Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

«Honorer dignement la mémoire» de 3201 enfants morts dans les pensionnats autochtones

3201 enfants morts dans les pensionnats autochtones

« La mort jette une ombre sur les pensionnats au Canada », déplore la Commission de vérité et réconciliation du Canada dans son rapport final, qui sera rendu public mardi. Pendant les quelque 130 ans qu'auront duré les pensionnats autochtones, au moins 3201 enfants déracinés de leur communauté y auront laissé leur vie.

Un texte de Sophie-Hélène Lebeuf

Entre la fin du 19e siècle et 1996, année où ferma, près de Regina, en Saskatchewan, le dernier pensionnat, environ 150 000 enfants indiens, inuits ou métis ont été retirés de leur famille pour être envoyés de force dans des écoles religieuses, une pratique que la Commission a qualifiée d'« outil central d'un génocide culturel ».

Des centaines et des centaines n'en sont jamais revenus.

La proportion de pensionnaires autochtones qui décédaient en bas âge était « bien plus élevée que celle des enfants d'âge scolaire de la population en général », soulignent les commissaires dans le chapitre consacré aux « Enfants disparus et lieux de sépulture non marqués », un volumineux document de plus de 300 pages.

De 1941 à 1945, par exemple, le taux de mortalité des élèves autochtones était presque cinq fois plus élevé que le taux de mortalité général des écoliers canadiens.

Si la Commission a pu confirmer 3201 décès, ceux qui y ont oeuvré y voient une estimation bien modérée. « On soupçonne qu'il y a eu le double de ça », a indiqué la commissaire Marie Wilson en entrevue au Téléjournal.

« On sait déjà qu'il y a eu un autre millier qui étaient déjà malades, qui ont quitté l'école et qui sont rentrés chez eux », où ils sont morts, précise-t-elle.

La tuberculose, principale meurtrière

Les jeunes Autochtones étaient particulièrement nombreux à succomber à des maladies infectieuses, surtout la tuberculose, qui était « endémique » dans les pensionnats, relève le rapport.

Le gouvernement et les pensionnats ne mentionnaient pas systématiquement la cause de la mort : en fait, ils ne l'ont précisé que dans la moitié des cas.

Mais dans près de la moitié (48,7 %) des cas où une cause a été répertoriée, c'est la tuberculose qui était responsable du décès.

« La vulnérabilité d'un enfant à la tuberculose et sa capacité à se remettre de l'infection dépendaient en grande partie de l'alimentation, des conditions d'hygiène, de l'aération, de la qualité des vêtements et de la force physique », rappelle la Commission. Or, les conditions de vie des pensionnaires laissaient notamment à désirer.

« Comme le financement accordé par le gouvernement était insuffisant, les élèves de la plupart des pensionnats étaient mal nourris, logés dans des locaux surpeuplés et insalubres, mal habillés et surchargés de travail. »

— Extrait du rapport

Les commissaires notent en outre que le gouvernement « n'a pas été en mesure d'imposer et de maintenir un mécanisme de sélection qui aurait empêché les enfants infectés d'être admis aux pensionnats », un manque qui a « amplifié la crise de la tuberculose qui sévissait déjà dans la communauté autochtone ».

Des centaines d'enfants ont succombé à d'autres maladies, comme la grippe, la pneumonie, d'autres maladies pulmonaires ou la méningite.

Quoique moins nombreux, quelques dizaines de décès sont attribuables à des accidents, comme des noyades ou de l'hypothermie, essentiellement survenues lors de fugues, ou des incendies ayant éclaté dans les pensionnats.

Il est même arrivé - à six reprises - que des élèves, « désemparés, privés de soins et maltraités », s'enlèvent eux-mêmes la vie.

Des morts anonymes

La Commission a pu consigner dans un registre le nom de 2400 élèves décédés dans les pensionnats ou peu après leur libération.

Mais, dans bien des cas, les jeunes Autochtones sont morts de façon anonyme. C'est le cas de 1161 enfants, dont le nom n'a même pas été inscrit par le gouvernement fédéral et les pensionnats dans leurs registres.

