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Quatre protagonistes du référendum de 1995 répondent à quatre questions

Quatre protagonistes du référendum de 1995 répondent à quatre questions

MONTRÉAL — Vingt ans après le référendum de 1995, La Presse Canadienne a invité quatre protagonistes à répondre à quatre questions.

En rétrospective, quelle leçon tirez-vous de cet événement?

Daniel Johnson, ex-premier ministre (libéral) du Québec, chef de l'opposition et chef du camp du Non à l'époque: «Avec le recul, je crois que la question de la séparation était en grande partie une question de générations (...) Lorsque des milliers de francophones sont devenus plus influents et ont investi les coulisses de l'État et se sont retrouvés avec ces nouveaux pouvoirs, ils ont été grisés, avec raison. Ça expliquerait l'intérêt pour la souveraineté ou la séparation dans cette génération particulière qui a vécu dans les années 1960 et 1970. Les générations actuelles, depuis un quart de siècle environ, sont plus ouvertes au reste du monde et n'en voient plus l'intérêt.»

Bernard Landry, ex-premier ministre (péquiste) du Québec, vice-premier ministre en 1995: «On ne pouvait pas prévoir que le gouvernement du Canada, le gouvernement d'un pays démocratique, aurait un comportement aussi abject, aussi illégitime et malhonnête (...) Si le gouvernement du Canada avait respecté nos lois et l'éthique universelle, le Québec serait indépendant. La leçon, à ce moment, est méfions-nous pour l'avenir; on a fait confiance à la démocratie canadienne et elle nous a complètement démantelés.»

Jean Charest, ex-premier ministre (libéral) du Québec, chef du parti conservateur en 1995: «On ne peut et on ne doit jamais tenir pour acquis l'avenir du Canada. Il y aura toujours un mouvement souverainiste au Québec et il y aura toujours des soubresauts; l'idée du Canada et son unité n'est pas une affaire qui est scellée pour toujours.»

Mario Dumont, ex-chef de l'Action démocratique du Québec, qui s'était joint au camp du Oui: «Après l'échec de Meech, avec la popularité de Lucien Bouchard, avec une coalition de trois partis pour le Oui... Si, avec tout ça, une majorité dit non, même serré, c'est parce que quelque part, ce n'est pas ce que les Québécois veulent. À un moment donné, il faut que tu entendes ça.»

Avec le recul, que feriez-vous différemment?

Daniel Johnson: «Il n'y a pas eu de débat télévisé. On a insisté à de nombreuses reprises du côté du Non pour avoir des débats télévisés. J'invitais à répétition le chef du Oui (Jacques Parizeau) à débattre de questions économiques, notamment, et c'est M. Bouchard qui, lui, mettait au défi son vis-à-vis à Ottawa — en l'occurrence M. Chrétien — de débattre de toute autre chose avec lui. Je crois qu'on aurait dû insister pour avoir des débats de notre côté.»

Bernard Landry: «On s'arrangerait sur le plan juridique — comme Londres l'a fait avec les Écossais — pour avoir des règles qui seraient respectées par les deux côtés. Au référendum, les forces derrière le Non ont dépensé deux fois plus d'argent que le Oui et le Non officiel réunis. Pour le prochain (référendum), il faudra une entente entre le Québec et le Canada, pour que ces choses-là ne se reproduisent plus.»

Jean Charest: «La campagne fédéraliste du Non manquait d'émotion. Il y a une portion d'âme dans la campagne de 1995 qui était absente: Pourquoi veut-on rester au Canada? Pourquoi le Canada est-il un pays d'avenir pour le Québec? Cet argumentaire était déficient et on s'est fait doubler à la mi-campagne du côté émotif par le camp du Oui, et ça a passé très près de nous coûter l'avenir du Canada.»

Mario Dumont: «Quand M. Parizeau a promis le maintien des emplois de tous les fonctionnaires en Outaouais, je n'étais pas d'accord avec ça. Je pense que ça été une erreur. Cela a rapporté zéro vote au camp du Oui en Outaouais — parce que les gens dont l'emploi est menacé ne prennent pas de risques —, mais à Québec par contre, ça nous a fait perdre beaucoup de votes de fonctionnaires qui craignaient pour leur propre emploi.»

Où se trouve le mouvement souverainiste 20 ans plus tard?

Daniel Johnson: «L'idée de souveraineté, ça ne meurt pas. Quant à savoir à quel moment ça redeviendrait pertinent, je ne vois vraiment pas. Pour moi, c'est une question de génération. La génération actuelle au pouvoir au Québec ou ailleurs au Canada est davantage préoccupée par la manière de travailler ensemble, les partenariats au-delà des frontières. L'atmosphère a changé beaucoup. Ce sont d'autres joueurs qui sont intéressés à autre chose.»

