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«La Divine Illusion» au TNM: rencontre d'une grande actrice et d'un petit peuple (ENTREVUE, VIDÉO)

«La Divine Illusion»: rencontre d'une grande actrice et d'un petit peuple (ENTREVUE)

Décembre 1905, la grande actrice Sarah Bernhardt débarque à Québec pour y jouer une pièce d’abord présentée à Montréal, New York et Paris. Contrairement aux grandes métropoles, on ne lui déroule pas le tapis rouge. L’Archevêché lui interdit de fouler les planches, symbole d’une époque où l’Église était toujours oppressante et où l’art semblait le seul territoire capable d’accueillir un peu de vérité.

Tragédienne reconnue pour trainer des scandales dans son sillage, Bernhardt n’était rien de moins que la Madonna de son époque, selon le metteur en scène, Serge Denoncourt. « Elle a créé sa propre légende de son vivant. Elle savait quoi faire d’un point de vue marketing et avec ses admirateurs pour cultiver son image. »

Néanmoins, la pièce écrite par Michel-Marc Bouchard s’attarde davantage à la Sarah en privé, dans sa loge, celle qui vouait un amour véritable pour l’art avec un grand A. Un aspect de sa personnalité dévoilé par sa rencontre avec Michaud, jeune séminariste passionné de littérature et d’écriture.

« L’histoire porte en partie sur la perte de l’innocence du jeune homme. Michaud réalise peu à peu ce qu’il y a autour de lui, après qu’on lui ait ouvert les yeux. Il se dit qu’il ne pourra plus écrire de jolies choses ni la réalité, car celle-ci est trop laide. Mais Sarah lui répond qu’il le peut et qu’il a le devoir de le faire. Elle provoque l’éveil d’un jeune artiste et lui rappelle que l’art doit déranger. Sachant qu’il écrit une histoire sur les abus sexuels, elle lui dit qu’il doit aller au bout de son histoire, peu importe ce que ça crée comme réactions, puisque c’est son travail! »

Le jeune homme a l’occasion de rencontrer la comédienne, après que la direction de l’Archevêché lui ait demandé de transmettre la lettre intimant à Bernhardt de ne pas monter sur scène. « Il est son plus grand fan et il doit lui dire qu’elle ne pourra pas jouer dans la ville de Québec! Quand elle lit ça, elle commande une conférence de presse sur le champ. Elle s’adresse à l’Église et aux journalistes pour faire un portrait du Québec sans pitié : elle débute son discours en disant “Vous êtes un pays d’arriérés!”. Elle sera un agent provocateur de passions et de conversations. Les étudiants lui ont fait un triomphe. L’Église et les bourgeois l’ont honnie. »

Trois ans après avoir présenté Christine, la Reine-Garçon, puissante œuvre à propos des déchirements politiques et personnels de la reine de Suède, le tandem Denoncourt-Bouchard renoue avec la fiction historique. « On prend quelque chose qui est arrivé pour vrai, comme la visite de Sarah Bernhardt à Québec, et on se questionne sur ce qui a bien pu se passer en l’inventant. C’est un plaisir coupable. »

Une joie qui leur offre une portée bien plus grande que le réalisme moderne. « Quand tu fais une production d’époque, les spectateurs ne te voient pas venir. Si on faisait se rencontrer deux membres des carrés rouges et un ministre libéral, ils n’auraient aucun recul critique, puisqu’ils savent de quoi ça parle. Mais dès qu’on se déguise en quelque chose, un ado en soutane, une madame en travailleuse d’usine du début du siècle ou en Sarah Bernhardt, les gens écoutent autrement et réalisent que ça s’adresse à ce qu’ils vivent eux, en 2015, au Québec. »

La Divine Illusion questionne le public sur les affres du milieu industriel, le poids de l’Église et l’utilité de l’art. « Il faut se demander où en sont les Québécois dans leur rapport avec les artistes et leur passé religieux. En sommes-nous vraiment sortis? Ce que j’aime avec Michel-Marc, c’est qu’il se sert de vieilles affaires pour nous les renvoyer en pleine face, afin qu’on les observe avec un regard de 2015. Que l’histoire se passe au Lac-Saint-Jean, en Suède ou à Québec, il nous fait faire une prise de conscience à tous. »

Depuis 1998, les deux créateurs ont collaboré sept fois (Le Chemin des passes dangereuses, La Fabuleuse histoire d’un royaume, Les Feluettes, Lilies, Le Peintre des Madones, Christine la Reine-Garçon, La Divine Illusion, sans compter l’adaptation opératique des Feluettes prévue pour mai 2016 à l’Opéra de Montréal).

Une collaboration que le metteur en scène décrit comme un couple presque parfait. « On n’a jamais voulu créer un mariage professionnel comme Tremblay et Brassard, mais je monterais tous ses textes si je pouvais. Michel-Marc a un grand talent pour raconter des histoires très bien fignolées. Et je pense qu’on est complémentaire. Quand arrive le temps de faire la distribution ou de mettre en scène, je ne fais pas toujours ce qu’il avait en tête. Ça donne des discussions très intéressantes sur la théâtralité. »

D’abord présentée en anglais au festival Shaw de Niagara-on-the-Lake, en juillet — le critique du National Post, Robert Cushman, a qualifié La Divine Illusion de « meilleure pièce écrite par Michel Marc Bouchard et l’une des meilleures pièces canadiennes depuis des années » — la pièce prendra l’affiche du TNM du 10 novembre au 5 décembre 2015. Cliquez ici pour plus de détails : http://www.tnm.qc.ca/piece/la-divine-illusion/

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