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Le vote stratégique a-t-il fonctionné?

Le vote stratégique a-t-il fonctionné?

Après 10 ans de règne conservateur, la Colline du Parlement se prépare à accueillir un nouveau gouvernement, et l’on peut se demander si le Parti libéral a obtenu sa surprenante majorité grâce au vote stratégique.

Un tel concept doit être abordé de manière claire et précise. À en juger par les sondages, il est évident que de nombreux partisans du NPD ont choisi d’appuyer les libéraux dans les derniers jours de la campagne électorale, y compris au Québec, où le phénomène a été encore plus marqué. Or, ce qui nous intéresse plus particulièrement est le vote stratégique dans les circonscriptions ciblées par des organisations ou activistes telles que Leadnow et Ali Kashani.

En utilisant leurs propres sondages pour recommander des candidats (ce qui a semé la controverse dans Vancouver Granville), ces organisations affirment avoir fait une grande différence. Or, l’élection de quelques candidats recommandés ne constitue pas une preuve que leur stratégie a fonctionné, ni même qu’elle a influencé les résultats de l’élection.

Pour en avoir le cœur net, nous devrions savoir ce qui serait arrivé si Leadnow et Kashani s’étaient abstenus de toute recommandation et n’avaient effectué aucun sondage. Nous sommes d’avis que bon nombre de leurs candidats favoris (et plus particulièrement les libéraux) auraient été élus de toute façon.

Nous avons donc comparé nos prévisions avec les résultats des circonscriptions jugées propices au vote stratégique, après avoir ajusté notre système aux résultats réels de l’élection pour éliminer les erreurs découlant de sondages fautifs. Nous reconnaissons que notre système de prévision nous a fait commettre quelques erreurs qui méritent un examen approfondi. Malgré tout, nous aurions correctement prédit une majorité libérale, ainsi que le gagnant dans plus de 80 pour cent des circonscriptions, si nous avions pu mener des simulations à partir des résultats réels.

Si les organismes préconisant le vote stratégique ont eu un effet, l’on devrait constater une prime systématique aux candidats qu’ils ont recommandés. Nous avons donc isolé les 29 circonscriptions ciblées par Leadnow et les 16 ciblées par Kashani, puis écarté les deux circonscriptions ayant donné lieu à une rivalité, ce qui nous laisse un échantillon assez significatif de 43 circonscriptions. Nous avons ensuite comparé les résultats officiels de l’élection avec nos prévisions (qui doivent alors être considérées comme les résultats attendus en l’absence de tout vote stratégique).

Il se trouve que les résultats officiels ont déjoué nos prédictions dans seulement 2 des 29 circonscriptions ciblées par Leadnow. Il s’agit de Calgary Centre et de Kootenay—Columbia.

Dans Kootenay—Columbia, le candidat néo-démocrate a défait son rival conservateur par une faible marge, contrairement à ce que nous avions prédit.

Dans Calgary Centre, nous avons grandement sous-évalué la performance du Parti libéral. Nous aurions dû accorder une plus grande confiance aux sondages effectués dans les limites de cette circonscription, même si nous les jugeons surtout représentatifs des gains effectués par les libéraux dans l’ensemble de la région. Le candidat libéral a obtenu 13 points de plus que prévu, au détriment de ses trois principaux concurrents. Nos prévisions ont en effet accordé 5 points de trop aux candidats du NPD et du Parti vert, et 3 points de trop au candidat conservateur (même si la campagne de Leadnow ne visait pas à ébranler la base conservatrice). Bref, la campagne de Leadnow semble avoir eu un impact dans Calgary Centre, puisque le vote anti-Harper s’est regroupé autour du candidat libéral.

Il reste que Leadnow a fait de mauvaises recommandations dans 3 circonscriptions, y compris dans Vancouver Granville. De plus, un grand nombre de circonscriptions ciblées par cette organisation n’étaient pas vulnérables à la division du vote. Seules 5 sur 29 ont donné lieu à des luttes serrées, tandis que les autres ont vu un candidat (le plus souvent libéral) l’emporter facilement, tel que nous l’avions prédit. C’est ce qui est arrivé dans Fredericton, au Nouveau-Brunswick. Il y a lieu de se demander pourquoi cette circonscription a été jugée propice au vote stratégique.

