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Emmanuel Schwartz prête son visage au tueur dans «Les Événements» à La Licorne (ENTREVUE/VIDÉO)

Emmanuel Schwartz dans «Les Événements» à La Licorne (ENTREVUE/VIDÉO)

En s’inspirant de la tuerie en Norvège à l’été 2011, David Greig a imaginé le parcours d’une survivante. Une prêtre anglicane qui part à la recherche de réponses, d’apaisement et de vengeance, en discutant avec une dizaine de personnages, dont un supérieur ecclésiastique, son amoureuse, un auteur cité par le tueur sur son blogue, son thérapeute, le père du tueur, un chef politique et le tueur lui-même, tous interprétés par le comédien Emmanuel Schwartz.

Le 22 juillet 2011, en milieu d’après-midi, une bombe a explosé à Oslo, tuant huit personnes et en blessant quinze. Deux heures plus tard, un tireur déguisé en policier a ouvert le feu sur les jeunes d’un camp organisé par la Ligue des jeunes travaillistes, sur Utøya, une petite île de Norvège, mettant à mort 69 individus et en blessant 33 autres. Happé par cette histoire qui a fait le tour du monde, le dramaturge écossais a conservé le lieu, le contexte sociopolitique et certains éléments psychologiques du tueur, afin d’établir les bases de sa pièce.

Classée parmi les œuvres dramatiques les plus marquantes du journal britannique The Guardian en 2013, Les Événements tente de décortiquer les origines de la violence, sans faire l’apologie du tueur. « Ce n’est pas une pièce sensationnelle qui s’empare de l’actualité pour nous mettre de la poudre aux yeux, explique Schwartz. C’est plutôt une tentative de regard tendre et aimant sur notre monde. C’est un tour de force d’utiliser des mots pareils pour décrire un sujet comme celui-là. »

La douceur à laquelle l’acteur fait référence permet d’interroger le désespoir, de questionner la violence et de remettre en question les ravages du rejet, de la marginalisation, de l’intimidation et de l’endoctrinement, qui poussent certains êtres à faire de la pensée radicale une réalité. Une façon de confronter les spectateurs à une question incontournable : est-ce que cela pourrait se produire chez nous?

« La pièce est un dialogue sur des éléments politiques et sociaux qui résonnent ici aussi. Le Québec n’est pas si loin de la Scandinavie, même si on n’a pas la même composition démographique. Avec le temps, l’Europe unifiée est devenue une sorte de réflexion de l’Amérique, et vice-versa. Ce qui s’est passé là-bas est tout à fait traduisible ici, quand on pense à Marc Lépine ou à l’homme qui a voulu tirer Pauline Marois. Le texte traite de mondialisation, du travail des immigrants, du racisme, des valeurs fondamentales d’un pays et des élites qui s’accrochent au pouvoir. Ce sont des choses qu’on entend ici aussi. »

Interpellé par le propos de la pièce, Schwartz a également été séduit par l’écriture scénique de David Greig. « On suit le chemin de résilience de la rescapée, qui n’arrive pas à se remettre de ce qu’elle a vécu et qui voit le visage du tueur partout. Elle discute avec plusieurs personnes, en tranches de 15 à 30 répliques, qui font ressortir les différentes thèses sociales, politiques et psychologiques pouvant nous mener à un tel geste. Il tente une mise à plat de la psyché du tueur, sans jamais l’excuser. »

Alors que la survivante est jouée par Johanne Nutter, qu’on a vu à La Licorne dans Mon frère est enceinte, le comédien portera la parole de tous les autres. Un défi auquel il s’attaque sans chercher à dépareiller la démarche, la parlure, l’accent, la voix ou l’attitude de tout un chacun.

« Pour nous, la composition des personnages était un piège, car ce sont leurs intentions qui les mènent. Au lieu de me glisser dans la peau de chacun et de me tordre psychologiquement pour prendre leurs formes, je me vois comme un passeur de mots. Ce choix crée un genre de suspense narratif : le spectateur va être sur le qui-vive s’il veut comprendre chaque situation. »

L’auteur des pièces Yellow Moon et de Midsummer a une fois de plus utilisé la musique pour ajouter une couche de sens à son œuvre. Dans Les Événements, le cœur est à la fois le décor, le sujet et l’ambiance sonore.

« Le fait d’être entouré par la sensibilité de neuf acteurs-chanteurs nous permet de porter le récit autrement. Si on avait été seulement deux acteurs qui se renvoient la balle pour aller au fond des choses, ç’aurait pu donner l’impression qu’on met le tueur sur le bucher. Mais là, avec le chœur, le discours se déploie différemment. Je trouve son utilisation absolument formidable. »

La pièce Les Événements sera présentée à La Licorne du 12 janvier au 20 février 2016.

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