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Après le meurtre, l'ex-consule à Miami doit maintenant défendre son fils

Après le meurtre, l'ex-consule à Miami doit maintenant défendre son fils
Radio-Canada

Exclusif - La nouvelle avait fait les manchettes : le premier fils de la consule générale du Canada à Miami meurt dans une fusillade et le second est accusé de meurtre. La justice de la Floride fait-elle preuve d'une plus grande sévérité face à un jeune Canadien privilégié et qui, de surcroît, est Noir? Pour la première fois, Roxanne Dubé donne sa version des faits.

Un reportage de Johanne Faucher et de Jo-Ann Demers

Marc et Jean Wabafiyebazu ont grandi à Ottawa, fréquenté le lycée Claudel, une des meilleures écoles privées de la capitale. En 2005, les deux jeunes ont suivi leurs parents en Afrique lorsque Roxanne Dubé a été nommée ambassadrice du Canada au Zimbabwe. La famille était à Miami depuis à peine deux mois au moment du crime.

Le crime en vidéo

30 mars 2014. Marc Wabafiyebazu, 15 ans, accompagne son grand frère Jean dans l'auto de leur mère. Jean a rendez-vous dans le quartier populaire de Coral Way, à Miami, avec Robert Sanchez, Anthony Rodrigues, Joshua Wright et Juan Ruiz Perez pour acheter un kilogramme de marijuana.

Les événements ont été tournés par une caméra de surveillance d'une maison voisine. Sur les images, on voit Jean sortir de la voiture. On le voit se diriger vers l'appartement. Marc attend dans l'auto du côté passager. Cinq minutes plus tard, des coups de feu retentissent. Jean et Joshua étaient armés. Tous les deux meurent dans la fusillade.

Quelques minutes plus tard, la police arrive, et arrête Marc. Il sera accusé de meurtre au premier degré et sera déféré, malgré ses 15 ans, en cour adulte.

Un policier et une autre version

Après son arrestation, Marc est emmené au poste de police. Il est accusé d'avoir tiré avec une arme à feu. Il est laissé seul dans une salle d'interrogation pendant 10 heures. Le détective responsable de l'enquête, Ronaldo Garcia, et deux agents viennent lui annoncer que son frère est mort.

Marc serait sorti de ses gonds et aurait menacé le détective de lui faire sauter la cervelle. Ces menaces n'ont pas été filmées et la caméra n'a pas été mise en marche, comme le prévoient les procédures de la police de Miami.

Ensuite, Marc doit être transféré au centre de détention pour jeunes. Le policier qui l'accompagne soutient que l'accusé lui a alors tout déballé. Marc aurait admis que son frère et lui n'en étaient pas à leur premier vol de drogues, qu'il savait que son frère aîné était armé, qu'il aurait tiré sur Anthony Rodriguez, le fournisseur de drogue, quand il l'a vu prendre la fuite. Et finalement, que son rôle dans cette opération était de faire le guet et de prendre le volant de l'auto pour fuir le moment venu.

La vidéo de surveillance a prouvé qu'au moins deux de ces affirmations sont fausses. Marc n'a jamais tiré sur Anthony Rodriguez et il a attendu sur le banc du passager, ce qui jette un doute sur sa participation active au crime.

De plus, contrairement à ce que prétend le détective Garcia, la police n'a jamais tenté de joindre Roxanne Dubé pour la prévenir. Le relevé de téléphone démontre qu'elle n'a reçu aucun appel de leur part dans les 12 premières heures.

Le cauchemar d'une mère

« Je savais que [Jean] consommait, je ne pense pas qu'il avait une dépendance. Je soupçonnais vers la fin qu'il avait fait un peu de trafic. Je n'avais aucune idée, mais vraiment aucune idée que Jean était capable de voler. Vraiment, je vous regarde dans les yeux, aucune idée », raconte Roxanne Dubé, qui donne sa version des faits pour la première fois devant la caméra.

« C'est ça qui m'a le plus renversée dans l'événement à Miami. De penser qu'un jeune, mon fils, peut prendre une arme chargée, entrer dans un appartement. Avec des gens qu'il ne connaît pas. Possiblement pour un trafic de drogue, possiblement pour un vol. »

— Roxanne Dubé

« On ne le saura vraiment jamais. Ça ne pouvait pas être la première fois, peut-être la première fois pour un vol, mais tu ne deviens pas criminel en un jour »

Elle n'a appris la mort de son fils que 24 heures plus tard. « La première émotion, c'est quand j'ai appris sa mort. Je suis tombée dans un état de choc. Choc clinique, médical. J'ai lâché le téléphone, coupé mes émotions. J'ai fonctionné comme un robot. »

« C'est la pire des peines, perdre son fils. »

— Roxanne Dubé

« Je me sentais très coupable de l'avoir mis dans des situations qui entraînent sa mort. Je sentais énormément d'appui, de compassion, énormément d'amour. Mais je me disais, les gens ne savent pas. Ils pensent que je suis une bonne personne, une bonne mère. Mais une bonne mère ne peut pas perdre son fils dans un crime comme ça, ça ne se peut pas. Donc je n'étais pas une bonne mère. »

Un État sévère envers ses jeunes

Roxanne Dubé n'a pas vraiment le temps de faire son deuil, elle doit se battre pour sauver le fils qui lui reste, emprisonné en Floride en attendant son procès.

Miami était dans les années 80 la capitale du meurtre, ce qui a d'ailleurs inspiré la célèbre série de télévision américaine Miami Vice. Un meurtre par jour était commis et le trafic de stupéfiants était endémique. L'État a fait le ménage et a durci les lois.

Si bien qu'aujourd'hui, la justice de la Floride est reconnue pour être parmi les plus dures envers les criminels. La peine de mort est en vigueur dans cet État.

La Floride est particulièrement sévère envers les jeunes contrevenants. C'est l'État américain qui défère le plus grand nombre de mineurs en cour adulte. Deux fois plus de jeunes Noirs que de Blancs sont traduits devant un tribunal pour adulte. La Floride est reconnue pour ses sentences sévères, dont la prison à vie.

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Passible de la prison à vie

« Je ne connais pas toutes les circonstances de ce cas et je ne suis pas en train de dire que ce garçon va passer le reste de sa vie derrière les barreaux, mais c'est possible », affirme l'ancien policier Joe Schillacci, qui a travaillé dans la police de Miami pendant 30 ans.

« Est-ce que ça me fait plaisir d'envoyer un gamin de 15 ans en prison pour le reste de sa vie? Bien sûr que non. Mais il y a l'enfant qui est mort et quelqu'un doit être tenu pour responsable. »

— L'ex-policier Joe Schillacci

Et nul besoin de tirer sur la gâchette pour être accusé de meurtre. En vertu du « felony murder », si un individu participe à un crime et qu'une personne meurt pendant que ce crime est commis, cette personne peut être accusée de meurtre s'il est prouvé qu'elle a joué un rôle actif dans cette opération.

Marc Wabafiyebazu est donc accusé de meurtre au premier degré. Il est passible de la prison à vie, mais pourrait demander une révision de sentence après 15 ans.

Entre 2009 et 2013, en Floride, plus de 12 000 jeunes contrevenants ont été transférés en cour pour adultes, une moyenne de 2420 par année, selon le rapport « Branded for life » de Human Rights Watch. De ces jeunes, 60 % ont été accusés d'offenses non violentes; 2,7 % de meurtre.