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La résurrection des mammouths se fera peut-être plus rapidement que vous ne le pensez

Bientôt des mammouths dans la steppe?
longnow.org

De toutes les possibilités offertes par CRISPR-Cas9, une nouvelle méthode controversée de réécriture de l’ADN, les plus fascinantes sont peut-être les tentatives de faire renaître des animaux disparus. Parmi les espèces candidates à la dé-extinction, comme l’ont baptisé les Anglo-Saxons, citons par exemple le pigeon voyageur (dont le dernier est mort en captivité en 1914), le dodo (observé pour la dernière fois en 1662) ou le lamantin (disparu en 1768, 27 ans seulement après sa découverte par les Européens).

Et ces projets ne sont pas chimériques.

Le docteur George Church, biologiste moléculaire en charge de projets de ce type à Harvard, estime qu’une version du mammouth laineux (disparu il y a environ 4 000 ans) pourrait voir le jour dans sept ans à peine. Comme les autres partisans de la dé-extinction, il espère que ces animaux joueront un rôle clé dans le ralentissement ou l’inversion du changement climatique.

Si, comme la plupart des gens, vous avez vu Jurassic Park, vous connaissez à peu près le processus. Des scientifiques commenceraient par récupérer de l’ADN sur les restes congelés d’un mammouth laineux, conservé pendant des millénaires dans les glaces de la toundra. Ils épisseraient ensuite cet ADN dans le génome d’un éléphant d’Asie, comme cela a été fait cette année dans le laboratoire du Dr Church. Selon lui, les deux espèces sont tellement proches qu’elles pourraient se reproduire entre elles si les mammouths existaient encore. Une fois leur ADN manipulé pour le rapprocher de celui de leurs cousins d’autrefois, les éléphants d’Asie seraient en mesure de donner le jour à un hybride plus gros et plus poilu.

Un mois après l’annonce du succès de cette tentative d’épissage génétique, un groupe de scientifiques internationaux a publié un article présentant leur travail de séquençage de tout le génome du mammouth laineux, lequel fournira une “feuille de route” pour rapprocher les chromosomes de l’éléphant d’Asie de ceux du mammouth. Grâce à CRISPR, ces modifications sont plus rapides, plus simples et moins coûteux que jamais. Cette méthode permet aux chercheurs de modifier, supprimer ou remplacer les gènes de n’importe quel animal ou plante, à la manière du “rechercher et remplacer” d’un logiciel de traitement de texte.

Le Dr Church et d’autres spécialistes affirment que ces travaux ne se limitent certainement pas à la création d’une sorte de Mammouth Park. Leur espoir est que ces éléphants d’Asie adaptés au froid puissent repeupler les immenses étendues de toundra et de forêts boréales d’Eurasie et d’Amérique du Nord, un objectif qui, selon eux, permettra à la fois de protéger cette espèce menacée et de faire revivre au cœur de la toundra une ancienne zone de prairies, qui pourrait empêcher la fonte du permafrost sibérien.

Bien sûr, les critiques ne manquent pas. Stuart Pimm, professeur d’écologie de conservation à l’université Duke, l’a qualifié de “fantaisie moléculaire” dans un éditorial pour le National Geographic.

“Dans le pire des cas”, écrit-il, “cette idée donne l’impression aux organismes de financement et aux doyens d’université de sauver le monde. Elle permet aux développeurs sans scrupules d’occulter leur avidité en promettant de s’attaquer aux problèmes plus tard. Elle nous détourne aussi de l’objectif de garantir la biodiversité de notre planète pour les générations futures.”

Lors d’une discussion avec le Dr Church, le Huffington Post a fait le point sur les éventuels bénéfices des tentatives de dé-extinction dans la lutte contre le changement climatique, les inévitables dilemmes éthiques posés par ces travaux, et les réponses qu’il apporte aux critiques (cette interview a été condensée).

Quoi de neuf dans le monde de la dé-extinction?

Nous présentons désormais cela comme une tentative d’améliorer la diversité et les capacités de survie actuelles grâce à l’exploitation d’ADN préhistorique. Il s’agit donc moins de ressusciter une espèce entière que de faire progresser les espèces d’aujourd’hui. D’un point de vue tout à fait pratique, nous sommes obligés de procéder à nos manipulations sur un hôte, alors autant l’aider au passage!

Mon exemple préféré, c’est l’éléphant d’Asie. Son existence est menacée par deux dangers majeurs. Il est en train de s’éteindre, comme le mammouth avant lui, principalement à cause des humains, qui aggravent tous ses problèmes existants.

L’idée centrale du projet est d’incorporer des techniques moléculaires modernes dans des projets de préservation de l’environnement: faire revivre des allèles de mammouth, de simples fragments d’ADN qui peuvent rendre l’espèce actuelle résistante au froid, par exemple.

