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Les magazines canadiens encore réticents à mettre en couverture des mannequins non-blancs

Les magazines canadiens encore réticents à mettre en couverture des mannequins non-blancs
Rogers, St. Joseph, TVA, TorStar, DTKA,

Les standards de beauté peuvent sembler difficiles à atteindre quand on est une personne de couleur. En grandissant, j’ai dû vivre avec des tantes qui pinçaient mon nez philippin pour le rendre plus mince. Les enfants me demandaient pourquoi mes paupières ne ressemblaient pas à celles des « autres Asiatiques » et je leur répétais sans cesse : «Non, je n’ai pas eu de chirurgie ; non, je n’essayais pas de leur ressembler! »

J’ai entendu des histoires de famille et d’amis qui utilisaient du jus de citron pour laver leur visage pour que leur peau devienne plus pâle ou qui allaient éditer leurs photos pour avoir l’air plus pâle.

Tes cheveux sont constamment touchés et commentés. Les vêtements couleur nude ne sont jamais vraiment ta teinte.

Ça a donc été une vraie joie de voir l’industrie de la mode commencer à accepter une représentation de la mode et de la beauté plus diversifiée en 2015. Huit femmes noires semblent avoir fait pencher la balance quand elles sont apparues sur plusieurs couvertures majeures de magazines, en septembre dernier.

Également la plus grande visibilité des personnes transgenres a poussé sur le devant de la scène des personnalités telles que Laverne Cox et Caitlyn Jenner à faire la Une des magazines. Les mannequins en courbes comme Ashley Graham ont elles aussi profité de cette ouverture des médias et cumulé les couvertures aux États-Unis.

Mais qu’en est-il au Canada?

Si les médias imprimés en ont pris un coup avec l’arrivée du numérique, les couvertures de magazine défraient toujours les manchettes. Depuis le début des années 1900, lesdits magazines ont toujours utilisé des mannequins en Une de leurs titres pour attirer les lecteurs. C’est seulement dans les années 1960 que les mots sont devenus aussi une partie importante de l’équation.

Aujourd’hui, les personnes en couverture restent symboliques de l’identité d’un magazine. Elles capturent ce qui est important dans la société ou ce qui « brise l’Internet ». Parfois, elles font l’histoire, comme le coming out de Jenner à la Une du Vanity Fair.

D'ailleurs, pour les meilleures couvertures de magazines de mode de 2015, l’American Society of Magazine Editors a choisi des Unes mémorables, mettant en vedette Venus Williams et Lupita Nyong’o.

Sachant tout cela, nous avions espoir que 2015 serait l’année où les magazines de mode canadiens allaient commencer à refléter la diversité du pays.

Mais ce n’est pas du tout ce que nous avons découvert.

La mission

La première question: à quels magazines s’intéresse-t-on?

Nous avons décidé de restreindre notre sondage aux magazines de mode et de style les plus populaires de 2015. La plupart étaient mensuels ou saisonniers, disponibles à travers tout le pays. Tous étaient en anglais, sauf deux en français. Toutes les couvertures, incluant les variations et les éditions spéciales, étaient comptées. Seulement les éditions qui pouvaient être trouvées dans les archives ou en ligne ont été incluses.

Nous avons choisi 10 magazines connus: Flare, LouLou, Fashion, Elle Canada, Elle Québec, Pure, Glow, Dress to Kill, Sharp et The Kit Compact.

N'ont pas été pris en compte les magazines de niche en plus petite circulation, étant donné qu'ils ne reflétaient pas l’offre généralement présente pour les audiences régulières. Par contre, j’ai trouvé des magazines de niche qui mettaient des personnes de différentes origines sur toutes les couvertures.

Que veut-on dire par « diversité »?

Nous savions que nous voulions enquêter sur la représentation sur les couvertures de magazines canadiennes. Mais de quel genre de représentation parle-t-on?

J’ai choisi d’utiliser le terme «personne de couleur » pour définir les individus qui étaient d’origine non-blanche et « blanc » pour décrire les personnes caucasiennes et d’origine européenne. J’ai inclus les personnes métisses et celles d’origine non européenne dans mon groupe de « couleur ». Et c’est là que les choses se sont corsées.

J’ai tergiversé avec la notion de « race ». Parce que la race est une construction sociale qui dépend de la culture, de la localisation et qu'un regard sur une couverture de magazine ne peut pas déterminer si une personne est blanche. Par exemple, certaines personnes qui peuvent avoir l’air « blanches », mais sont d’héritage non-européen, comme Jennifer Lopez, ont été comptées comme des personnes de « couleur ». Quand l’origine de la vedette en couverture était connue et possible à trouver en ligne, je les catégorisais avec certitude. Souvent, je finissais par écumer la biographie de quelqu’un pour jouer au détective des origines. Mais quand je ne pouvais pas trouver l’information, je comptais sur la manière dont eux-mêmes se décrivaient ou se percevaient. À cause de ceci, mon compte de vedettes de couvertures « blanches » pourrait inclure des individus qui passent pour blancs, mais s’identifient autrement.

