Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

«Jusqu'à la chute» de Catherine Lafrance: comment survivre au vide? (ENTREVUE)

«Jusqu'à la chute» de Catherine Lafrance: comment survivre au vide? (ENTREVUE)
Espace Urbain

Laura a déménagé à Toronto, quitté son mari, entamé une relation parfois malsaine avec le sport, plutôt que de laisser entrer quiconque dans sa vie, amant ou ami, eux qui l’obligeraient à s’ouvrir et à parler de ce qui lui est arrivé. Joe tente de se rendre dans la Ville Reine, de quitter son passé, d’entamer une vie où il ne serait plus abonné à la honte et où les fantômes de sa famille le laisseraient repartir à neuf. Éric, lui, vit toujours dans son appartement de la métropole canadienne, mais sans l’habiter pleinement, trop occupé qu’il est à se noyer dans le travail et à chercher le courage pour se lancer du toit de son immeuble, là où il laisse son corps pendre à moitié dans le vide, comme si quelque chose en lui avait déjà basculé.

Ces trois écorchés se retrouvent au cœur de Jusqu’à la chute, le troisième roman de Catherine Lafrance (Le retour de l’ourse, La saison froide), également coscénariste de la télésérie Vertige et chef d’antenne de Radio-Canada Toronto.

Dans son nouveau livre, l’écrivaine décortique les nuances de la perte, les visages de la résilience et la façon qu’on certains humains de survivre à la vie, après que les êtres qu’ils aimaient le plus aient disparu.

« S’il devait m’arriver ce qu’a vécu Éric, je pense que je voudrais mourir… mais peut-être aussi que j’essaierais de survivre, de m’aveugler et de plonger dans quelque chose de complètement fou. Je trouvais ça intéressant d’explorer deux personnages, Laura et Éric, dont les façons de réagir sont aux antipodes : l’un veut mourir et l’autre veut survivre. Et puis, il y a Joe, qui vit dans la misère depuis toujours. Son destin semble dessiné à l’avance. On sent qu’il n’arrivera pas à s’en sortir. »

L’auteure illustre sans détour que les humains ne sont pas tous égaux face aux grandes tragédies. « Certaines personnes sont marquées au fer rouge par le contexte dans lequel ils ont grandi. Dans ce roman, il s’agit d’un autochtone qui vient d’une réserve. Il ne manque pas seulement d’argent, mais d’estime de lui, de culture, de ressources et de mots pour nommer les choses. Il entend la voix de sa mère. Il sent que quelque chose ne va pas avec lui. Il ressent une colère impossible à contrôler et il n’est pas capable d’aller chercher de l’aide. Donc, même si je crois que les humains peuvent se relever de grandes épreuves, tout le monde n’a pas ce qu’il faut pour faire face aux grandes injustices. »

Dotée d’une force d’évocation hors du commun et capable de décortiquer chaque facette de la douleur avec des mots justes, sensibles et vibrants, Lafrance illustre les hauts et les bas de ses trois abimés, en suivant l’évolution de leur douleur. « C’est un travail à petite échelle, un mot à la fois, après que tout ait été couché sur papier. Je donne une grande attention aux mots qui portent l’émotion. J’aime énormément mettre le vernis qui fait fondre toutes les parties du livre et qui le rendra beau, même si on parle de choses laides. »

Malgré la laideur, malgré la douleur et malgré la fin du récit, véritable point d’orgue tragique, elle décrit son œuvre comme étant porteuse d’espoir. « La guérison est possible, je pense. Le roman est ponctué de moments où l’on sent des bouffées d’espoir. Mais c’est sans compter ceux dont on ne s’est jamais occupé, qui existent toujours et qui reviennent… »

Habituée à la neutralité journalistique dans son métier de tous les jours, Lafrance est complètement différente lorsqu’elle prend la plume de romancière. « Je pense que j’ai une multipersonnalité. Quand j’écris mes romans, je suis une architecte qui construit la structure de son histoire, une dentelière qui se concentre sur la finition et une comédienne qui tente de se projeter dans son rôle. J’endosse mes personnages, avec ce qu’ils ont de bon et de mauvais, et je les défends, sans jamais les juger. Je ne suis pas journaliste quand j’écris. Je ne me refrène pas et je ne renoncerais jamais à l’émotion. Je peux aller à fond dans la laideur s’il le faut, car je m’abrite derrière mes personnages. »

N’empêche que son métier de reporter et de lectrice de nouvelles exerce une influence évidence sur son processus d’écriture. « Comme j’ai travaillé beaucoup en télévision et en radio, ma vie est réglée au quart de tour. Je suis habituée à des échéances et à des reportages qui doivent avoir des durées très précises. Ma vie est divisée en heures, en minutes et en secondes. Je suis donc très encadrée dans ma discipline d’écriture : je me réveille le matin, je prends mon café et mon cerveau se met automatiquement en marche. J’écris six jours sur sept, avant d’aller travailler vers 10 h 30. C’est très pragmatique comme façon de faire. »

D’ailleurs, elle est déjà en train d’écrire son prochain roman, un défi d’envergure. « Je veux écrire un très long roman qui se déroule dans plusieurs endroits et sur plusieurs décennies. Pas une saga, mais un truc à développer sur de nombreuses années. Quelque chose de très nord-américain. Je me donne environ deux ans pour le mener à terme. J’ai besoin de sortir de me donner des défis comme ça et de sortir de ma zone de confort, sinon je deviens intellectuellement paresseuse. »

Le roman Jusqu’à la chute (Éditions Druide) est présentement en librairies.

INOLTRE SU HUFFPOST

DES VIES EN MIEUX - ANNA GAVALDA

10 livres de tous horizons à lire sans hésiter

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.