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«Qui êtes-vous?» : quelques secrets de la production

«Qui êtes-vous?» : quelques secrets de la production

La troisième saison de Qui êtes-vous? , présentée à Radio-Canada avant les Fêtes, a certainement été la plus émouvante de la jeune histoire de l’émission. Particulièrement d’actualité, le voyage qui a permis à l’auteure Kim Thuy de revisiter ses racines a tiré des larmes à plusieurs personnes.

Vous avez raté ces quatre dernières heures, aussi consacrées à Guylaine Tremblay, Anne Dorval et Marc Hervieux? Pas de panique, elles peuvent toujours être visionnées sur Tou.tv. Allez y faire un tour si vous n’avez pas encore eu la chance de les regarder; c’est à la fois captivant, bouleversant et instructif.

Guillaume Lespérance, producteur de Qui êtes-vous? (adaptation du format britannique Who do you think you are?) et Patricia Beaulieu, réalisatrice des épisodes consacrés à Guylaine Tremblay, à Anne Dorval, et, l'an dernier, à René Simard, nous dévoilent quelques secrets de la production.

C’est Guillaume Lespérance qui a eu envie d’adapter la formule Who do you think you are?, il y a cinq ou six ans. « C’est un énorme succès en Angleterre, où ça roule depuis huit ou neuf ans, indique le producteur. Moi, à la base, je suis un gars passionné d’histoire, et je trouvais très intéressant d’amener des personnalités dans ce contexte-là. Ça amène dans des zones d’émotions et d’intimité qu’on n’a jamais à la télé. Au total, pendant le tournage, on passe une douzaine de jours avec l’artiste. Ils sont souvent isolés de leur environnement, parce qu’on les amène voyager à l’étranger. Ça donne un côté très vrai, très authentique. Et c’est touchant pour eux aussi, parce qu’on expose le récit de leurs ancêtres. Ça donne place à beaucoup d’émotions. »

Le choix des invités de Qui êtes-vous? est crucial et s’effectue minutieusement. Trois critères doivent être respectés : les personnalités doivent être très aimées du grand public, elles doivent être réellement intéressées par le concept et leur généalogie doit présenter des aspects intéressants, originaux, et non pas ressembler à l’histoire de milliers d’autres Québécois. « On ne peut pas convaincre quelqu’un de faire cette émission-là, précise Guillaume Lespérance. C’est trop prenant. Ça exige une grande disponibilité émotive. Il faut avoir le goût, car ce sont eux qui font leur quête. Jusqu’ici, on n’a jamais eu de refus, mais moi, c’est arrivé que je décommande des gens parce qu’au fur et à mesure qu’on grattait, on découvrait que leur histoire n’était pas si intéressante. Il y a de grandes personnalités que j’aurais aimé faire, mais sur qui on ne trouvait rien. On en fait juste quatre par année, alors ça se doit d’être vraiment impeccable à chaque fois. » « Ce sont toujours des gens très gentils, très cool et qui acceptent de travailler en gang, qui vont accepter d’embarquer dans cette aventure, fait valoir Patricia Beaulieu. Comme c’est du documentaire, ils ne sont pas maquillés. Ils acceptent vraiment de se laisser aller dans cette aventure, de jouer le jeu jusqu’au bout. »

C’est la recherchiste Manuelle Légaré qui est d’abord responsable de défricher les premières informations nécessaires à l’élaboration d’un itinéraire. « Par exemple, avec Guylaine Tremblay, elle savait que le filon des Tremblay était super intéressant à exploiter, explique Patricia Beaulieu. C’est là qu’on voit si l’histoire est intéressante jusqu’au bout, s’il y a un punch à la fin. Souvent, Manuelle fouille, mais ne trouve rien de palpitant, alors elle doit laisser tomber. Pas que ce n’est pas intéressant, mais il manque quelque chose. C’est donc beaucoup la recherche qui guide le choix des artistes. Souvent, au Québec, les lignées viennent de France, de La Rochelle. Mais Marina Orsini avait des racines italiennes, et Marc Hervieux, anglaises. Ce sont là des filons intéressants, qui nous font voyager. La recherche en amont est très importante. »

« Ensuite, moi, je demande toujours une première rencontre avec l’artiste, pour vérifier si ça clique et si la personne comprend bien dans quoi elle s’embarque, continue Patricia Beaulieu. Qui êtes-vous? , ça implique des rencontres avec des généalogistes, des historiens, des spécialistes dans leur domaine. Les invités doivent donc être attentifs, avoir envie d’en savoir plus, être curieux… Souvent, dans un café, avec Guylaine Tremblay, tu sais si elle est vraiment fine, et si elle a vraiment des questionnements. Guylaine a adopté deux filles de Taiwan, et elle s’est longtemps sentie coupable et triste de ne pas poursuivre la lignée de son père. Elle avait envie de faire cette quête pour ses filles, aussi, puisqu’elle ne pourra jamais leur donner d’informations sur leurs parents biologiques. C’était beau, parce qu’elle ne le faisait pas juste pour elle. »

Les effectifs de tournage de Qui êtes-vous? sont à peu près les mêmes que ceux déployés pour un documentaire. « Mais on a deux caméras, parce que ce sont souvent des discussions, signale Patricia Beaulieu. On va dans des bibliothèques, des lieux protégés par le patrimoine. Nous, on est au service du contenu. On identifie l’histoire, on fouille, et on suit la personne dans sa quête, tout en essayant d’être les plus discrets possible. »

