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Pourquoi on est accros à «Making a Murderer», la série-documentaire sur Netflix? Les psys ont la réponse

Pourquoi on est accros à «Making a Murderer»
Netflix

Si vous n’avez pas encore entendu parler de "Making a Murderer", on se demande bien où vous vivez. Ce documentaire américain en dix épisodes, diffusé pour la première fois sur Netflix fin décembre, a été énormément visionné depuis, bien que Netflix ne souhaite pas communiquer les chiffres d’audience.

Il raconte l’histoire vraie de Steven Avery, un natif du Wisconsin qui a passé dix-huit ans en prison pour agression sexuelle et tentative de meurtre. Il a ensuite été disculpé grâce à la découverte de nouvelles traces ADN… puis accusé et reconnu coupable du meurtre de Teresa Halbach.

La série, dont le tournage a duré dix ans, explore l’histoire extraordinaire d’Avery, notamment l’erreur judiciaire présumée qui a conduit à sa condamnation, et les entraves à l’exercice de la justice apparemment commises par les forces de l’ordre.

Bien que l’histoire d’Avery soit extraordinaire, elle n’est certainement pas unique en son genre. La littérature, le cinéma et le petit écran regorgent d’intrigues policières, réelles ou fictives. Pourquoi celle-ci nous fascine-t-elle à ce point?

Steven Avery jeune.

La quête de justice

“La passion que suscite cette série provient du sentiment d’injustice totale qui en émane. Notre besoin primordial de justice et d’équité explique en partie l’attirance qu’elle exerce sur nous”, explique Judy Hyde, directrice de la clinique de psychologie de l’université de Sydney, au Huffington Post australien.

“Nous avons tous été accusés à tort, à un moment ou un autre, et ce sentiment d’injustice se forme dès la petite enfance.” Ce sentiment, terrible quand il survient pendant l’enfance, fait partie de notre nature.

“Le fait que ceci soit arrivé sans raison apparente à quelqu’un d’autre implique que nous pourrions connaître le même sort. C’est ça qui est effrayant, et c’est ce qui fait que nous nous impliquons vraiment dans cette histoire, en tant que spectateurs. Nous voulons comprendre les mécanismes qui pourraient nous amener à vivre une situation similaire”, ajoute-t-elle.

C’est aussi l’avis du Dr Carolyn Semmler, maître de conférences à l’École de psychologie de l’université d’Adélaïde.

“Les gens sont vraiment effarés de découvrir que, par un concours de circonstances, un membre de leur communauté peut connaître un destin aussi tragique.”

L’étude d’un comportement instinctif

Être témoin d’un meurtre dans la vie provoquerait un traumatisme profond et durable. Pourtant, nous nous exposons à la mort et aux assassinats sous différentes formes, à la fois fictionnelles et biographiques, comme si le fait de tuer était banal.

“Nous sommes attirés par les intrigues policières parce que nous sommes fondamentalement des animaux: dès que nous sommes amenés à nous disputer des ressources ou l’attention de personnes qui nous sont chères, notre réaction instinctive est une rage parfois meurtrière envers ceux qui pourraient nous en priver”, poursuit Mme Hyde. “Nous ressentons tous des pulsions meurtrières, mais nous n’avons pas le droit de les exprimer. Bien sûr, dans notre société, c’est totalement inacceptable. Alors nous fantasmons. Ces histoires peuvent servir de guide à nos fantasmes, tout comme les romans policiers."

Steven Avery écoute un témoignage au tribunal du comté de Calumet, à Chilton (Wisconsin), en mars 2007.

Le parti pris pour Avery

Du point de vue du spectateur, l’innocence d’Avery lors de sa première condamnation joue en sa faveur. A mesure que les indices s’accumulent, prouvant que les forces de l’ordre n’ont privilégié que les éléments accréditant leur théorie, du fait du statut socio-économique du suspect, nous prenons forcément parti pour Avery.

“Les spectateurs sont notamment convaincus de son innocence parce qu’il l’était vraiment lors de sa première condamnation. C’est quelque chose d’avéré, qui nous donne déjà un a priori positif sur lui”, nous dit-elle.

“Lui et sa famille sont peu instruits, et nous avons tous le sentiment d’être plus vulnérables quand nous n’arrivons pas à nous défendre en cas d’accusation infondée. Cette famille est d’ailleurs dans une situation de grande vulnérabilité. Nous éprouvons de la compassion envers Avery, parce qu’il est incapable de se défendre, et que ses proches ne lui sont d’aucune aide. On voit clairement que cette famille est mal intégrée dans la société. Ils ont leurs propres codes, et ça les place en position de faiblesse."

Le Dr Semmler est du même avis.

“Beaucoup de choses chez lui donnent à penser qu’il est l’accusé à tort par excellence. Quand on regarde ses interrogatoires, il se montre très naïf et a un faible QI, ce qui pose problème de manière plus général dans notre système pénal: des études ont démontré que la déficience intellectuelle pouvait amener certaines personnes à participer des actes criminels sans réelle intention de les commettre. Ils peuvent aussi être très influençables, ce qui risque de les entraîner dans des situations vraiment difficiles.”

Les soupçons qui remplacent les preuves

Le documentaire amène les spectateurs à ressentir une forte antipathie envers la police et le procureur.

“En elle-même, l’identification erronée survenue au tout début [nous donne une mauvaise image de la police]. Les forces de l’ordre se servent d’à peu près tous les moyens possibles et imaginables pour obtenir une identification formelle”, explique-t-elle.

“J’ai étudié un grand nombre d’affaires dans cinq juridictions différentes, et l’un des points récurrents, c’est qu’il existe souvent des manières très subtiles d’amener les témoins à identifier le suspect avec certitude. Un individu lambda, peu familier avec l’importance de la mémoire et de la pression sociale, peut se dire que ces facteurs sont négligeables. En réalité, toutes les études s’accordent à dire que des éléments très subtils peuvent conduire à une identification. Il y a là un déséquilibre majeur, car la police a énormément de pouvoir sur la prise de décision.”

Le manque de preuves nous ramène à l’effarante injustice de la situation.

“Les preuves en elles-mêmes sont vraiment minces. Je pense que quand on obtient une identification formelle – et la police, qui a fréquemment recours aux séances d’identification, le sait bien –, celle-ci influence tous les autres éléments de l’enquête, et peut transformer en pièces à conviction des événements parfois totalement fortuits. Dans le cadre d’un procès, c’est un moyen très puissant de convaincre le jury de condamner le suspect”, ajoute-t-elle.

La manière dont la série est tournée

“L’histoire est présentée de manière très réaliste. Ce sont des entretiens avec des personnes réelles, illustrées par des images d’archives ”, poursuit Mme Hyde. “La reconstitution d’un crime à la télévision n’est jamais aussi captivante que lorsqu’il s’agit des vrais protagonistes. Ce n’est pas l’acteur de la reconstitution que l’on veut voir, mais la personne réelle. Une simple photo suffit à nous impliquer davantage dans l’histoire.”

Les spectateurs ont l’impression d’être des témoins directs, de faire partie du procès qui se déroule sous leurs yeux.

“C’est une histoire très bien menée: non pas un simple documentaire, mais un programme bien conçu, pensé pour les téléspectateurs. Il est vraiment prenant”, conclut-elle.

Steven Avery est assailli par les journalistes, dans une scène extraite du documentaire Making a Murderer.

Cet article, publié à l’origine sur le Huffington Post australien, a été traduit par Guillemette Allard-Bares pour Fast for Word.

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