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Des Autochtones de la côte ouest font l'élevage de saumon... sur la terre ferme

L'élevage de saumon... sur la terre ferme
Radio-Canada

Depuis plus d'un an, un saumon bien spécial a fait sa place dans les épiceries Safeway de l'ouest du pays : Kuterra, un saumon de l'Atlantique qui aura passé sa vie sur la terre ferme. C'est le pari fou qu'a fait une communauté autochtone pour changer les pratiques d'élevage du saumon le long du Pacifique.

Un texte de Francis Plourde pour La semaine verte

En Colombie-Britannique, la présence des fermes d'élevage de saumon dans l'océan divise. Cette industrie, évaluée à un milliard de dollars et employant environ 5000 personnes, est critiquée par plusieurs pour son impact négatif sur l'environnement.

C'est que les fermes d'élevage, en majorité des propriétés de compagnies norvégiennes, élèvent du saumon de l'Atlantique dans des filets dans l'océan Pacifique, où fraient de nombreuses espèces de saumon sauvage, dont les populations sont en déclin.

Bill Cranmer, chef héréditaire des Namgis, un peuple autochtone du nord de l'île de Vancouver est de ceux qui accusent l'industrie d'être responsables du déclin des stocks: « Les maladies propagées par le saumon d'élevage risquent d'anéantir les populations de saumon sauvage », croit-il.

Pendant des années, il s'est battu contre l'industrie et voulait même faire appel aux tribunaux pour s'opposer à l'industrie, avant de se raviser. « Un de nos partenaires avec la Fondation Save our Salmon a suggéré de bâtir une ferme d'élevage en circuit fermé, explique Bill Cranmer. Nous voulions utiliser la technologie pour démontrer qu'il est possible de le faire pour le saumon de l'Atlantique et inciter les éleveurs à sortir leurs fermes d'élevage de l'océan. »

Une installation futuriste

Le projet des Namgis est devenu réalité en avril 2014 après deux ans de tests et de construction. À l'intérieur de cette infrastructure à quelques kilomètres de Port McNeill, sur l'île de Vancouver, on se croirait dans un film de science-fiction.

L'entreprise exploite cinq grands bassins de grossissement dans une installation où la clef de la réussite repose sur un énorme système de filtration. C'est dans ce système, où l'eau souterraine est désinfectée aux rayons ultraviolets, que Kuterra reproduit les conditions dans lesquelles prospère le saumon dans l'océan.

Dans cet environnement tout est contrôlé, l'utilisation d'antibiotiques ou de pesticides est évitée et le risque de contamination de l'océan, éliminé. Pour les Namgis, l'espoir de sauver le saumon sauvage, dont les montaisons sont de plus en plus imprévisibles, réside dans l'élimination du risque de contaminer l'océan.

Des coûts prohibitifs

L'élevage en circuit fermé n'est pas nouveau. Des éleveurs utilisent déjà la technologie pour la truite ou l'esturgeon. Les éleveurs l'utilisent aussi pour l'éclosion du saumon de l'Atlantique.

Ce sont toutefois des cas isolés dans l'industrie. Les coûts de construction de ses bassins fermés sont environ quatre fois plus élevés que ceux des enclos en mer. Cela fait en sorte qu'ils sont généralement utilisés pour des espèces générant d'importants profits, comme l'esturgeon.

Dans le cas du saumon de l'Atlantique, une commodité mondiale, le profit n'est possible qu'en produisant de grandes quantités de saumon. Selon Pêche et Océans Canada, l'élevage en milieu fermé, pour des installations de taille comparable, serait environ 13 fois moins rentable qu'avec des filets dans l'océan. Dans ce contexte, les producteurs sont réticents à faire la transition.

Kuterra s'est toutefois donné comme mission de faciliter cette métamorphose de l'industrie. La communauté Namgis, aidée de partenaires comme Tides Canada, a investi 9 millions de dollars dans son projet. Une ferme d'élevage visant à démontrer que les profits peuvent être au rendez-vous, tout en partageant les connaissances acquises grâce à la technologie.

Économies d'échelle et contrôle des éléments

Le système comporte des avantages souvent négligés, selon la porte-parole de Kuterra Jo Mrozewskis. « En contrôlant tous les aspects de la production, nous avons moins de chance d'avoir des pertes associées à des événements imprévus », dit-elle.

Chez Kuterra, le contrôle de l'environnement a permis d'éviter les pertes associées à l'élevage en mer, notamment les virus et l'infection au pou du saumon. Les saumons d'élevage évitent aussi le stress associé à la survie dans l'océan.

Le directeur général de Kuterra Garry Ullstrom affirme que cela s'est avéré payant : « Les saumons grandissent deux fois plus vite que s'ils étaient dans l'océan, avance-t-il. Résultat : ils ont besoin de 20 à 30 % moins de nourriture. »

Le contrôle des éléments permet aussi d'augmenter la densité de saumon produite pour maximiser l'espace. Elle est environ huit fois plus élevée dans les bassins fermés.

Par contre, l'entreprise doit composer avec un défi supplémentaire : la maturation hâtive. Les saumons cessent leur croissance plus tôt et prennent une teinte verdâtre qui déplaît aux consommateurs.

Saumon bio pour consommateurs responsables

En quelques mois sur les marchés, le saumon Kuterra a rapidement réussi à faire sa place. La Fondation Living Oceans et son programme Sea Choice lui ont accordé la certification Meilleur Choix.

Une distinction accordée en raison des risques moindres pour l'environnement et le fait que ces saumons d'élevage ne peuvent s'échapper ou propager des virus aux populations dans l'océan.

Guy Dean, vice-président à la durabilité chez Albion Fisheries, à Richmond, en Colombie-Britannique, y voit d'autres avantages : « Ces saumons n'ont pas été bourrés d'antibiotiques, ils sont donc bio. Et leur saveur est différente. »

Il a craqué pour ce saumon d'élevage, mais le distributeur vise aussi un marché très précis : des consommateurs prêts à payer davantage pour un produit qui répond à certains critères éthiques.

Une goutte d'eau dans l'océan

Kuterra est la première ferme d'élevage de saumon de l'Atlantique en bassins fermés en sol canadien, mais d'autres misent aussi sur cette technologie. C'est le cas notamment du Conservation Fund's Freshwater Institute, basé en Virginie-Occidentale, et de la ferme Atlantic Sapphire, au Danemark.

La Norvège, considérée comme étant la plus importante productrice de saumon de l'Atlantique dans le monde et propriétaire d'un grand nombre des fermes d'élevage du saumon sur la côte ouest du Canada, propose aussi des incitatifs pour favoriser l'élevage du saumon en milieu fermé.

Kuterra s'attend à ce que ses premiers profits, prévus au printemps prochain, incitent d'autres compagnies locales à adopter l'élevage du saumon de l'Atlantique sur la terre ferme.

D'ici 2016, plus de 15 000 tonnes de saumon de l'Atlantique devraient être élevés dans des bassins en circuit fermé. Une goutte d'eau comparativement aux deux millions de tonnes de saumon déjà produites dans des filets ouverts. Pour les partisans de cette approche, il s'agit malgré tout d'un premier pas vers une transformation de l'industrie.

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