Pour transformer un éléphant d’Asie en mammouth, on commence par trois grandes adaptations:

- Oxygénation du sang face aux basses températures.

- Graisse sous-cutanée: isolation et résistance au manque de nourriture.

- Épais pelage pour mieux faire face aux éléments.

Comment tout cela fonctionne-t-il? Imaginons que vous réussissiez à implanter les gènes d’un mammouth laineux chez un éléphant. Est-il qu’il va tout naturellement migrer vers le nord?

Il y a un précédent: le bison. Cette espèce était quasiment éteinte dans le monde entier. Il n’en restait que quelques centaines. Il fallait donc mettre au point un projet qui toucherait des territoires situés aussi bien en Russie qu’en Europe et en Amérique du Nord. Aujourd’hui, il y en a 500 000. On peut donc les installer dans des ranchs ou des territoires protégés, par exemple. Dans le cas du mammouth, ce sera sûrement encore plus simple, parce qu’ils vivront plus au nord, là où il y a encore moins de population et moins de demande pour l’occupation des territoires. Ce n’est pas comme si on comptait bâtir une ville ou une usine en Sibérie.

Tout cela aurait un effet positif sur l’environnement. Cela contribuerait à restaurer des écosystèmes riches, reposant sur l’herbe et les mammouths laineux, en lieu et place des écosystèmes actuels, basés sur les arbres et la mousse, que de nombreux écologistes trouvent bien plus pauvres.

Croyez-vous que ces projets puissent représenter l’une des clés de l’inversion du changement climatique?

Ils devront s’articuler autour de plusieurs axes. Mais ce projet pourrait être l’un des axes principaux, étant donné que la quantité de CO2 accumulée dans la toundra arctique est environ deux fois et demi supérieure à celle de toutes les autres forêts du monde. Si cette toundra fond, tout ce CO2 sera relâché dans l’atmosphère, ce qui équivaudrait à brûler deux fois toutes les forêts du monde.

Toute démarche pour stabiliser ce milieu est donc bonne à prendre. Pour ce qui est des éléphants, nous avons procédé à des expériences en soumettant des parcelles de terrain à un traitement similaire à celui qu’aurait engendré la présence de mammouths, en abattant des arbres et en creusant des trous dans la neige avec des tanks et des tracteurs. En conséquence de quoi, la température du sol a baissé de 8 à 12°C, ce qui permettrait de stabiliser les émissions de CO2 et nous ferait gagner quelques décennies pour trouver d’autres solutions.

Comment s’est développée l’idée de ressusciter des espèces éteintes?

D’abord avec Jurassic Park. Puis des percées dans le séquençage de l’ADN nous ont permis de décoder des génomes vieux de 7 000 ans, à des coûts abordables. Aujourd’hui, nous disposons de tout le génome de ces espèces très anciennes et, dans certains cas, d’hôtes qui s’en rapprochent énormément.

Cela s’est fait en trois étapes. D’abord l’idée de base, puis la mise au point de nouvelles méthodes de séquençage – mon équipe a contribué à en développer certaines – et, enfin, de nouvelles méthodes de synthèse telles que CRISPR, qui nous permettent de tester les idées nées de ce séquençage.

Comment avez-vous réagi en voyant “Jurassic Park” dans les années 1990? Cela vous semblait-il réaliste?

J’ai lu le livre de Crichton en 1990, et vu le film en 1993. Jolie surprise, l’“ADN de dinosaure” mentionné dans le livre venait en fait d’un fragment d’ADN bactérien (et non pas d’ADN de dinosaure) que j’avais étudié en 1978 pour la thèse de mon doctorat. En 1990, mon laboratoire de recherche avait trois ans, l’idée de séquencer de l’ADN ancien en avait six, et celle de manipuler un génome par recombinaison homologue d’une lignée germinale animale fêtait son premier anniversaire.

Tout cela me semblait possible, d’autant que mon laboratoire était spécialisé dans les nouvelles technologies de séquençage et d’ingénierie des génomes.

En quoi est-ce que CRISPR a changé la donne?

Par rapport aux méthodes précédentes, l’usage de CRISPR divise les coûts par mille, ce qui change tout. La différence n’est pas seulement quantitative. Elle ouvre des horizons complètement nouveaux. Grâce à CRISPR, nous avons déjà fait quinze modifications génétiques dans le génome de l’éléphant. Avant, cela aurait été très difficile.

Maintenant, le point de blocage n’est plus CRISPR mais la culture des embryons et le fait de s’assurer que leur développement se passe normalement. C’est ce qui nous ralentit en ce moment.

Sergey Brimov, un écologiste russe qui compte parmi les principaux partisans de la dé-extinction des mammouths laineux, a un jour écrit que “le problème majeur [était] de venir à bout des préjugés”.

C’est presque toujours le cas.