Sur la représentation LGBTQ

Dans le but de collecter des données sur d’autres formes de diversité, j’ai réalisé que ma terminologie devait être spécifique. Étant donné qu’il n’y a pas une seule façon de percevoir les personnes transgenres et intersexuées, et parce que plusieurs personnes trans se retrouvent face à des obstacles qui les empêchent de révéler leur identité au public, je ne pouvais que compter les personnes ouvertement trans.

Et par le fait même, parce que la sexualité est fluide et peut être opposée, les autres comptes de la représentation LGBQ sont faits sur la base des personnes qui s’identifient comme telles.

Je me suis retrouvé à grincer des dents alors que je me voyais taper sur Google le nom de certaines personnes accompagnées de mots comme « homosexuel », « est queer », « historique de couple » ou « vie personnelle ».

Handicaps visibles (avec l’accent sur le visible)

J’ai inclus les handicaps visibles dans ma recherche parce que la représentation des personnes handicapées est presque nulle dans l’industrie de la mode.

Un handicap visible signifie que quelqu’un peut être vu ou identifié par les autres, alors l’usage d’un fauteuil roulant ou une difficulté à se déplacer pourrait se qualifier comme un handicap visible.

Mais plusieurs handicaps sont invisibles, comme la surdité ou les déficiences mentales, entre autres. Alors certaines personnes présentes sur les couvertures pourraient vivre avec un handicap, mais les lecteurs ne pourraient pas le savoir à moins qu’on le laisse savoir dans le texte.

Puis est venue la vision de la taille du corps...

Je n’ai pas tenté de comparer les tailles différentes sur les couvertures de magazines. En revanche, la représentation de la diversité corporelle est importante -et décider quelle vedette se qualifiait semblait trop subjectif. Le terme taille plus est souvent contesté et j’ai choisi de ne pas poursuivre cette recherche.

Les résultats

Après avoir écumé 10 magazines de mode canadiens, voici ce que j’ai découvert :

- Sur les 124 personnes sur les 80 couvertures publiées en 2015, seulement 13 pouvaient être identifiées comme des personnes de couleur. Sept des vedettes en couvertures étaient noires, trois étaient Asiatiques, deux étaient d’origine latine et une était autochtone.

- Les personnes blanches ou qui passent pour blanches étaient sur 95% des couvertures, soit 76 sur les 80. Quelques-uns des magazines n’avaient aucune personne de couleur identifiable sur leurs couvertures de l’année, alors que d’autres avaient une personne de couleur identifiable dans un groupe de mannequins blancs.

- LouLou avait le taux le plus élevé, avec six personnes de couleur en vedette sur 5 des 8 couvertures de 2015. Par contre, elles étaient toutes aux côtés de mannequins blancs.

Sur les 13 personnes de couleur, 10 faisaient partie d’une couverture en groupe avec au moins une des autres personnes étant blanche. J’imagine que cette vieille notion que les personnes qu’on peut identifier comme d’origines différentes ne vendent pas de magazines est encore bien ancrée dans les mentalités.

- Dans les couvertures que j’ai étudiées, personne ne s’identifiait publiquement comme gay, lesbienne, bisexuel ou queer.

- Les personnes ouvertement trans étaient aussi manquantes en 2015.

- Les hommes sont rarement en couverture de magazines de mode, et ceux qui le sont semblent beaucoup plus vieux que les femmes dans la vingtaine qu’on met régulièrement en vedette. Quand on parle d’âge, cinq hommes de plus de 40 ans ont été vus sur les couvertures, alors que du côté des femmes, seulement deux semblaient avoir cet âge. Un seul des hommes était une personne de couleur.

- Les personnes vivant avec des handicaps visibles n’ont pas obtenu de visibilité, pas plus que des outils pour aider les personnes handicapées, comme des fauteuils roulants, des implants cochléaires ou des animaux guides. Même les lunettes étaient presque absentes des couvertures.

- Une tendance évidente que j’ai remarquée, c’est qu’on ne voyait presque aucune variation en termes de taille des corps sur les couvertures. La plupart des mannequins avaient l’air assez minces pour acheter des vêtements dans des magasins de vêtements réguliers.

Le verdict

Facile de cerner une constante. Quand on parle de représentation et d’inclusion, la mode canadienne a encore beaucoup de chemin à faire.

La situation n’est pas unique au Canada. En dépit des femmes noires qui ont dominé les couvertures de septembre aux États-Unis, Fashionista a découvert que seulement 26 des 137 magazines de mode américains imprimés en 2015 mettaient en vedette des mannequins de couleur. Dans le monde, le Fashion Spot rapporte que plus de 22% des magazines de mode en 2015 avaient des personnes de couleur sur leurs couvertures, une augmentation depuis 2014, quand les personnes blanches étaient 5 fois plus susceptibles que les personnes de couleur de se retrouver à la Une de magazines.

