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Qui paie pour les péchés de l'Église?
In this Dec. 1, 2012 photo, a statue with a crucifix and a stained glass window is seen inside a Catholic Church in New Orleans. Catholic groups are decrying a recent Louisiana Supreme Court decision that reaches into the most sanctified of Catholic places, the confessional booth. The high court has revived a sex abuse lawsuit in which parents are suing a priest and a local diocese for not reporting the alleged abuse when the teenager told the priest about it, and the ruling could have a priest asked to testify about what was said in a private confession. The Catholic League for Religious and Civil Rights says the ruling leaves the priest choosing between prison and excommunication, in a case that has grabbed attention in heavily Catholic south Louisiana. (AP Photo/Gerald Herbert)
ASSOCIATED PRESS
In this Dec. 1, 2012 photo, a statue with a crucifix and a stained glass window is seen inside a Catholic Church in New Orleans. Catholic groups are decrying a recent Louisiana Supreme Court decision that reaches into the most sanctified of Catholic places, the confessional booth. The high court has revived a sex abuse lawsuit in which parents are suing a priest and a local diocese for not reporting the alleged abuse when the teenager told the priest about it, and the ruling could have a priest asked to testify about what was said in a private confession. The Catholic League for Religious and Civil Rights says the ruling leaves the priest choosing between prison and excommunication, in a case that has grabbed attention in heavily Catholic south Louisiana. (AP Photo/Gerald Herbert)

Éclaboussée par des scandales d’agressions sexuelles depuis trois décennies, l’Église catholique n’a pourtant pas perdu de son lustre. Comment a-t-elle géré ces scandales? En étudiant plusieurs dossiers au Québec, aux États-Unis et en Irlande, le modus operandi de l’Église se révèle : prendre tous les moyens pour payer le moins possible les victimes quand les scandales éclatent.

Le pape François a été le premier à présenter des excuses de la part de l’Église catholique en avril 2014.

« Il est de mon devoir d’assumer personnellement tout le mal que certains prêtres ont fait. Ils sont nombreux, même s’ils sont peu nombreux par rapport au nombre total de prêtres dans l’Église. En mon nom, je demande pardon pour le mal qu’ils ont fait, d’avoir agressé sexuellement des enfants. »

Dans des écoles, des orphelinats et des paroisses, des pédophiles se sont cachés dans les rangs de l’Église catholique romaine. Le Québec a connu quelques procès criminels et seulement deux recours collectifs : un contre la Congrégation de Sainte-Croix et un contre les Rédemptoristes.

Au total, 311 victimes ont été indemnisées pour avoir été agressées sexuellement lorsqu’elles étaient enfants. Elles ont reçu en moyenne 75 000 $ en indemnisation.

Pour l’avocat Alain Arsenault, qui représente des victimes dans le recours contre les Sainte-Croix, ce ne serait que la pointe de l’iceberg.

« Je suis prêt à vous dire que [si] demain matin, les gens dévoilent tout, il y a des recours collectifs contre presque toutes les communautés religieuses enseignantes. »

Alain Arsenault, avocat

Les religions au Québec

De quelles religions sont les Québécois?

Peut-être pas toutes, mais d’autres congrégations et diocèses sont dans le collimateur juridique :

  • les Frères de la Miséricorde
  • les Clercs de Saint-Viateur
  • les Frères maristes
  • le diocèse de Chicoutimi

Un deuxième recours contre la Congrégation de Sainte-Croix a été rejeté cet été. Me Alain Arsenault a fait appel de cette décision.

La même congrégation avait pourtant accepté de régler l'affaire en payant, lors du premier recours collectif contre elle. Elle a offert 18 millions de dollars aux victimes et a présenté des excuses. Mais tout s’est compliqué, explique Me Arsenault, quand est venu le temps de déterminer le montant auquel chaque victime aurait droit. « Ça a été long et difficile », dit-il, déplorant le fait que les avocats aient été si procéduriers.

« Ils ont contesté jusqu'à la définition de la masturbation. Il y a eu des experts engagés pour dire que la masturbation, ce n'est pas ce que vous pensez, c'est autre chose. Ça a été rejeté du revers de la main, mais on a passé je ne sais pas combien de temps sur cette question-là. »

Alain Arsenault, avocat

Me Arsenault n’est pas le seul à constater une judiciarisation exagérée de la part de l’Église. L’avocat américain Jeff Anderson s’attaque à l’Église catholique depuis 30 ans. Ayant mené quelque 1500 poursuites dans plusieurs États, il connaît le modus operandi de l’Église catholique et des communautés religieuses.

