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Frédéric Blanchette dirige «Glengarry Glen Ross» : capitalisme et cupidité au masculin (ENTREVUE)

«Glengarry Glen Ross» : capitalisme et cupidité au masculin
François Laplante-Delagrave

Alors que les cinéphiles s’emballent depuis deux mois pour The Big Short, le film du réalisateur Adam McKay qui dépeint comment la crise financière de 2008 a éclaté et de quelle façon certains spécialistes de la finance en ont tiré profit, les amateurs de théâtre verront que le capitalisme était tout aussi ravageur dans les années 80, l’époque où se déroule la pièce Glengarry Glen Ross, que Frédéric Blanchette met en scène au Rideau Vert.

« Dans les années 80 ou en 2008, ce sont les mêmes gars avec les mêmes ambitions : vendre un terrain ou une maison à un consommateur, même s’il n’en a pas besoin. Ils s’en foutent si ça crée une bulle immobilière. Glengarry présente un système où il est beaucoup plus facile pour les gens en haut de l’échelle de tripler leur salaire que pour ceux en bas de gagner leur vie décemment. Et c’est encore pire aujourd’hui, alors que les inégalités sociales n’ont jamais été aussi grosses depuis la Grande dépression. De nos jours, si une entreprise génère un million une année et qu’elle obtient la même performance l’année suivante, on dit qu’elle est morte. On est condamné à la croissance perpétuelle. Mais ce n’est pas viable! »

Glengarry Glen Ross en répétition

Si Blanchette parle avec passion de la thématique au cœur de la pièce, ce n’est pas uniquement parce que les dérives du capitalisme l’inquiètent, mais également parce qu’il a la joie de mettre en scène les mots de son auteur fétiche, David Mamet.

« Il est l’un de mes premiers coups de cœur au théâtre! En sortant du Conservatoire, je suis tombé sur ses écrits à propos du jeu, où il exprime une technique très précise, directe et sans artifice. Après trois ans de formation, ça avait ouvert des portes dans ma tête. Alors je me suis mis à lire tout de lui. Quand on m’a proposé de monter cette pièce, c’était un projet inespéré pour moi. »

La proposition est venue des acteurs Denis Bouchard et Éric Bruneau, qui s’étaient promis de se retrouver au théâtre, à l’époque où ils se côtoyaient sur le plateau de Toute la vérité. Les deux hommes ont certainement remarqué entre l’auteur et le metteur en scène une parenté d’esprit, alors que ce dernier priorise un jeu d’acteurs très direct.

Habitué de diriger des œuvres résolument contemporaines (Tribus, Being at home with Claude, L’Espérance de vie des éoliennes, À Présent, L’obsession de la beauté), Blanchette n’a pas manqué sa chance de raconter les histoires de magouilles et de mensonges de ces agents immobiliers.

Une histoire de jeunes loups et de vieux renards assoiffés de profits. On retrouve Roma, le golden boy qui a le vent dans les voiles. « C’est le vendeur vedette, celui qui bénéficie de tous les avantages pour rester au top. » Son alter ego vieillissant, Levene. « Un vendeur qui a eu sa période de gloire, mais qui est aujourd’hui dans un creux de vague. Il n’y arrive plus, il a perdu confiance et il essaie d’attirer la sympathie, mais on devine que dans ses bonnes années, il devait se foutre pas mal de ceux au bas de l’échelle. » Sans oublier le duo de Moss et Aarenov, qui sont, eux, au bas de l’échelle. « Ils sont toujours menacés de perdre leur emploi et de se ramasser à la rue. Moss est une grande gueule et Aarenov est un suiveux qui embarque toujours dans les idées de son partenaire. »

Des hommes vulgaires, misogynes et racistes qui ne font pas une belle jambe à la gent masculine. « Ils se pilent sur la tête et font semblant d’être amis pour mieux planter leur couteau dans le dos des autres lorsqu’ils se retournent. En plus d’être une formidable critique de l’Amérique capitaliste, la pièce offre une image très crue des hommes en général. En choisissant la distribution, je cherchais un éventail d’énergies masculines très large. »

En plus de Denis Bouchard et Éric Bruneau, les initiateurs du projet, il a fait appel à Fabien Cloutier, Mani Soleymanlou, Luc Bourgeois, Renaud Paradis, Frédéric-Antoine Guimond et Sébastien Rajotte. Huit acteurs qui se mettent en bouche une langue québécoise bien peu polie, traduite par Bouchard et Blanchette eux-mêmes.

« En anglais, les gars s’envoient chier tout le long et ils disent “fuck” aux trois mots. Alors, pour bien rendre cette charge émotive, il fallait que la traduction soit en québécois très assumé. La langue de Mamet est très rapide et syncopée. C’est une partition extrêmement serrée, qui oblige les acteurs à garder toute leur attention sur leurs partenaires. J’ai un énorme plaisir à voir ça aller. »

La pièce de David Mamet, bien qu’officiellement campée dans le North Side de Chicago, compte bien peu de références géographiques. « On ressent un certain américanisme dans le texte, mais sans plus. La pièce se déroule principalement dans un resto chinois et dans leur bureau, qui est pas mal loin de l’image du 1000 de la Gauchetière à Montréal. J’ai plutôt imaginé un local commercial impersonnel dont ils ont pris possession pour installer leur bureau. Je voulais montrer le roulement du capitalisme et le côté éphémère de leur travail, avec un endroit qui était peut-être un nettoyeur avant et qui sera complètement autre chose dans quelques mois. »

La production n’a cependant pas changé l’époque de Glengarry Glen Ross. « On n’avait pas le choix de monter la pièce avec un côté vintage. Aujourd’hui, on ne vend plus des terrains comme ça. Internet n’existe pas dans l’histoire. Personne n’avait de cellulaire. Et quand ils se font voler leur téléphone, c’est le gros drame. On n’est clairement pas en 2016. Mais le propos, lui, n’a absolument pas vieilli! »

La pièce « Glengarry Glen Ross » sera présentée au Rideau Vert du 2 au 27 février 2016. Cliquez ici pour plus de détails.

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