Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Comment la mode s'est mise à croire en Dieu en 2015?

Comment la mode s'est mise à croire en Dieu en 2015?
Uniqlo

Mariah Idrissi. Si vous ne connaissez pas son nom, son allure vous est peut-être plus familière. De grandes et rondes lunettes noires, un pardessus vieux rose, une jupe longue noire taille haute, des bottines blanches pointues, des bijoux or. Sans avoir la photo sous les yeux, rien dans cette description n'attire plus particulièrement votre attention?

Mariah Idrissi, jeune esthéticienne de Londres, porte dans cette photo publicitaire pour H&M (comme dans la vie de tous les jours), un hijab. Elle est depuis le 30 septembre 2015, le premier mannequin voilé à apparaître dans une pub pour le géant suédois et plus largement à poser pour une marque de mode grand public. À ses côtés dans cette campagne de pub, le chanteur Iggy Pop, le mannequin grande taille Tess Holliday, un mannequin transgenre et un mannequin amputé. Le slogan de la marque? "Il n'y a pas de règle dans la mode, sauf une: recyclez vos vêtements".

Si les cinq personnes choisies par la marque pour vanter le recyclage ont toutes leurs particularités, le voile de la jeune femme de 23 ans est de loin celui a qui fait couler le plus d'encre et qui a marqué l'année 2015. Les réactions du public ont été mitigées, félicitations ici, appel au boycottage là. L'initiative d'H&M a surpris, elle ne fait pourtant que suivre la mode.

Le succès de deux sœurs juives ultra-orthodoxes

"C'est une tendance de fond qu'on remarque depuis plusieurs années, mais, avant 2015, les choses n'étaient pas aussi évidentes", assure Frédéric Godart, l'auteur de Sociologie de la mode. Du Brésil à New York en passant les pays du Golfe, la mode a érigé la pudeur ("modest" en anglais) en vertu cardinale.

Depuis plusieurs années, les boutiques et les marques de mode évangélique fleurissent dans les rues de Sao Paulo et de Rio de Janeiro. Des vêtements qui couvrent les épaules, ne dévoilent pas le décolleté et ne montent pas au-dessus du genou. Un marché fleurissant puisque l'église évangélique au Brésil compte près de 55 millions de fidèles. Ces fervents chrétiens ne sont pas les seuls à faire rimer impératifs religieux et style.

Dans les rues de Brooklyn, Mimi Hecht et Mushky Notif, les cofondatrices de la marque de mode MIMU MAXI ont aussi leurs fidèles. Elles sont juives pour la plupart, mais aussi musulmanes, catholiques et mêmes athées. Ces deux belles sœurs juives hassidiques (ultra-orthodoxes) dessinent et vendent depuis 2012 des vêtements qui se veulent avant tout "confortables" dans une esthétique plutôt minimaliste.

Répondant aux mêmes standards que la mode évangélique, les créations MIMU MAXI sont très couvrantes. Les cols montent haut et les manches ne remontent jamais au-dessus des coudes. Depuis début 2015, leur petite marque dont le siège se trouve à Brooklyn a connu un grand coup de projecteur. Les articles sur leur travail se sont multipliés surtout après avoir fait poser une célèbre blogueuse américaine musulmane avec l'une de leurs créations, Summer Albarcha.

Si leur foi ne va pas au même dieu, Mimi Hecht, Mushky Notif et Summer Albarcha se rejoignent sur un point, pouvoir porter "une mode tendance, mais pudique". À l'été 2014, le rapprochement des trois femmes dans un contexte de vives tensions entre Israël et l'État Palestinien les a obligées à essuyer un grand nombre de critiques de tout bord.

Summer Albarcha s'est fait connaître en lançant à 16 ans le compte Instagram "Hipster Hijabis", un compte où elle posait comme n'importe quelles autres blogueuses mode du monde: un sourire rare, un maquillage impeccable, des lunettes noires assorties à ses tenues et surtout une collection de hijabs aussi impressionnante que le nombre de ses sacs. Quatre ans plus tard, la jeune femme étudiante dans une école de commerce a ses entrées à la Fashion Week de New York comme à celle de Dubaï.

Mango sort une collection spéciale Ramadan, Uniqlo va plus loin

La jeune femme est loin d'être la seule à professer la bonne parole du style avec un hijab. Qu'elles s'appellent mipsterz (contraction de "musulmane" et de "hipster") ou hijabistas, les blogueuses voilées jouent à armes égales avec le reste de la blogosphère mode.

Le monde du luxe, souvent précurseur en la matière, a bien compris le marché qu'elles pouvaient représenter. "La mode féminine s'essouffle, les modes masculines et enfants sont en plein boom, la mode religieuse représente en ce sens un nouveau marché", assure Frédéric Godart. Selon une étude menée par Thomson Reuters, les musulmans dans le monde dépensent 266 milliards de dollars en vêtements et chaussures par an, soit plus que les Japonais et les Italiens réunis. D'ici 2019, ce chiffre devrait passer à 484 milliards de dollars.

"Dans le monde, la population musulmane est jeune et très dynamique d'un point de vue démographique, abonde Reina Lewis, professeur au London College of Fashion et auteur de la Mode musulmane: les cultures du style contemporain (inédit en français) interrogée par le magazine Fortune. "Cela fait des musulmans un segment de consommateurs très important dans tous les domaines."

Ainsi, en juin 2015, Mango et Tommy Hilfiger ont chacun dévoilé pour la première fois deux collections pour le Ramadan, seulement vendues dans les pays arabes. Avant eux, DKNY, Oscar de la Renta ou encore Net-a-Porter, un site de vente en ligne de vêtements de luxe, proposaient déjà la même chose.

Une fois le mois du Ramadan terminé, ces collections disparaissent des rayons. Uniqlo a décidé d'aller plus loin. La chaîne de magasins japonais a lancé en juillet 2015 la "Hana Tajima Lifewear collection", disponible à Singapour et en ligne. Hana Tajima, une blogueuse musulmane anglaise, a dessiné des vêtements couvrants comme des longues jupes, mais aussi des hijabs et des kebayas.

So this is happening 💛💛 #UniqloxHanaTajima photo by @parkerfitzhenry starring @yunaleese

Une photo publiée par hntaj (@hntaj) le

Des créations dont la sobriété rappelle celles des fondatrices de MiMU MAXI et de la mode évangélique. Uniqlo a d'ailleurs pris soin de ne pas associer cette collection au Ramadan ou à l'Islam. Ces modèles sont censés s'adresser à toutes les femmes qui se reconnaissent dans "la mode pudique" (modest fashion), assure Hana Tajima.

Musulmanes, évangéliques, juives ultra-orthodoxes, cette nouvelle mode semble donc rassembler plus qu'elle ne divise. Preuve selon Frédéric Godart que "les contraintes vestimentaires imposées par les religions ne sont pas imperméables aux diktats de la mode". Même si ces règles vestimentaires sont toutes du même ordre: cacher le corps de la femme.

Sensuelles, secrètes ou même sexy, les adeptes de cette mode qui couvre plus qu'elle ne dévoile sont convaincues que la vraie beauté est faite de couches de vêtements. Certaines, comme la créatrice américaine Nzinga Knight, n'hésitent pas à affirmer que s'habiller ainsi est un signe de liberté, une liberté que les femmes dans les sociétés occidentales auraient perdue. Jusqu'à quand durera le règne de la jupe longue ?

INOLTRE SU HUFFPOST

Conchita Wurst

Ces actrices et mannequins à la beauté non-conventionnelle

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.