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Un ex-otage américain évoque des liens entre ses ravisseurs en Syrie et un Montréalais

Un ex-otage évoque des liens entre ses ravisseurs en Syrie et un Montréalais
CBC

Prisonnier d'Al-Qaïda en Syrie, pendant sept mois, le photojournaliste américain Matthew Schrier est persuadé d'avoir eu affaire à des djihadistes d'origine canadienne, qui auraient des liens avec un résident de Westmount, à Montréal.

C'est ce qu'il a révélé à la journaliste Adrienne Arsenault du réseau anglais de Radio-Canada, qui décrit le Montréalais en question comme un Canadien d'une vingtaine d'années converti à l'islam à la fin de son adolescence.

Dans son reportage, la journaliste précise que le nom de cet homme ne peut être dévoilé parce que son rôle dans l'enlèvement de Matthew Schrier n'a pu être clairement établi. L'individu, désigné avec les initiales AKM, a été retrouvé à Montréal et la journaliste a appris de ses proches qu'il mène une vie paisible et tranquille, qu'il est marié et a un emploi. AKM serait un musulman dévot qui se fait appeler par son nom arabe d'adoption.

Matthew Schrier affirme qu'il a de la difficulté à concilier cette image de bon citoyen avec les preuves qu'il a découvertes et qui relient AKM au calvaire qu'il a vécu en Syrie.

Le photojournaliste admet cependant qu'il n'a jamais rencontré AKM, qu'il ne sait pas à quoi il ressemble, ni de quelle façon il pourrait être relié à ses ravisseurs.

Matthew Schrier sait seulement qu'il s'agissait de djihadistes du groupe terroriste Front al-Nosra, branche d'Al-Qaïda en Syrie.

La filière du Front al-Nosra

Masqués, ces hommes l'ont enlevé entre Alep et la frontière turque à la fin décembre 2012. Il partageait une cellule avec un autre journaliste américain, Theo Padnos, qui a plus tard changé son nom pour Peter Theo Curtis.

Enfermés à l'hôpital pour enfants d'Alep, les deux hommes ont été torturés après une tentative d'évasion. Padnos essayait de percer une porte lorsque huit djihadistes armés se sont emparés de lui et l'ont roué de coups.

Puis, Schrier raconte avoir été traîné dans une chaufferie ou ses gardes lui ont infligé 115 coups sur la plante des pieds.

Les geôliers ont ensuite enfermé les deux hommes à l'Institut électrique de Hraytan, au nord-est d'Alep, pour les empêcher de s'enfuir. Peu nourris, les deux prisonniers n'avaient que de l'eau contaminée à boire. Ils étaient régulièrement battus et électrocutés par leurs geôliers.

Le 31 janvier 2013, raconte Matthew Schrier, lui et Padnos ont été interrogés par trois hommes. Son collègue, qui a passé son enfance au Vermont, près de la frontière canadienne, a reconnu l'accent du Québec dans la voix des djihadistes.

« Dès que je me suis assis, quelqu'un m'a dit, dans un très bon anglais : "Comment vas-tu?". Je leur ai répondu : "Ma famille me manque, vous savez". Ils m'ont donné un morceau de papier et m'ont demandé d'y écrire tous mes mots de passe, mes codes d'accès, mon numéro d'assurance sociale. Toutes les informations nécessaires pour me voler. Ils étaient très polis », rapporte Matthew Schrier en décrivant les trois hommes.

« Celui qui était à l'ordinateur était grassouillet. Nous l'appelions "Chubs" (rondelet). Il y en avait un autre avec les yeux tombants et un peu de roux dans sa barbe. Le leader avait de grandes lunettes épaisses et il parlait arabe ».

Usurpation d'identité, vols et Kamasutra

Avec ses mots de passe, les hommes ont envoyé des courriels à la mère de Matthew Schrier ainsi qu'à ses amis.

Selon Schrier, ils étaient comme des enfants. « Ils ne m'ont pas touché, pourtant ils pouvaient faire de moi ce qu'ils voulaient. Ils m'ont donné une barre chocolatée Kit-Kat. »

Deux mois plus tard, nouvelle rencontre avec celui qu'il désignait sous le nom de « Chubs ». Cette fois, Schrier a été forcé de porter une combinaison orange et à confesser à la caméra être un agent de la CIA. Refusant de le faire, il raconte avoir été giflé et battu.

Finalement les deux détenus ont fini par faire des aveux forcés. Les ravisseurs disaient que la vidéo de leurs « confessions » avait été remise à un média étranger, mais elle n'a jamais été diffusée.

En juillet 2013, Matthew Schrier a réussi à s'évader. Juste avant le lever du soleil, durant le ramadan, il a réussi à se glisser dehors par une petite fenêtre sans être repéré.

Il a réussi à rejoindre une unité de l'Armée syrienne libre qui l'a hébergé avant de le conduire à la frontière turque. Theo Padnos est demeuré prisonnier.

De retour aux États-Unis, Schrier a voulu retracer les méfaits de ses ravisseurs.

Il a rapidement découvert qu'une ou plusieurs personnes avaient utilisé son identité pour faire une centaine d'achats sur Internet, incluant des ordinateurs portatifs, des tablettes, une montre GPS, des caméras, des clés USB, de l'eau de toilette et des bottes de style militaire.

« Ils ont pratiquement reconstruit une Mercedes avec toutes les pièces qu'ils ont achetées », raconte Matthew Schrier. « Ils ont même utilisé mon compte iTunes pour télécharger un guide sur les 69 positions du Kama Sutra », ajoute-t-il.

Au total, ses ravisseurs ont pu retirer 18 000 $ de son compte d'affaires avant que la banque bloque les transactions. Ces achats étaient acheminés par la poste à diverses adresses dans des localités à la frontière de la Syrie et de la Turquie.

Deux envois à Westmount

Deux envois ont été livrés à AKM, à une adresse de Westmount, à Montréal.

Le 13 février 2013, une commande totalisant 940 $ au nom de Matthew Schrier a été envoyée à un dénommé AKM. La commande comportait une tablette Samsung Galaxy Tab 2, une caméra Sony HD et divers accessoires électroniques.

Pour une raison inconnue, cette commande a été annulée.

Trois jours plus tard, le 16 février 2013, une autre commande, à la même entreprise américaine, a été placée pour un montant de 465 $. Il s'agissait de deux tablettes Samsung Galaxy Tab 2 à livrer au dénommé AKM, à la même adresse, à Westmount.

Schrier a transmis au FBI et à la GRC toutes les informations qu'il avait réunies, il y a un an.

La journaliste du réseau anglais Adrienne Arsenault a retrouvé AKM et tenté à plusieurs reprises de lui demander d'expliquer qui aurait pu lui expédier des commandes au nom de Schrier. Elle lui a aussi demandé comment les agents d'Al-Qaïda ont choisi son nom, et aussi s'il avait des relations avec les ravisseurs syriens, et s'il savait qui étaient les présumés kidnappeurs canadiens.

Mais AKM a refusé de répondre à ces questions, déclarant que ses avocats lui ont interdit de parler aux journalistes.

Schrier a été remboursé par sa banque, mais il veut savoir qui l'a pris en otage, qui l'a torturé et escroqué, et si une cellule d'Al-Qaïda formée d'hommes de Montréal est toujours en liberté.

D'après un reportage d'Adrienne Arsenault et Nazim Baksh de CBC

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