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Identité sexuelle: Un français plus neutre : utopie?

Un français plus neutre: utopie?

L'une des plus grandes difficultés auxquelles les personnes trans francophones ont à faire face est l'absence de neutralité dans la langue. Tout est forcément féminin ou masculin. Et donc, toutes les fois où elles engagent une conversation, on leur rappelle sans cesse le fait qu'elles ne s'identifient ni au sexe féminin ni au sexe masculin.

Un texte de Geneviève Proulx

Plusieurs essais sont en cours au sein même de la communauté pour en faire ressortir des règles communes. Certains prônent l'utilisation du « iel » comme pronom neutre alors que d'autres préfèrent le « ille » ou le « ol ». Les accords des adjectifs et des participes passés varient également. Ainsi, on peut lire ce type de phrases : « Ile est heureuxe (il/elle est heureux/heureuse) » ou « Ille est créatifve, mais est fâché.e ».

Un simple caprice de la communauté trans? « Près de la moitié des personnes trans vont tenter de se suicider. De 70 % à 80 % ont ou ont eu des pensées suicidaires. Ce n'est pas dû à leur identité, mais bien aux barrières auxquelles elles font face », rappelle la coordonnatrice du Centre de lutte contre l'oppression des genres de l'Université Concordia, Gabrielle Bouchard.

La militante raconte que la détresse quant à l'utilisation d'un pronom genré (le il ou le elle) de ces gens peut aller très loin. Tellement loin que lorsque des personnes trans sont hospitalisées, pour quelque raison que ce soit, la communauté se mobilise et des « veilles trans » sont organisées dans les hôpitaux. « Elles sont mégenrées à répétition. C'est très difficile. On est là pour rappeler constamment au personnel de quelle façon on doit s'adresser à ces gens. »

Quelques exemples de mots et d'accords proposés par la communauté trans

On emploie la lettre « t » comme terminaison pour les accords de verbes conjugués avec l'auxiliaire être :« Ille est allet ou Iel est aimeT. » Le mélange des genres peut aussi être accepté : « Sam est un étudiante » ou « Sam est une étudiant ».

Caprice ou question de respect?

Pour Gabrielle Bouchard, utiliser le pronom désiré par une personne, c'est une question de respect en premier lieu. « Respecter l'accord, utiliser le bon pronom en parlant à une personne, pour moi, c'est temporaire. Pour ces personnes, elles vivent avec ça tout le temps. Si je prononce mal ton prénom, tu n'aimeras pas ça, tu vas me reprendre. C'est pareil pour les personnes trans. »

Le premier linguiste à Radio-Canada, Guy Bertrand, ne croit pas à l'introduction d'un pronom neutre dans la langue française. « Sur le plan strictement social, c'est absolument possible. C'est absolument souhaitable pour le respect de ces gens d'avoir un "genre neutre". Sur le plan linguistique, c'est absurde parce qu'on ne peut pas décider, un moment donné, de changer la langue pour inclure un nouveau genre. Ça ne s'est jamais fait. »

Mme Bouchard est d'avis contraire et croit que la langue s'adaptera naturellement aux demandes de la communauté trans.

« Le langage évolue tout le temps. Avant, on pouvait dire à quelqu'un "ma petite pitoune". Aujourd'hui, ce n'est plus possible. Ça ne sera pas rapide, c'est compliqué, mais je rêve du jour où on donnera des cours d'écriture non genrée. »

— Gabrielle Bouchard

Effectivement, la langue française a grandement évolué depuis l'époque de son ancêtre, le latin, et elle évolue toujours. « C'est l'usage qui fait foi. Les langues fonctionnent de façon démocratique. C'est toujours le peuple qui décide. On ne parle pas comme dans le temps de Louix XIV. Ça se fait tout seul. On n'a pas à forcer la chose. Quand on va à l'encontre de ça, c'est là qu'on a des problèmes, mentionne Guy Bertrand. C'est un phénomène qui se fait sur de nombreuses années, des fois sur des siècles. Les langues évoluent de façon naturelle. Quand on crée quelque chose d'artificiel, c'est extrêmement difficile de mobiliser une population. Ça ne s'est jamais fait. Les gens sont réfractaires à ça. »

La construction d'un français plus neutre

Il y avait pourtant un genre neutre dans le latin. « Au départ, on pense que les êtres animés, les humains et les animaux, avaient un genre linguistique. Les objets inanimés, quant à eux, étaient neutres. Avec les siècles, on a fini par inclure le féminin et le masculin à des objets inanimés pour des raisons qu'on ne connaît pas. Pourquoi dit-on la moutarde et le pain? Est-ce qu'un pain, c'est plus masculin que de la moutarde? Il y a toutes sortes de choses mystérieuses autour de l'assignation d'un genre en linguistique. Ça ne va pas nécessairement avec le sexe », rappelle M. Bertrand.

La réflexion autour de la construction d'un français plus neutre est toute récente. « La conversation chez les anglophones a commencé il y a 20 ans. En français, ça a commencé jeudi passé, illustre Gabrielle Bouchard. Il y a plein de tentatives qui se font dans le monde, mais ce n'est pas évident à faire. »

« Ça n'a aucun bon sens [de créer artificiellement un pronom neutre] parce que c'est complètement artificiel. Il n'y a pas de logique. Ce n'est pas possible. Ça ne verra jamais le jour. Il n'y a personne qui va s'astreindre à un exercice mental aussi difficile pour ménager la susceptibilité d'une minorité. Ce n'est tellement pas nécessaire. On exagère dans la rectitude politique. »

— Guy Bertrand

À défaut d'utiliser le « iel » dans la conversation et d'accorder les adjectifs à la façon trans, Gabrielle Bouchard suggère de mettre l'accent sur l'action. « Plutôt que de dire que le facteur est gentil, on pourrait dire la personne qui distribue le courrier est gentille. C'est plus facile à "dégenrer". »

Pour le linguiste, la reconnaissance du statut des personnes trans va beaucoup plus loin que des changements dans la langue. « Ce qui est important, c'est de se battre pour que les gens les respectent. Avoir du respect, ça ne veut pas dire changer la langue pour les accommoder. Avoir du respect, c'est être respectueux envers eux. À mon avis, ce n'est pas dans un changement en profondeur de la langue qu'on va être plus respectueux. C'est dans l'attitude et l'inclusion sociale que ça se fait. »

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