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Santé mentale : quand un père hospitalise son fils contre son gré

Santé mentale : quand un père hospitalise son fils contre son gré
Philippe Langevin

Philippe allait de plus en plus mal jusqu'au jour où ses parents se sont résolus à l'hospitaliser de force pour une évaluation psychiatrique. Cet ultime recours est balisé par la loi P-38, une législation méconnue et controversée.

Un texte de Marie-France Abastado

Philippe Langevin, aujourd'hui dans la quarantaine, souffre de schizophrénie. Quand la maladie s'est déclarée, il y a une vingtaine d'années, Philippe venait d'entreprendre des études universitaires en génie. Il était convaincu que ses professeurs, en écrivant des formules au tableau, lui envoyaient des messages.

« Ce n'était pas du tout le Philippe qu'on connaissait. On s'est rendu compte que c'était de la paranoïa. Il s'isolait, il ne parlait pas », raconte Jean-Pierre Langevin, policier à la retraite et père de Philippe.

Philippe refuse de voir un professionnel. Il n'a pas de problème; ce sont les autres qui en ont. Ses parents vont donc seuls voir un psychiatre. Ce dernier leur confirme que la situation est grave et que Philippe doit se faire évaluer au plus vite.

« Ça se détériorait davantage. Philippe était enfermé dans sa chambre. Il dormait le jour, et la nuit il se promenait dans la maison. Il nous réveillait pour nous parler, et son discours était tellement incohérent! Il était comme décroché de la réalité. »

— Jean-Pierre Langevin

Les parents de Philippe se résolvent donc à prendre les grands moyens : le recours à la loi P-38. Ils obtiennent une ordonnance de la cour. Ils se rendent ensuite au poste de police et demandent aux agents d'aller chercher leurs fils et de l'amener à l'hôpital. Une démarche crève-coeur, raconte Jean-Pierre Langevin.

« La tristesse est énorme et puis, aussi, c'est le fait qu'on n'y peut rien. Pendant cette période-là, on pleure à la maison, énormément. Aussi, on sent que la vie ne sera plus pareille, parce que c'est trop gros, ce qu'on vit là. »

— Jean-Pierre Langevin

Les dérives de la loi P-38

La loi P-38, adoptée en 1997, s'applique lorsqu'une personne présente un danger grave et immédiat pour elle-même ou pour autrui. Dans de tels cas, la Cour du Québec peut ordonner la garde en établissement pour une évaluation psychiatrique.

En faisant reposer la loi sur la notion de danger grave et immédiat, le législateur a voulu protéger les droits et libertés des patients. Il faut dire qu'on venait de traverser plusieurs décennies où on internait pour un oui ou pour un non. Mais le balancier est allé trop loin, dit Gilles Chamberland, psychiatre à l'Institut Philippe-Pinel. À trop vouloir privilégier le droit à la liberté des malades, on a négligé leur droit à se faire soigner.

« En ce moment, il y a une multitude de gens qui sont très souffrants, et on attend qu'ils soient dangereux avant de pouvoir faire quelque chose. »

— Gilles Chamberland, psychiatre

Pour les familles qui voient l'état de leur proche se dégrader, l'application de cette loi est trop restrictive. Faut-il vraiment attendre qu'une personne soit dangereuse pour la soigner? Que veut dire danger immédiat?

Il faut changer la loi et s'assurer que les soins ne reposent plus sur la notion de danger grave et immédiat, selon la Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale (FAPAMM).

Si le patient ne semble pas représenter un danger immédiat pour lui-même ou pour autrui, il pourra être renvoyé chez lui. Il reviendra peut-être à l'hôpital quelques semaines plus tard et sera de nouveau retourné à la maison. C'est le phénomène des portes tournantes.

Jean-Pierre Langevin l'a vécu avec son fils. Après la première hospitalisation, Philippe ressort au bout de sept jours avec un diagnostic de schizophrénie et des médicaments. Il les prendra pendant un certain temps, puis, convaincu qu'il est guéri, cessera la médication.

Au fil des ans, les Langevin ont recouru à la loi P-38 quatre fois pour faire hospitaliser leur fils. Entre les épisodes, l'état de Philippe se détériore, il parle de suicide et a un discours de plus en plus agressif.

« Quand c'est rendu que quand tu te couches le soir dans ta maison, tu barres la porte de ta chambre [...]. Imaginez ce que ça veut dire. Ça veut dire que la peur est là, la peur est rentrée dans la maison. »

— Jean-Pierre Langevin

Écoutez ci-dessous le témoignage de Jean-Pierre Langevin :

Une responsabilité trop lourde?

Hélène Fradet, directrice de la Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale, déplore que ce soit aux familles d'entreprendre les démarches pour faire hospitaliser un proche contre son gré.

« Les familles vivent beaucoup de stress, beaucoup d'anxiété. Briser la liberté d'un être cher, c'est très difficile. Quand les familles en arrivent là, elles sont vraiment à la limite de leur stress, elles le font toujours à contrecoeur. »

— Hélène Fradet

Le psychiatre Gilles Chamberland trouve lui aussi que les familles en ont beaucoup trop lourd sur les épaules. Et il déplore cette judiciarisation des soins en santé mentale.

« Pour le système judiciaire, c'est le père contre le fils, le frère contre le frère, alors qu'on sait que le frère n'est pas contre son frère, il veut que cette personne-là ait des soins. »

— Gilles Chamberland

Le Dr Chamberland voit les malades arriver à l'urgence et demander qui est la personne qui a engagé la procédure. Et il est obligé de leur dire que c'est le frère ou le père. « Ils sont en furie contre le membre de leur famille. Ce qui fait que les gens hésitent avant d'aller chercher ce genre d'ordonnance.

Le reportage de Marie-France Abastado sera diffusé le 10 janvier à l'émission Désautels le dimanche, sur ICI Radio-Canada Première.

Des changements à la loi réclamés

Aujourd'hui, Jean-Pierre Langevin milite pour que le danger grave et immédiat ne soit plus le seul critère à considérer quand vient le temps de faire soigner un proche contre son gré. Il demande que des équipes composées notamment d'un médecin se déplacent à la maison pour évaluer le malade. Et surtout, il souhaite que ce ne soit plus aux parents de priver un proche de sa liberté.

« On n'est que des parents, on n'est pas des spécialistes. Et puis des parents, c'est vulnérable. [...] On dit aux parents : "C'est vous qui êtes responsables de ça. C'est vous qui savez si votre fils est dangereux ou pas". Je ne suis pas sûr de ça. Et puis on est menés par les émotions, par les sentiments et l'amour qu'on a pour nos enfants. »

— Jean-Pierre Langevin

À venir la semaine prochaine : un deuxième volet sur la loi P-38 et les violations des droits des malades.

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