Quels sont, selon vous, les préjugés actuels sur la question de la résurrection d’espèces disparues?

Je pense que certaines personnes ont pour vocation d’explorer de nouveaux mondes. J’en fais partie. Déjà, rien que pour mettre au point de nouvelles méthodes de séquençage et de synthèse, nous sommes obligés de sortir des modes de pensée conventionnels. En fait, je ne crois pas qu’il soit nécessaire que chacun apprenne à penser différemment. En général, il suffit de quelques personnes pour mettre se préoccuper des détails et présenter des projets convaincants.

Je pense qu’il est difficile de changer les mentalités tant qu’on n’a pas implanté de l’ADN de mammouth chez quelques éléphants d’Asie et que l’on voit bien qu’ils deviennent plus poilus, mieux adaptés au froid, etc. Ce n’est qu’ensuite que l’on peut suggérer de passer à la vitesse supérieure. C’est là qu’il faut vraiment commencer à convaincre.

Ça ne peut pas faire de mal d’en parler dès à présent, parce que les choses pourraient aller bien plus vite qu’on ne le croit. Certaines de ces technologies ont plutôt tendance à dépasser les prévisions.

Quand pourrait-on voir naître les premiers éléphants laineux?

L’usage de CRISPR s’est finalement montré plus facile que prévu. Pour ce qui est de la culture des embryons, c’est plus difficile à prévoir. Je dirais qu’il nous faudra sûrement cinq ans pour mettre au point toute la partie développement de l’embryon, puis au moins deux ans pour procéder à une gestation complète. La première naissance pourrait donc avoir lieu d’ici sept à dix ans. Ce n’est pas loin du tout.

Comment les appellera-t-on?

Pour ma part, je les appelle des éléphants d’Asie résistants au froid. La partie qui tient indiscutablement du mammouth laineux, c’est l’ADN dont nous nous inspirons et que nous injectons littéralement par ordinateur dans le génome de l’éléphant d’Asie. Le nom de l’espèce hybride sera choisi par consensus, cela ne dépend pas de moi. Je ne compte pas les qualifier de mammouths, sauf si les gens insistent là-dessus. Ce sont des éléphants avec de l’ADN de mammouth.

Selon vous, quels sont les principaux problèmes éthiques?

Qu’on parle de médecine humaine ou d’intervention sur l’écosystème, tout tourne quasiment autour de la sécurité et de l’efficacité. D’abord pour les personnes et, tout de suite après, pour les autres espèces.

Dans ce cas précis, on entend des choses comme: “Ils vont se sentir bien seuls.” Eh bien, la solution, c’est d’en créer tout un troupeau, comme on l’a fait avec le bison. On pourrait facilement créer des dizaines de milliers de ces éléphants. Une autre question qui se pose est de savoir si leur environnement n’a pas disparu. La cause de leur extinction n’est–elle pas encore d’actualité? Pour moi, la partie septentrionale de la Sibérie est probablement suffisamment froide. De fait, le climat actuel n’est pas trop chaud pour les éléphants d’Asie, mais trop froid. Fait-on du mal aux espèces actuellement en danger? Je pense que notre intention est seulement de les aider.

Qu’avez-vous à répondre à ceux qui qualifient ce projet de “fantaisie moléculaire”? Ou qui considèrent qu’il nous détourne des efforts nécessaires pour protéger la biodiversité actuelle?

C’est très vague, comme critique. Nous avons là une manière très spécifique de protéger la biodiversité des éléphants d’Asie. S’il existe une meilleure manière de procéder, je ne demande qu’à l’entendre. Nous essayons de réduire le taux de mortalité dû au virus de l’herpès chez les bébés, et de leur donner une meilleure résistance au froid afin d’élargir leur habitat potentiel. À mes yeux, ce n’est ni une distraction ni un projet fantaisiste. C’est un objectif concret.

Une autre critique du même genre consiste à dire que ce projet détourne à son profit des financements qui iraient normalement à d’autres, ou fait croire aux gens qu’il est inutile de protéger les espèces actuelles parce qu’on pourra toujours les ressusciter ensuite. Sauf qu’en réalité, nous n’allons pas ressusciter des espèces disparues mais renforcer celles qui existent. Nous pourrions envisager une dé-extinction totale à l’avenir, mais seulement parce que le procédé est peu coûteux et présente des avantages.

Nous n’allons pas nous contenter de sauver les éléphants d’Asie. Si on peut se fier aux expériences écologiques, alors il existe parmi les espèces disparues des clé de voûte qui pourraient permettre de stabiliser toute une série d’autres espèces – plantes, microbes et animaux comme le mammouth. On peut trouver ça fantaisiste, mais cette stratégie de préservation de l’environnement a un objectif précis.

Cet article, publié à l’origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Guillemette Allard-Bares pour Fast for Word.

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