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Aïcha, femme berbère, raconte l'histoire de ses tatouages traditionnels (PHOTOS)

Aïcha, femme berbère tatouée (PHOTOS)
Mourad Bouabdellah

Elle a la mémoire dans la peau. Tout comme la plupart des femmes de la bourgade qui l'a vue naître, Aïcha, 90 ans passés, est recouverte de tatouages traditionnels berbères. Assise face à un vieux poste téléviseur des années 1990, dans un salon modeste, cette grand-mère tue le temps dans une chambre spartiate d'une trentaine de mètres carrés.

Une photo de son défunt mari orne un mur jaune. Un coran et un tasbih sont posés sur la télévision, près d'une photo de ses deux filles. Aïcha vit seule dans sa maison située à Aït El Mejdoub, une bourgade de 150 habitants située dans le Gharb, dans l'arrière-pays rbati, à une dizaine de kilomètres de Khemisset, au Maroc. Absorbée par le programme télé, Aïcha semble être ailleurs. Et répond aux questions du HuffPost Maghreb sans détourner la tête de l'écran.

Tatouée la veille de son mariage

Aïcha est tatouée de la tête aux pieds. De mystérieux symboles qu’elle-même ne peut expliquer. A l'âge de 17 ans, son père décide de la tatouer lui-même comme le veut la coutume, à l'occasion d'un grand événement: son mariage avec le fils d'un caïd. Fille unique d’un notable de la région d'Azemmour, cette mère de famille est une véritable tapisserie. Des swastikas (des symboles en forme de croix gammée) sophistiquées ornent son front tandis que d’imposants losanges entremêlés de signes obscurs couvrent son cou, révélant par leur taille une ascendance aisée.

Selon Fouad Arzouk, professeur d’anthropologie et membre de l’IRCAM (l’Institut Royal de la Culture Amazigh au Maroc) ces fresques géométriques gravées à même la peau ont perdu toute leur signification au fil des âges. "A l'origine, dans la région du Rif, les femmes se tatouaient par ornement, pour plaire mais également pour indiquer leur niveau social ou leur appartenance à une quelconque tribu".

De plus, poursuit Fouad Arzouk, le tatouage devait surtout être considéré comme une parure, un ornement, un tracé qui met en emphase le corps de la femme. L’érotisme, selon la tradition berbère, se devait d’être tout en sous-entendu, du khôl allongeant le regard de la femme aux tatouages traditionnels sur les zones érogènes -au niveau du haut des cuisses, entre les seins et l’aine- censés la rendre plus désirable le jour de sa nuit de noces. Et le chercheur de préciser: "le pigment du tatouage était composé de suie (cette matière de couleur noire qui résulte de la combustion, déposée par la fumée dans les conduits, ndlr) et de sang, une façon d’éloigner les mauvais esprits qui pourraient rôder autour du nouveau-né ou de la femme enceinte".

L’anthropologue britannique Susan Searight explique dans l'ouvrage Le tatouage chez la femme berbère marocaine au Moyen Atlas et pays Zemmour, que ces ornements "non obligatoires et ne représentant pas le signe d'une tribu, sont géométriques et de couleur bleu/noir ou bleu/vert. Dans le Moyen Atlas (province de Meknès), les tatouages sur de nombreuses parties du corps sont de véritables dentelles corporelles faites avec une aiguille et du noir de fumée".

Des dentelles qui ne se font pas sans douleur. Pour Aïcha, la séance de tatouages, qui s'est étalée sur plusieurs semaines à raison de deux heures par jour, n'est pas un souvenir des plus agréables. "La douleur était très vive. Je m’allongeais sur le lit et mon père m’attrapait la tête et déposait une couche de suie là où il voulait faire le tiggas (tatouage en berbère, ndlr)". La suite? Le père de famille piquait la peau de sa fille avec une épine de rose et dessinait des motifs ayant plusieurs significations. "Le sang mélangé à la suie pénétrait et on me mettait de la laine pour éponger le sang restant".

Fouad Arzouk, qui a longuement travaillé sur la question des tatouages berbères, regrette que "depuis les années 60, cette tradition se perde et le tatouage rituel ne se pratique quasiment plus aujourd'hui." L'exemple d'Aïcha lui donne raison: elle et son mari n'ont pas perpétué la tradition, décidant de ne pas tatouer leur fille...

Les tatouages ont tous leurs significations propres et leurs formes peuvent nous indiquer leurs sens. Mohand Akli Haddadou, enseignant à l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou livre dans un ouvrage des précisions assez significatives pour la compréhension de ces symboles. Voici quelques illustrations ainsi que leur signification puisées dans "Guide Pratique de la langue et de la culture Berbère" de Mohand Akli Haddadou.

Le Losange

La signification des tatouages berbères

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