Bernard Landry: «Aujourd'hui, les sondages parlent de 40 pour cent en faveur de la souveraineté. L'idée d'indépendance du Québec est une idée extrêmement puissante et logique, elle est encore là. On n'a pas de campagne, ce n'est pas un sujet d'actualité, mais si ça redevient d'actualité, avec une bonne campagne, je pense qu'enfin le Québec aura sa place non pas au Conseil de la fédération, mais aux Nations unies. Je ne vois pas de véritable déclin.»

Jean Charest: «Le mouvement souverainiste ne disparaîtra jamais; il sera toujours dans le paysage politique au Québec. Mais il souffre du fait que le temps passe, que le monde change et que le contexte est très différent de celui de 1995 et de 1980. Pour cette raison, le mouvement souverainiste a perdu ses repères et ne semble pas être capable d'en trouver de nouveaux. C'est malheureux pour les souverainistes: une saute d'humeur ou un simple discours ne remplacent pas un argumentaire de fond pour se séparer du Canada et qui leur manque cruellement.»

Mario Dumont: «De 1995 à aujourd'hui, tous les votes où il y a un parti souverainiste — fédéral ou provincial —, c'est une longue et constante baisse des appuis. C'est difficile de ne pas voir une tendance. Avant, au Québec, il n'y avait que deux camps, le PQ et le PLQ. Par alternance, le PQ était toujours sûr de revenir au pouvoir et la souveraineté était toujours un enjeu. Ce n'est plus vrai; la polarisation n'est plus là. Au fédéral, des souverainistes ont voté NPD ou libéral, au provincial ils ont voté ADQ puis CAQ.»

Avez-vous un souvenir cocasse, inusité ou marquant de 1995?

Daniel Johnson: Les politiciens ont l'habitude en campagne de répéter les mêmes formules dans chaque ville où ils font un discours, au point où les journalistes qui les suivent et qui les ont entendues à répétition en viennent à prendre des paris sur le moment où telle ou telle phrase sera prononcée: «Avant une intervention, à Chicoutimi, mon entourage m'avait dit que votre collègue de La Presse Canadienne à l'époque, Éric Tétrault (aujourd'hui président de Manufacturiers et exportateurs du Québec), avait gagé sur le moment le plus tôt dans le discours pour une phrase précise. En dedans de 12 secondes, j'ai dit la phrase qui venait généralement après 12 minutes! Je ne sais toujours pas aujourd'hui s'il s'est rendu compte que sa victoire avait été arrangée!»

Bernard Landry: La question référendaire, comportant près de 40 mots (38, en fait), avait non seulement été critiquée avec virulence par le camp fédéraliste, mais avait aussi fait l'objet de nombreux et houleux débats au sein même du camp du Oui: «Quand on a décidé de la question, une question qui était assez alambiquée, j'avais dit durant la réunion: on devrait ajouter "s'il vous plaît"... Ça avait bien fait rigoler tous mes collègues du conseil des ministres!»

Jean Charest: Jean Charest avait imagé tous ses discours durant la campagne référendaire en brandissant son passeport, laissant planer la menace d'une perte de citoyenneté canadienne. «Après le référendum, je planifiais un voyage à Londres et j'avais perdu mon passeport... En appelant au bureau des passeports, la personne au bout de la ligne a eu un long silence lorsque je me suis présenté et m'a dit: Êtes-vous LE Jean Charest? J'ai répondu que oui et la dame m'a dit: Êtes-vous sûr que vous n'avez pas laissé votre passeport sur un podium pendant le référendum?»

Mario Dumont: Mario Dumont avait 25 ans quand la campagne référendaire a été déclenchée: il venait de fonder l'ADQ et d'être élu, seul de sa formation, pour la première fois à l'Assemblée nationale. À la mi-campagne, on lui avait confié l'autobus du Oui: «Je m'étais rendu dans l'autobus des journalistes et j'avais dit que je n'en revenais pas de la mentalité de "loser" qui régnait dans le camp du Oui et qu'il fallait que ce soit brassé. T'imagines, le lendemain dans les journaux... Quand j'y repense, j'avais 25 ans, on me confie l'autobus du Oui et tout ce que je trouve à faire, c'est d'aller dire aux journalistes qu'il y a une mentalité de "loser"... Je repense à ça aujourd'hui et j'ai le vertige!»

Mario Dumont, Lucien Bouchard, Jacques Parizeau

Référendum de 1995

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