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Attentats de Paris: faut-il pointer des failles dans le renseignement?

Attentats de Paris: faut-il pointer des failles dans le renseignement?

Sitôt les profils des terroristes connus, les mêmes questions que celles qui se posaient après les attentats de Charlie Hebdo ont resurgi. Les attentats auraient-ils pu être évités? Y a-t-il eu des failles dans le renseignement français? Des interrogations légitimes au regard du parcours des assaillants, connus des services de renseignement et dont l'un d'entre eux, Samy Animour, avait même été mis en examen pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste". Une procédure qui n'avait pas empêché l'intéressé de rompre son contrôle judiciaire pour se rendre Syrie.

Outre les débats récurrents sur l'utilité (ou plutôt le rôle) de la fameuse "fiche S" dans la surveillance des individus dangereux, les différents parcours des terroristes interrogent sur la capacité des services de sécurité à lutter contre le terrorisme. Reste à savoir si DGSI et DGSE méritent d'être ainsi accusées de carences.

Fiché "S" et signalé par la Turquie, comment Omar Ismaïl Mostefaï a-t-il disparu des radars ?

Lundi 16 novembre, Ankara a fait savoir que la Turquie avait par deux reprises averti la France qu'Omar Ismail Mostefaï, le terroriste du Bataclan au doigt sectionné, avait rejoint la Syrie. La première alerte est envoyée en décembre 2014, puis une seconde en juillet 2015, date à laquelle les services turcs estiment qu'il a regagné la France. Alors, au regard de ces révélations et compte tenu du signalement dont l'intéressé faisait l'objet, comment Omar Ismaïl Mostefaï a-t-il pu disparaître des radars ?

Interrogé par Le HuffPost, Louis Caprioli, ancien sous-directeur chargé de la lutte contre le terrorisme à la DST (ex-DGSI) émet plusieurs réserves sur les carences présumées des services français sur ce cas. Selon lui, "les Turcs essaient de nous donner des leçons sur les terroristes, alors qu'ils les ont laissés joyeusement rejoindre la Syrie... On n'a pas eu besoin d'eux pour savoir qu'Omar Ismaïl Mostefaï s'en allait en Syrie. S'il revient avec une fausse identité en France ou parvient à entrer dans l'espace Schengen, personne ne peut savoir où il se trouve tant qu'il n'a pas repris contact avec son entourage ou ne s'est pas montré dans ses points de chute", indique-t-il.

Par ailleurs, le spécialiste, aujourd'hui consultant chez Geos, interroge la qualité du signalement qui peut-être fait par un pays. "S'il s'agit de dire, 'il est passé' là ou 'il a passé la frontière', c'est utile mais ce n'est pas très intéressant. En revanche, s'il s'agit de dire 'il est là, il va dans tel endroit via tel vol', là ça a de la valeur", poursuit notre interlocuteur.

Cet ancien cadre de l'anti-terrorisme prend en exemple la fois ou des jihadistes étaient attendus à Paris selon les renseignements d'Ankara, alors que leur avion était arrivé à Marseille...

Mis en examen et faisant l'objet d'un mandat arrêt international, comment Samy Animour a-t-il pu partir en Syrie puis revenir en France ?

Sous le radar des services français, Samy Animour, l'autre kamikaze du Bataclan, avait été mis en examen le 19 octobre 2012 pour un "projet de départ avorté vers le Yémen". C'est son interpellation "traumatisante" qui aurait "motivé son départ" vers la Syrie, le 11 septembre 2013, selon ses parents, Mouna et Azzédine.

Son père avait d'ailleurs pris le chemin de la Syrie pour tenter de l’exfiltrer, comme il le racontait au Monde en 2014. Pourtant, sous contrôle judiciaire, il était assigné à résidence... Alors, comment peut-on partir en Syrie en étant mis en examen et revenir en France alors que l'on fait l'objet d'un mandat d'arrêt international?