« L'Église catholique est une énorme entreprise commerciale. [...] Ils ont d’immenses richesses, de nombreuses propriétés et investissements, mais ils en cachent une grande partie pour la mettre à l’abri des réclamations des victimes. »

- Jeff Anderson, avocat américain

L’archidiocèse du Wisconsin, qui fait face à 580 plaintes d’agressions sexuelles, a transféré 56 millions de dollars dans un fonds pour le mettre à l’abri des poursuites. Un document, dont nous avons obtenu copie, prouve que le Vatican a approuvé ce transfert d’argent.

Quand le stratagème a été mis au jour, l’archidiocèse s’est battu jusqu’en Cour suprême pour ne pas rapatrier l’argent. Il vient finalement d’accepter de verser 21 millions de dollars aux victimes, après avoir dépensé 18 millions en frais d’avocat.

Des victimes indemnisées, mais pas par l'Église

Aux États-Unis, comme au Canada, des congrégations comptent sur leurs compagnies d’assurance pour payer les crimes de certains de leurs membres. C’est le cas des Clercs de Saint-Viateur, qui sont poursuivis par 200 anciens élèves de l’Institut des sourds de Montréal.

Selon les documents déposés en Cour, les Rédemptoristes s’attendent à ce que leurs compagnies d’assurance paient la note s’ils sont condamnés. En général, la police d’assurance générale ne couvre pas un acte criminel, mais elle peut couvrir la négligence du supérieur ou du diocèse si, par exemple, un agresseur récidive après avoir été envoyé en traitement, lorsqu’il est remis en poste par ses supérieurs.

Le président de la Conférence des évêques catholiques du Canada, Mgr Paul-André Durocher, estime que la présence des compagnies d’assurance dans ces dossiers est souvent problématique.

« Ce sont les compagnies d'assurance qui mènent le bateau, qui embauchent l'avocat, qui dirigent. J'ai dû moi-même me battre avec les compagnies pour m'assurer qu'une personne qui arrivait, qui était en douleur, qu'on puisse au moins lui offrir des soins thérapeutiques. Le diocèse était prêt à le faire, les assurances disaient "faites pas ça, faites pas ça. Ce serait de dire que vous êtes coupable et on ne sait pas encore si vous l’êtes" », affirme Mgr Paul-André Durocher.

Quand des victimes sont indemnisées, ce n’est pas toujours avec l’argent des communautés. Une congrégation a même indemnisé une victime avec les fonds publics.

En 1993, un ancien étudiant du Collège Notre-Dame a reçu une indemnisation de 250 000 $ après avoir dénoncé deux religieux qui l’ont agressé sexuellement pendant trois ans. Le montant provenait des fonds du Collège Notre-Dame. Et non pas de la Congrégation.

Une partie de ce montant provenait donc de fonds publics, puisque le Collège est subventionné et qu'une autre partie provient des parents qui paient les frais de scolarité.

« C'est certain que pendant longtemps, l'Église a voulu protéger sa réputation. Je crois qu'on ne se rendait pas compte de l'impact de l'abus sexuel sur la vie d'une personne d'une part, et deuxièmement, du problème sérieux de l'abuseur », affirme Mgr Paul-André Durocher.

D'orphelins... à malades mentaux

Au Québec, plus de 600 personnes se sont manifestées dans le cadre de recours collectifs contre des religieux. De jeunes garçons, pour la plupart, qui allèguent avoir été agressés sexuellement lorsqu’ils étaient enfants par des religieux qui devaient s’occuper d’eux.

C'est sans compter les orphelins de Duplessis. Quelque 5000 enfants, orphelins ou abandonnés par leurs parents, ont été déclarés fous et traités comme des fous pour une question d’argent.

C'est le cardinal Paul-Emile Léger qui a accepté l’offre de Maurice Duplessis, premier ministre du Québec de l’époque. Ensemble, les deux hommes se sont entendus pour transformer les orphelinats en asiles afin d’obtenir des subventions du fédéral.

Les communautés religieuses recevaient 0,70 $ pour un orphelin. Elles recevront 2,50 $ pour un fou. En une nuit, le 12 août 1954, les orphelins sont devenus des malades mentaux, avec la collaboration des médecins, qui signaient de faux diagnostics.

Ces enfants ont été négligés et certains agressés physiquement ou sexuellement par des éducateurs et des Frères. Le gouvernement a versé 84 millions de dollars en indemnisation aux orphelins de Duplessis. Les communautés religieuses mises en cause et l’Église catholique n’ont rien payé. Et elles n’ont pas présenté d’excuses.

Depuis, d’autres scandales sexuels ont éclaté. Quelle est l’ampleur du problème? Combien de jeunes ont été agressés par des religieux? Qui savait quoi? Qui a protégé qui? Autant de questions sans réponses.

Un de nos journalistes se bat depuis six ans pour avoir accès à des documents concernant les orphelins de Duplessis, mais le gouvernement s'y oppose et multiplie les appels. Le Québec a toujours refusé de tenir une grande commission d’enquête pour faire la lumière sur ces événements.

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