Jourdan Dunn, qui a été le premier mannequin noir de Prada en une décennie et la première à faire la couverture du Vogue britannique en 12 ans, a indiqué au journal the Guardian qu’il n’y avait aucune bonne raison de ne pas choisir des mannequins noirs.

« Ils disent que si vous mettez un visage noir sur une couverture de magazine, ça ne vendra pas, mais on n’a aucune vraie preuve de cela. C’est paresseux. Tu entends toujours qu’il n’y a pas assez de mannequins noirs, mais ce n’est pas vrai. Ce sont des excuses», a-t-elle affirmé.

Considérant l’importance de la population canadienne d’origine non-blanche, ces excuses ne sont pas valides ici non plus. Statistiques Canada rapporte qu’en 2011, plus de 6,2 millions de Canadiens sont des minorités visibles non-blanches, sur une population de 35,16 millions. Plus de 19% pourraient être facilement visibles dans les médias que cette population consomme.

Et le manque de représentation a un effet. Les recherches de la professeure de l’université de Toronto Minelle Matani sur les minorités dans les médias montrent une mauvaise représentation de ces groupes ethniques.

« Souvent mal équipés avec leur expérience, les Canadiens comptent sur les médias pour leur parler de leur pays, rapporte-t-elle. À travers une représentation non nuancée, les minorités se sentent comme s’ils n’étaient pas à leur place. »

Aucune représentation ne suggère que la diversité n’est pas assez importante ou ne mérite pas d’attention. Si on omet les personnes de couleurs dans une forme particulière de divertissement, par exemple, on envoie le message que les personnes d’origines différentes ne soient pas aussi belles ou aussi voulues que les Blancs.

J’ai vu les impacts de la sous-représentation au premier rang, dans la forme d’une haine interne dirigée vers moi-même, encouragée par le pinçage de nez. J’ai aussi vu les bénéfices de changer les choses. Ma sœur, qui s’est toujours plaint de sa couleur de peau en tant qu’enfant pointe aujourd’hui du doigt ses amis qui accumulent les couches de fond de teint pâle qui n’est pas assorti à leur couleur de peau. Mes cousins se tournent vers des formes de divertissement différentes, comme la K-Pop, pour voir des idoles qui leur ressemblent.

La conclusion

Avec 2015 derrière nous, les couvertures de 2016 ne m’impressionnent pas grandement à date. Sur les éditions canadiennes des magazines que j’ai vu, les 5 personnes en couverture étaient blanches.

Ce que j’ai découvert de ce manque de diversité dans l’industrie me dit que les magazines ne sont pas faits pour des personnes comme moi. Je suis tenté de me dire que mes efforts pour découvrir la diversité sont futiles, mais au final, plonger dans ces couvertures m’a fait avoir une pensée plus critique sur le sujet.

Je regardais constamment les couvertures, parce que les origines des personnes sont beaucoup plus complexes que ce que le consommateur moyen peut voir. Il y avait des sous-catégories à la « blancheur », comme les personnes juives, par exemple, qui se sont perdues dans cette mer de visages identiques. Un regard rapide dans les kiosques et tout le monde les verrait comme des personnes blanches.

Je doute que ces magazines utilisent délibérément seulement des mannequins blancs. Les chances sont que des gens de couleur travaillent dans la mode, des gens d’origines différentes participent à créer ces magazines. Ce qui est vraiment à pointer du doigt, c’est les traditions de l’industrie et l’acceptation du fait que « c’est ainsi que les choses ont toujours été faites ».

Si c’est le cas, les personnes qui ont du pouvoir éditorial doivent apprendre à être plus conscientes du statu quo créé par leur suite de mannequins blancs. Montrer des personnes différentes sur les couvertures nécessite un engagement long et continu envers l’inclusion. C’est un saut qui peut rendre l’imaginaire magazine plus complexe et plus nuancé.

Une fois que ce pas aura été franchi, les gens comme moi commenceront sans doute à se retourner devant ces nouvelles couvertures. Sur mon chemin vers le travail, alors que je faisais mon analyse des magazines, j’ai remarqué un numéro de NOW qui a fait l’inimaginable : mettre une femme noire nue en couverture.

A photo posted by NOW Magazine (@nowtoronto) on

ELLE US semble avoir écouté les doléances de ses lecteurs en mettant en vedette quatre femmes de couleur sur les cinq de son édition 2016 des femmes en télé.

L’exemple du ELLE pourrait paver la voie à une tendance qui ferait changer les standards de l’industrie. Le fait que chaque femme de couleur ait obtenu la même attention qu’une femme blanche suggère que le magazine pense profondément à la représentation. En retour, je garantis que ça donnera envie à des gens comme moi de lire ces magazines.

Qu’en dites-vous, Canada?

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