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«Quand j'étais Théodore Seaborn»: Martin Michaud au cœur de l'État islamique

«Quand j'étais Théodore Seaborn»: Martin Michaud au cœur de l'État islamique
Éditions Goélette

Théodore Seaborn, publicitaire montréalais sans travail, épuisé et désœuvré, passe ses journées à regarder les audiences de la commission Charbonneau enregistrées et à consommer des anxiolytiques, des antidépresseurs, des somnifères et une quantité de Coffee Crisp qui ferait frémir les diabétiques. Bien qu’il soit toujours amoureux de sa copine et qu’il ne puisse imaginer sa vie sans sa fille, le trentenaire déteste ce qu’il est devenu. Par un enchaînement de choix en apparence anodins, il sera confronté à sa nature profonde, le jour où il croisera son « sosie ». Une rencontre qui lui fera découvrir les plans de lutte antiterroriste contre des armes biologiques et l’amènera à Racca, la capitale autoproclamée de l’État islamique en Syrie.

Après quatre histoires d’homicides impliquant l’enquêteur Victor Lessard dans la métropole québécoise et un roman hors série plongeant les lecteurs dans la course à l’investiture démocrate en vue de la présidentielle américaine (Sous la surface), Martin Michaud campe une partie importante de son nouveau thriller dans le fief de l’État islamique. Un contexte guerrier hautement imprévisible et particulièrement riche en rebondissements : bombes susceptibles d’éclater à tout moment, tension constante, djihadistes armés jusqu’aux dents.

« En termes d’événements potentiels, en effet, il y a du stock! Mais tout cela devait être au service de l’intrigue, et non être le cœur du récit lui-même. Je me suis tenu loin des grands romans d’espionnage un peu génériques où tout explose tout le temps. Le fil conducteur de mon histoire se concentre sur la relation humaine entre deux personnages, Théodore et Samir (un membre de l’É.I.) : deux hommes que tout devrait opposer, mais dont les rapports se brouillent après un événement imprévisible. »

Plutôt que de montrer le visage macroscopique de l’organisation terroriste, il a ciblé un seul homme et ses convictions. « J’avais envie de montrer qu’il existe un fond d’humanité dans ces gens, même s’ils sont des islamistes radicaux. Évidemment, je ne tombe pas dans la glorification de ce qu’ils font, ni dans une vision nord-américaine de la propagande. Il fallait que ce que je mets dans la bouche des djihadistes soit un reflet crédible de leur idéologie. »

En entrevue, l’écrivain tient à préciser que son dernier roman n’en est pas un sur l’islam. « Mon personnage se découvre lui-même en vivant les atrocités de la guerre. Je voulais explorer comment on peut être dans un état abominable, alors que tout autour devrait nous permettre d’être heureux, avant de se retrouver dans des conditions de vie précaires, qui nous donnent envie de vivre. C’est probablement mon livre le plus humaniste, voire optimiste. »

Particularité non négligeable de cet homme propulsé à l’autre bout de la terre et de lui-même : Théodore Seaborn est un Québéco-Libanais de confession musulmane. À cheval entre les cultures occidentale et moyen-orientale, l’homme permet aux lecteurs de découvrir le monde arabe, à mesure qu’il reconnecte avec une partie de lui-même, se sentant même réconforté par le rituel de prières qu’il redécouvre, après avoir remisé la pratique religieuse dans un coin de son esprit.

« Au fond, il aurait pu être un non-musulman qui reprend contact avec sa nature profonde, après avoir occulté une part de lui en raison d’événements tragiques de son passé, mais ses origines font aussi la beauté de sa quête. »

Quand on lui demande s’il craint que certains lecteurs québécois s’attachent moins facilement à son personnage musulman, Martin Michaud affirme ne pas entretenir cette inquiétude. « Pour moi, Théodore est avant tout Montréalais. Et cela fait partie de notre culture de côtoyer des gens d’origines diverses. Depuis que mes enfants vont à l’école, ils ont des amis de tous les horizons. Et dans le duplex jumelé où je demeure, j’ai des voisins juifs, anglophones et arabes, et tout le monde prend plaisir à se côtoyer. »

« Ça ne m’ait jamais passé par la tête que certaines personnes ne s’attachent pas au personnage à cause de ça. Je me demande davantage si les lecteurs vont aimer un homme qui est en dépression au début du roman. On comprend qu’il est un bon père et qu’il s’en veut de faire subir ce qu’il vit à sa conjointe, mais je me questionne tout de même. »

Qu’il se rassure, le désarroi de Seaborn n’est jamais lourd. Michaud a une fois de plus créé un personnage solide, profondément humain et dont le sort nous pousse à tourner les pages à un rythme fou.

D’ailleurs, la présence de Théodore en Syrie permet au romancier d’inscrire son récit dans la réalité, un peu comme l’avait fait le journaliste et écrivain Luc Chartrand en publiant, au printemps dernier, L’Affaire Myosotis, une histoire campée au cœur du conflit israélo-palestinien. Deux thrillers politico-policiers sur le Moyen-Orient écrits par des Québécois.

« Est-ce que notre sensibilité québécoise fait en sorte qu’on offre un point de vue différent d’un Canadien-anglais? Je ne sais pas. En tant qu’Occidental, on a la chance d’être bien né et d’avoir un rapport à la vie qui n’est pas le même. On a le privilège de l’idéalisme. Et je tenais à exprimer une touche d’espoir avec mon roman, même si ça a l’air naïf de dire ça. J’essaie de mettre une pierre dans l’édifice de ceux qui pensent encore qu’on peut bâtir un monde meilleur. J’ai un parti pris pour l’humanité. »

Même s’il focalise son attention sur l’humain, l’auteur tenait à lever le voile sur certaines réalités du monde arabe dont on parle peu. « Il ne faut jamais oublier que de grandes puissances se servent de la Syrie comme un territoire pour régler leurs propres conflits. Ce serait illusoire de penser que les gens de l’E.I. sont simplement des illuminés; ils sont financés par d’autres. Il y a énormément de jeux de coulisse. Mais je pense aussi que devant de telles atrocités, certaines personnes peuvent se lever et faire la différence. Le combat d’un seul homme n’est pas vain. »

Brillant amalgame d’intrigue policière, de conflit géopolitique, de quête existentielle et de réflexion philosophique, Quand j’étais Théodore Seaborn illustre à quel point de petits gestes peuvent changer le cours de nos vies. « Je voulais lancer l’idée qu’on est la somme de nos choix, qu’il n’existe pas de rencontres banales et que nos trajectoires sont influencées par un million de petits événements. Théodore réalise à quel point le caractère futile de certaines choses a influencé son chemin. J’aime qu’il y ait ces couches de réflexions additionnelles, des surplus de sens. »

Si Martin Michaud a lui-même cherché la place qu’il rêvait d’occuper pendant une bonne partie de sa propre existence, on peut dire qu’il est sur son « X » en tant qu’écrivain. Après six romans multiprimés, dont le prix Ténébris 2015 du livre policier québécois le plus vendu pour Violence à l’origine, l’auteur montréalais publie un septième roman en cinq ans et demi. Et son dernier-né littéraire confirme une évidence : les lecteurs auraient été privés d’un grand auteur s’il n’avait pas su faire comme Théodore Seaborn : se réinventer.

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