"Sous contrôle judiciaire, il devait donc aller pointer au commissariat dans le cadre de la procédure. Mais quand vous n'allez pas pointer une fois, personne ne s'étonne, il faut attendre deux absences voire trois pour que ça remonte", nous indique Louis Caprioli. Un temps suffisant pour permettre à un individu circulant dans l'espace Schengen d'aller là où il veut. Notamment en Bulgarie où "les filières d'exfiltration pour passer en Turquie puis en Syrie fonctionnent sans problème", poursuit le spécialiste. Là encore, le renseignement français ne pouvait pas faire grand-chose, dans la mesure où l'intéressé était censé être dans les mains de la justice et que le temps qu'il soit signalé absent de son contrôle judiciaire était suffisant pour qu'il quitte le territoire. "Et il ne faut pas croire que le problème c'est Schengen", précise Louis Caprioli, "les terroristes n'ont pas attendu la libre circulation pour passer clandestinement les frontières". "Ces gars maîtrisent bien les techniques d'entrée et de sortie de Schengen, pour l'avoir beaucoup pratiqué", notait pour sa part Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité à la DGSE cité par l'AFP.

Reste que, sous couvert d'anonymat, un autre responsable de l'anti-terrorisme a la DGSE s'est montré un peu plus sceptique.

"Soit personne n'a rien vu, et c'est un gros souci; soit on a vu des trucs et on ne les a pas compris, ce qui est aussi un problème; soit on a vu des trucs et malgré tout l'équipe a pu passer à l'action. On a peut-être raté la phase de préparation terminale, celle où les types disparaissent dans la nature. Dans les trois cas, c'est très embêtant. Ça veut dire qu'on a soit un problème de renseignement, soit d'analyse du renseignement, soit de chaîne de commandement dans les services. C'est accru par le fait que ça se passe en partie en Belgique".

Pourquoi la Belgique n'a-t-elle rien vu venir alors que le cerveau des opérations est Belge et que les attaques ont été planifiées depuis Bruxelles ?

L'interconnexion entre les jihadistes français et belges est connue. De Mehdi Nemmouche (responsable de l'attentat du musée juif à Bruxelles) à l'attentat raté dans le Thalys, de nombreuses affaires ont mis à jour la menace que représentait la filière bruxelloise sur la sécurité européenne.

Alors, faut-il pointer l'inefficacité des services belges qui, en plus de compter le cerveau des attaques parmi ses ressortissants (Abdelhamid Abaaoud), n'a pas repéré qu'une attaque d'une ampleur sans précédent se préparait sur son sol? Comment les frères Abdeslam n'ont-ils pas éveillé les soupçons en Belgique ? "Le problème de la Belgique, c'est qu'elle est confrontée à une masse considérable d'objectifs à surveiller. Les services belges n'ont pas les mêmes capacités de travail (au niveau des effectifs, des moyens judiciaires et des capacités techniques) que notre pays", énumère Louis Caprioli, "pas surpris", que les terroristes se soient servis d'une telle base arrière. "Mais je ne crois qu'il faille accuser les Belges plus qu'autre chose", précise notre spécialiste, mettant l'accent sur les capacités des filières terroristes à faire disparaître les jihadistes des radars de surveillance.

"À partir du moment où le pays voisin n'identifie pas la cellule qui va commettre un attentat, malheureusement cette cellule pourra se déplacer avec une grande facilité et, donc, échapper à la vigilance des services français", poursuit Louis Caprioli. "Vous comprendrez bien que si les Belges ne nous préviennent pas, ici on ne peut rien faire", rageait récemment une source policière citée par l'AFP.

Alors, aucune leçon à tirer de cette tragédie? "L'idée, ce serait de créer une task force de renseignements permanente avec les services européens pour échanger beaucoup plus rapidement les informations et coordonner les dossiers", conclut l'ancien cadre de la DST. "On ne reproche pas les feux de forêts aux pompiers... Si vous mettez un pompier tous les cinq mètres dans les forêts de France, vous n'aurez plus de feux de forêts", a de son côté résumé Alain Chouet.

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