sa façon à elle de militer pour que la maladie de son fils rentre dans les discussions, au cœur de la société, qu'elle soit un sujet parmi tous les autres.

Elle a demandé à ce que son témoignage reste anonyme. Elle le déplore, mais son fils est encore trop fragile pour accepter de voir son nom accolé à la maladie. «Il m’est arrivé de témoigner dans des journaux et il les a repérés immédiatement, raconte-t-elle. Sa réaction était mitigée, il était à la fois content de voir qu’on prenait sa situation au sérieux, valorisée par des journalistes, mais quand il est tombé sur des exemples concrets des effets de sa maladie sur son entourage, il ne pouvait pas être autre chose que révolté.»

Malgré ce qu'elle a vécu, Denise trouve la force de dire que «{sa} vie de famille est très belle». Elle doit son optimisme à un programme très particulier, qui s'appelle Profamille. Il est dispensé en majorité dans les hôpitaux de France. Il concerne les familles qui vivent aussi des crises profondes lorsqu'une maladie psychique apparaît. La maladie leur est expliquée sous toutes ses coutures. Des mécanismes qui se mettent en place dans le cerveau, aux différents traitements, du temps que les parents doivent prendre pour se retrouver à deux à nouveau, des réactions à avoir face à une demande étrange de son enfant, tout est expliqué en 14 séances de 4 heures et sans la présence de l'enfant. Les proches mettent en pratique, par des jeux de rôle, les techniques de communication et de gestion des émotions apprises avec les animateurs.

Ces séances permettent aux parents de mieux vivre la maladie de leur enfant. Naturellement, ils ont tendance à croire que les troubles du comportement observés sont dus à l’éducation qu'ils ont donnée ou à des traits de caractère du malade. Ces suppositions font culpabiliser les parents. Le programme vise aussi à réduire l’intensité émotionnelle et les situations de stress pouvant se produire dans la cellule familiale.

Profamille et une thérapie familiale ont remonté Denise à la surface de l'eau. Voici son récit en deux parties, à découvrir en faisant défiler avec votre souris.

L'histoire de Denise continue par écrit.

«Le jour où mon fils s'est jeté dans la Seine, j'ai été à la première séance de Profamille. Je leur ai dit : «peut-être que je ne serai pas là la semaine prochaine, mais je ne peux pas enterrer mon fils tant qu'il n'est pas mort». Pendant ces trois semaines où Matthieu était dans le coma, je me suis accrochée à ce programme comme à une bouée de sauvetage. J'ai demandé à mon mari de venir également, mais dans un groupe séparé, pour qu'il puisse parler plus librement. Moi aussi j'avais besoin d'un lieu totalement neutre.

Très vite, on s'est fait des amis dans nos deux groupes. On fait de l'humour noir, on se dit qu'on est des survivants, comme ces gens qui reviennent d’une guerre que personne n’a faite. On s'entraide pas mal. En ce moment, je soutiens une femme de mon groupe dont le cadet a fait une crise de délire. Ensemble, on fait les boutiques chics, pour récupérer l’argent dépensé compulsivement par son fils.

Les psychologues de Profamille nous ont appris à nous protéger des errements de notre enfant. Quand il est à l'hôpital, mon mari et moi le voyons le moins possible. Nous tentons de protéger notre vie personnelle, de couple.

La première étape a consisté à comprendre la maladie. La seconde, à reconnecter avec son enfant. Un jour, alors que Matthieu sortait de l'hôpital tout maigre, tout faible, tout pitoyable, on le récupère avec son petit sac et ses grands yeux et il nous dit : «je veux que vous sachiez une chose : ma vie est foutue». D'habitude, je lui aurais répondu : «Mais non, tu as toute la vie devant toi», mais cette fois, je lui ai dit : «si je comprends bien, tu veux qu’on entende que ta vie est foutue». Il a souri : «Oui maman, c’est ça». Et il n'en a plus reparlé.

Ensuite, on travaille sur ses émotions, on apprend à gérer ses colères, à savoir demander de l’aide, à ne pas rester seul, toute une série de petites méthodes qui vous permettent de tenir. Profamille vous apprend les gestes de survie.

En ce moment, mon fils ne va pas très bien, mais mon mari et moi, on va beaucoup mieux. Alors, on vit mieux cette nouvelle crise. On est moins effondrés, plus solides. Cela produit un effet miroir étonnant chez notre fils. Les enfants schizophrènes sont très angoissés de leur pouvoir sur les parents. S'ils voient que les parents tiennent la route, ça les rassure, ça les contient. Les parents sont des contenants.

Mon mari, lui, dit qu'avec Profamille, «il apprend à désapprendre» toutes les règles d'éducation des enfants. J'ai beaucoup d'admiration pour lui. Il fait partie des rares pères à s'impliquer complètement, à batailler pour comprendre le jargon des psys, lui, ce militaire si éloigné de tous ces concepts. Dans les groupes Profamille, il y a à peine 1 père pour 5 mères, même si ce ratio se rééquilibre depuis peu. Mais je ne les blâme pas. Ils sont souvent les premières victimes collatérales de la maladie, surtout si l'enfant malade est un garçon.

Malgré les drames absolus par lesquels on est passés, je peux dire aujourd'hui que cette vie mérite vraiment d’être vécue, la mienne et celle de mon fils. Si c’était à refaire, je le referais. Notre vie de famille est une très belle vie de famille. Je n'aurais probablement pas dit cela il y a 5 ans. C’est la thérapie familiale et Profamille qui me permettent de regarder en arrière avec douceur et d'envisager l'avenir avec envie.»

Illustration réalisée par Chinyu WONG.

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