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Ce que la vidéo sur les attentats de Paris révèle du groupe État islamique

Ce que la vidéo sur les attentats de Paris révèle du groupe État islamique

La mécanique de propagande du groupe État islamique est parfaitement huilée. Un premier message dévoilé pour informer de la sortie prochaine d'une vidéo sur les attentats de Paris, la diffusion d'un visuel dont les codes esthétiques rivalisent avec ceux des blockbusters jusqu'à la publication du document glaçant qui a fait réagir jusqu'au président de la République.

Mais outre la sophistication des vidéos de propagande de Daech, celles-ci révèlent quelques renseignements de premier plan sur les attentats de Paris ainsi que sur le fonctionnement de l'organisation jihadiste. Derrière l'horreur des images d'exécutions, plusieurs questions restent en suspens.

Pourquoi les canaux de l'Etat islamique ont attendu deux mois pour diffuser la vidéo? Pour quelle raison Salah Abdeslam en est absent? Pourquoi Abdelhamid Abaaoud apparaît dans une séquence différente, dont la mauvaise qualité trahit la clandestinité de sa confection? Quand et comment Brahim Abdeslam a-t-il voyagé en Syrie? Autant de questions qui révèlent la puissance et les limites de l'organisation jihadiste.

L'énigme des frères Abdeslam

Dans la vidéo, Brahim Abdeslam apparaît alors que son frère, Salah tout autant impliqué dans les tueries du 13 novembre (toujours activement recherché) n'y figure pas. Plusieurs raisons pourraient l'expliquer. La première, religieuse, c'est qu'à la différence des autres, il n'est pas mort en martyr, notait le journaliste Wassim Nasr sur le plateau de France 24. Autre hypothèse, ayant fait machine arrière, Salah Abdeslam aurait été "désavoué" par Daech, et n'aurait donc pas droit aux honneurs (l'organisation étant plus prompte à communiquer sur ses victoires que sur ses échecs).

Au delà de ces deux théories, la vidéo semble confirmer que les deux frères originaires de Molenbeek ont été greffés au dernier moment à l'opération du 13 novembre. Sur les images en effet, Brahim Abdeslam est le seul à ne pas parler. On le voit s'entraîner au tir dans un camp d'entraînement, qui serait celui de la division 17, à Raqqa en Syrie, alors que les autorités belges affirmaient qu'il avait échoué à passer la frontière syrienne.

Autre détail non négligeable quand on connaît la minutie de la mise en scène des vidéos de Daech, il n'est pas vêtu de cette tenue sable si reconnaissable, qui fait désormais office d'uniforme "officiel" de l'Etat islamique sur ses documents de propagande. Force est donc de constater que, si les attentats du 13 novembre ont été planifiés depuis la Syrie, tout n'y a pas été décidé.

Combien de terroristes en tout?

Pour les enquêteurs, les terroristes ayant semé la mort dans la capitale française sont au nombre de dix. Dans son premier communiqué diffusé au lendemain des attaques, Daech évoquait alors huit terroristes. Problème, dans la vidéo présentée hier nous passons de huit à neuf (et sans Salah Abdeslam donc). Là encore, cela tendrait à confirmer la version selon laquelle les frères Abdeslam ont été recrutés au dernier moment, et qu'une certaine improvisation s'est jointe au plan initial, contrairement à ce que prétend la vidéo. Car les huit dont parlait l'EI au départ ont été envoyés depuis la Syrie. Ce sont d'ailleurs ces mêmes jihadistes qui s'expriment dans la vidéo et qui sont vêtus de l'uniforme de Daech, excepté Abdelhamid Aabbaoud. Brahim Abdeslam (le neuvième) aurait donc été ajouté au montage en sa qualité de pièce rapportée.

Concernant Abdelhamid Aabbaoud, la qualité de son message vidéo semble indiquer qu'il ne l'a pas enregistré en Syrie. Rappelant la mise en scène d'Amédy Coulibaly, le jihadiste parle seul devant une webcam, l'image et le son de sa séquence étant d'une qualité de loin inférieure à celle des autres. Comme le suggère le journaliste de France 24 Wassim Nasr, Abdelhamid Aabbaoud a "probablement" réalisé cette vidéo en Europe. Reste à savoir où. Dans son allocution, aucun indice concernant sa localisation ou encore la date à laquelle il l'a tournée.

Autre inconnue: la raison pour laquelle il n'a pas eu droit au décorum de ses complices. Imprévu? A-t-il aussi été ajouté au plan à posteriori pour la coordination? Là encore, quand on compare la qualité de cette vidéo aux efforts de mises en scène de Daech, l'allocution du jihadiste belge semble aussi trahir une certaine improvisation. Autre incohérence entre le récit et la réalité, aucune mention n'est faite à Mohamed Abrini, le complice présumé de Salah Abdeslam. Idem du côté de Samir Bouzid et Soufiane Kayal, également impliqués dans le dossier selon les enquêteurs.

Pourquoi la vidéo sort-elle maintenant?

C'est l'autre question que pose la publication de cette vidéo. Pourquoi tant de temps entre les attentats et sa mise en ligne? S'agit-il de proférer des menaces au moment où les pays membres de la coalition communiquent sur le présumé "recul" de l'Etat islamique sur certains fronts? C'est possible. Ces dernières semaines, de nombreuses annonces ont été faites en ce sens, expliquant par là que l'organisation jihadiste avait été contrainte de diviser de moitié le salaire de ses combattants ou que la prise de Ramadi par l'armée irakienne préfigurait un tournant stratégique dans le conflit.

Sauf que, au regard de la progression de l'EI en Libye, les choses ne sont pas si simples. "Il ne faut pas croire que la mise en difficulté du groupe en Syrie et en Irak signifie sa perte", note Myriam Benraad, spécialiste du monde arabe et chercheuse associée à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et à la Fondation pour la recherche stratégique, auprès de France Info. De fait, la vidéo publiée hier rappelle que malgré ce qui se passe sur le terrain, l'organisation jihadiste entend bien conserver sa capacité de nuisance.

Daech a d'ailleurs développé "une nouvelle capacité de combat pour effectuer une campagne d'attaques d'ampleur" concentrées en particulier sur l'Europe, a averti ce lundi le directeur d'Europol, Rob Wainwright, en prévenant que l'organisation prépare d'autres opérations. Les analystes d'Europol jugent que l'EI "prépare de nouvelles attaques (...) dans des Etats membres de l'UE, et en particulier en France", selon un rapport présenté lors du lancement officiel à Amsterdam d'un nouveau Centre européen de contre-terrorisme. Ce que la vidéo sur les attentats de Paris, malgré les détails qui trahissent quelques approximations, vient malheureusement confirmer.

Voir aussi:

9 AVRIL 2013: CRÉATION DE L'EIIL

L'État islamique en dix dates

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