Établir les horaires des voyages exige une grande coordination, plusieurs mois à l’avance. « Souvent, on fait le bloc Québec – Amérique du Nord ensemble, et ensuite, on va en Europe, détaille Guillaume Lespérance. Souvent, quand on va en Europe, on fait deux artistes en même temps, pour absorber les coûts de déplacements. Parce qu’on est vraiment une toute petite équipe. »

« Guylaine Tremblay avait invité ses parents à l’accompagner pendant son voyage, pour qu’ils vivent ça avec elle, révèle Patricia Beaulieu. Elle leur a payé elle-même des billets d’avion. Alors, on a vécu ça avec eux. Même moi, je les ai fait participer, à la fin d’un épisode. On les a côtoyés pendant une semaine et ç’a été merveilleux. Ce sont des gens gentils, humains, et on dirait qu’on a encore plus découvert la personnalité de Guylaine à travers ça. On a partagé des repas avec eux, et c’était super touchant. »

Qui êtes-vous? ne revêt pas un caractère émotif seulement pour le téléspectateur. Sur place, un grand respect accompagne toutes les démarches de la vedette à la recherche de ses origines. Des relations étroites se créent aussi dans l’aventure.

« À la fin de la journée, les gens réalisent ce qu’ils viennent de vivre, relève Patricia Beaulieu. Et moi, j’ai juste le goût de leur demander : “Et puis, ta journée?” C’est souvent là qu’ils deviennent émotifs, et qu’ils réalisent pourquoi ils sont là. Je crois qu’aucun artiste ne prévoit être aussi touché ou ému dans cette aventure. Ils se disent qu’ils vont voir des documents, des preuves, des monuments, en sachant qu’ils ne rencontreront pas leurs ancêtres. Mais ils se font pogner! Dans l’épisode d’Anne Dorval, on l’a vue se tourner la tête, les yeux pleins d’eau, elle qui a habituellement beaucoup de retenue. Et je pense que c’est une marque de confiance entre nous tous. On est devenus tissés serré dans cette aventure. »

« Le critère numéro un pour l’équipe technique, c’est d’être intéressée par l’histoire, souligne Guillaume Lespérance. Parce qu’il faut comprendre qu’on passe tout notre temps, là-bas, avec les artistes. On déjeune, dine et soupe ensemble, on est au même hôtel. Moi, sur les 14 fois où je suis allé sur les lieux de tournage, ça pleurait pas mal derrière les kodaks! On a eu la chance de vivre des choses extraordinaires. Marina Orsini était avec sa mère, qui est décédée un an plus tard. On a été très attachés à cette dame, qui a retrouvé sa famille, et qui n’avait pas été en Italie depuis très, très longtemps. Pour Kim Thuy, on était avec ses frères et ses parents et, après le tournage, ils nous ont invités à souper chez eux. En vivant une expérience comme celle-là, on devient un peu partie intégrante de la famille, après. Ça crée des liens très, très forts. Avec Normand Brathwaite, on a tourné il y a cinq ans et, chaque fois que je le croise, il m’en parle. Je pense que ç’a changé sa façon de voir bien des choses. »

L’étape du montage est comme un travail de moine pour Patricia Beaulieu. « C’est une méchante job, rigole-t-elle. De mon entrée en montage, en commençant par le visionnement, jusqu’à la sortie, ça prend facilement deux mois, deux mois et demi, par épisode. C’est vraiment long. Moi, je dois tout réécouter et faire des choix. Ensuite, on va en montage et on envoie une première version à Radio-Canada. Après, il y a les corrections, les ajouts, les archives, les photos, la narration d’Emmanuel Bilodeau, le mixage, la colorisation des images, le générique… C’est tout un projet! Ce n’est pas rapide. Il faut tourner l’histoire, mais ensuite, il faut la raconter en gardant le meilleur du contenu. »

Pourquoi Guillaume Lespérance et Patricia Beaulieu croient-ils que Qui êtes-vous? intéresse autant les Québécois? « Je crois sincèrement que les gens aiment beaucoup se faire raconter des histoires, suggère Patricia Beaulieu. On les prend par la main et leur fait faire des rencontres sympathiques, au cours desquelles on va rire, réfléchir, être surpris, émus, touchés… C’est comme dire : c’est l’histoire d’une Guylaine Tremblay, qui est née là, qui a cette famille-là, qui a ces enfants-là, et qui va nous emmener au plus profond de ses racines, de ses origines. Je pense que c’est une espèce de gros trip. Il y a parfois beaucoup de contenu, ça pourrait être lourd. Mais, à travers les yeux de Guylaine, on découvre la généalogie des Tremblay, et on a du fun pareil! C’est important de faire des émissions comme ça. Les gens sont capables d’en prendre, du contenu. C’est riche, il y a tellement de travail derrière ça! »

« On parle souvent du mandat de Radio-Canada, renchérit Guillaume Lespérance. C’est un peu particulier, parce que ça fait pédagogique comme terme, mais dans Qui êtes-vous?, on parle vraiment d’histoire. Histoire du Québec, des gens qui sont venus ici, qui ont colonisé notre province, qui ont immigré. Et on passe à travers de grands moments historiques, par le biais de Québécois qui étaient là. Avec Claude Legault, on a abordé la Seconde Guerre mondiale, avec Kim Thuy, les boat people vietnamiens, avec Marina Orsini, l’immigration vietnamienne. Même chose quand on parle des premiers colons français, écossais, irlandais, qui ont trouvé dans le Québec une terre d’accueil. »

Une quatrième saison de Qui êtes-vous? est déjà en chantier. « On est en train de travailler les textes et les nouvelles recherches. On travaille toujours environ un an d’avance. On est en train de creuser pour trouver de bonnes histoires », conclut Guillaume Lespérance.

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