Au total, le Parti conservateur n’a remporté que 4 des 29 circonscriptions ciblées par Leadnow, ce que plusieurs considèrent comme un succès éclatant. Mais nous pourrions rétorquer que les conservateurs ne devaient en gagner que 6 de toute façon.

Pour sa part, Ali Kashani a fait des recommandations beaucoup plus justes. Son identification des 16 circonscriptions propices au vote stratégique était meilleure, et le Parti conservateur n’a remporté que 4 d’entre elles (contre 10 selon nos prévisions).

De fait, les candidats recommandés par Kashani ont remporté 4 des 6 circonscriptions où le Parti conservateur devait normalement remporter la victoire, ce qui équivaut à un taux de succès de 66,67 pour cent. Kashani a prédit un résultat extrêmement serré dans 2 d’entre elles, et les chiffres lui donnent raison, mais les différences observées tombent dans la marge d’erreur normale des sondages.

On ne saurait affirmer avec certitude que ces campagnes ont soutiré des votes au Parti conservateur, puisque leurs adhérents essayaient surtout de mitiger les effets de la division du vote accordé aux autres partis. En revanche, il semble que ces campagnes ont augmenté le taux de participation, avec des résultats tantôt favorables au Parti libéral, tantôt favorables au NPD.

À l’aide de méthodes statistiques, nous avons constaté que les recommandations de Leadnow et de Kashani ont eu l’effet escompté lorsqu’elles favorisaient du Parti libéral. Dans les circonscriptions étudiées, le candidat libéral a récolté 1,4 point de plus que prévu, tandis que le candidat néo-démocrate a perdu 1,2 point. Mais cette différence de près de 3 points est statistiquement insignifiante. En d’autres termes, le vote stratégique n’a pas permis aux candidats libéraux de surpasser nos prévisions de manière significative.

Lorsqu’elles allaient dans les sens du NPD, les recommandations de Kashani ont eu l’effet escompté, puisque les candidats du NPD ont vu leur popularité grimper de 3 points.

Mais que leur impact soit jugé significatif ou non, les campagnes de vote stratégique semblent avoir eu un effet limité à 5 points ou moins. Comme nous l’avons maintes fois affirmé au cours des dernières semaines, ces campagnes requièrent trop d’informations et de coordination pour connaître un réel succès. Elles peuvent faire une différence en cas de lutte serrée; or il est difficile d’identifier les circonscriptions où ces luttes auront lieu, puisque les sondages peuvent fluctuer à la dernière minute.

En conclusion, notre analyse démontre que les organisations militant en faveur du vote stratégique n’ont pas eu d’impact significatif sur les résultats de l’élection. Leadnow, en particulier, devrait se doter de meilleurs outils pour identifier les circonscriptions propices au vote stratégique.

Ces organisations ont tout de même eu une influence, dans la mesure où certains partisans du NPD ont voté pour le candidat libéral afin de défaire le candidat conservateur. Or, il se peut que ce changement d’allégeance ait plutôt été motivé par un désir de gouvernement majoritaire et de stabilité politique, sachant que les sondages donnaient le Parti libéral gagnant en fin de campagne.

Bien entendu, ce débat n’aura plus raison d’être si Justin Trudeau remplit sa promesse de modifier le mode de scrutin avant la prochaine élection.

Bryan Breguet est bachelier en économie politique et détient une maîtrise en économie de l’Université de Montréal. En 2010, il a fondé TooCloseToCall.ca, un site où il propose des analyses et projections électorales. Il a notamment collaboré avec le National Post, le Journal de Montréal et L’Actualité.

Tout au long de cette campagne électorale fédérale, il a été l’analyste principal du Huffington Post Canada. Pour ses projections par circonscription, visitez son simulateur interactif.

Cet article initialement publié sur le Huffington Post Canada a été traduit de l’anglais.

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