Parfois, on ne consignait même pas le sexe de l'élève décédé : une omission qui s'est répétée à 747 occasions. « J'ai souvent fait le lien avec le soldat inconnu », illustre la commissaire Marie Wilson.

« On n'a pas inscrit leur nom. En plus, beaucoup n'avaient pas de nom dans le contexte des écoles parce qu'on leur a donné des chiffres. [On leur disait :] vous êtes le numéro 66 maintenant, vous êtes le numéro 65... »

— Marie Wilson, commissaire à la Commission de vérité et réconciliation du Canada

« Ça nous dit qu'il reste beaucoup de travail à faire », constate-t-elle.

Il faut se rappeler que derrière ces numéros se cachent des humains qui étaient « aimés par quelqu'un », ajoute Mme Wilson. « Il faut leur redonner le nom qu'ils avaient quand ils étaient en vie » afin de leur redonner leur dignité, plaide-t-elle.

La majorité des Autochtones décédés n'ont même pas fait le voyage de retour. Les corps n'étaient renvoyés qu'exceptionnellement aux familles, essentiellement lorsque celles-ci pouvaient assumer le transport.

Par conséquent, ils étaient inhumés loin de leur communauté, probablement dans des cimetières situés sur le terrain des pensionnats ou dans des cimetières de mission des environs. Plusieurs de ces lieux de sépulture ont été laissés à l'abandon, déplore par ailleurs la Commission.

Le fédéral montré du doigt

Les commissaires déplorent l'inaction du fédéral dans ce dossier.

Il jugent notamment qu'il « n'a jamais adopté un ensemble de normes et de règlements qui auraient permis de garantir la santé et la sécurité des pensionnaires ».

Quant aux seuils minimums qu'il avait institués, ils n'ont jamais été « appliqué[s] efficacement ».

Cette absence de règlements est due en grande partie à sa volonté de « réduire au minimum les coûts reliés aux pensionnats », souligne la Commission.

« L'omission d'établir et d'appliquer des normes adéquates, à quoi s'ajoute l'insuffisance du financement des pensionnats, s'est soldée par un taux de mortalité inutilement élevé dans ces établissements. »

— Extrait du rapport

C'est l'Alberta - et de loin - qui compte le plus grand nombre de jeunes Autochtones décédés dans les pensionnats. Dans l'ensemble, l'Ouest canadien est la région du pays où les décès ont été les plus nombreux.

Honorer la mémoire des victimes

À l'issue de leurs 6 ans de travaux, pendant lesquels quelque 7000 victimes et responsables de pensionnats autochtones ont témoigné, la Commission formule 4 recommandations relativement aux pensionnaires décédés.

Les coroners en chef et les bureaux de l'état civil des provinces et des territoires qui n'ont pas fourni leurs dossiers sur les enfants autochtones décédés à la Commission doivent les mettre à la disposition du Centre national pour la vérité et réconciliation, soutiennent les commissaires.

Ottawa doit pour sa part investir suffisamment dans ce Centre de façon à lui permettre de tenir à jour le registre national des décès.

Le gouvernement fédéral doit collaborer avec l'Église et les dirigeants communautaires autochtones pour informer les familles des enfants décédés du lieu de leur sépulture afin qu'elles puissent tenir des cérémonies commémoratives et, si elles le veulent, les enterrer dans leurs collectivités d'origine.

Enfin, les stratégies de documentation et de commémoration doivent être élaborées en collaboration avec les collectivités autochtones, en respectant leurs protocoles, par exemple, sur les lieux d'un cimetière.

Ces recommandations « doivent servir de cadre à une stratégie nationale de documentation, de conservation, de commémoration et de protection des cimetières des pensionnats », estime la Commission . « Un tel programme, mené en étroite concertation avec les communautés autochtones concernées, est indispensable pour honorer dignement la mémoire des enfants qui ont péri dans les pensionnats du Canada », conclut le rapport.

Le dépôt du rapport ne clôt pas ce dossier très sombre de l'histoire canadienne, estime la commissaire Wilson. « Au contraire, c'est l'ouverture d'une piste qui va être beaucoup plus longue qu'un chapitre », dit-elle, en espérant que cela contribue à « renormaliser nos relations entre Autochtones et non-Autochtones ».

INOLTRE SU HUFFPOST