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Etre LGBT en Asie du Sud-Est : maltraitance, survie et incroyable courage

En Asie du Sud-Est, le calvaire des personnes LGBT

"Personne ne s’intéresse à l’Asie du Sud-Est", affirme la militante LGBT Jean Chong en affichant un sourire forcé, les yeux baissés. "En Occident, ils ont du mal à saisir à quel point nous sommes rétrogrades en matière de droits des LGBT et de droits de l’homme. Ils n’ont pas conscience de la sophistication qu’adopte l’oppression ici."

Jean Chong milite à Singapour, un des quatre pays de la région où l’homosexualité est illégale. La cité-état, qui fait également partie des quatre tigres asiatiques, est peut-être un des pays les plus riches du monde avec ses gratte-ciels imposants et sa population bien formée, mais ses résultats en matière de droits des LGBT sont effarants. La militante, cofondatrice de Sayoni, une organisation de défense des droits des LGBT, affirme que l’île est devenue un "leader" en matière de restriction – et non de protection – des droits des citoyens.

"Singapour est un cas d’école de ce qui arrive quand le développement économique survient sans droits de l’homme" dit-elle. "Et plus inquiétant, de nombreux pays comme la Chine, le Laos et la Russie veulent aujourd’hui copier le modèle singapourien".

Sayoni a enquêté sur des cas de maltraitance et de discrimination visant la communauté LGBT ces dernières années. C’est la première fois qu’un tel projet voit le jour dans ce pays, et Jean Chong affirme qu’elle a été "choquée" par ce qu’ils ont découvert.

"Ça nous a vraiment touchés" dit-elle.

Toute de noir vêtue dans la moiteur de cet après-midi de septembre, Jean Chong est d’un abord franc et décontracté. Ses yeux rieurs pointent derrière des lunettes argentées. Elle parle sur un ton neutre, sans animosité, du travail difficile qui est le sien – faire du lobbying auprès des législateurs et essayer de faire évoluer des esprits réticents. A la fin de notre rencontre dans ce café du centre-ville, elle me prend dans ses bras pour une accolade chaleureuse.

Mais quand on lui demande de raconteur les histoires de personnes qu’elle a pu rencontrer au cours de ce projet, elle se raidit et sa voix tremble.

"Les cas de maltraitance ne sont souvent pas dénoncés, en particulier lorsqu’ils se produisent au sein de la famille", dit-elle. "Il y a des cas de viols soi-disant ‘correctifs’, ou d’enfants qui deviennent SDF après avoir été rejetés par leur entourage. Une fille m’a raconté qu’elle avait été violée par un ami de son frère, mais que lorsqu’elle l’avait dit à ses propres parents, ils lui avaient répondu qu’elle l’avait ‘mérité’ parce qu’elle était lesbienne. Il y a tout plein d’histoires horribles. La violence est devenue la norme."

La militante Jean Chong, ici au micro pendant un événement LGBT en 2011, est en première ligne du combat pour les droits des LGBT.

Jean Chong affirme qu’elle est régulièrement victime de discrimination dans l’espace public.

"J’ai l’air d’un garçon manqué, et ici on surveille beaucoup l’apparence en fonction du sexe" explique-t-elle. "Des personnes m’abordent et me disent que je mériterais de me faire tabasser. La non-conformité gêne les gens."

Ce genre de choses, affirme-t-elle, n’est malheureusement pas propre à Singapour. Le rejet que subit la communauté LGBT est très répandu dans toute l’Asie du Sud-Est (définie, dans le cadre de cet article, comme les 10 Etats membres de l’ASEAN, l’Association des nations d’Asie du Sud-Est). Ces pays diffèrent amplement dans les domaines politique, économique, culturel et historique – du Vietnam communiste au sultanat de Brunei appliquant la charia ou au Myanmar, qui tente de s’ouvrir au monde extérieur après des années d’un régime répressif – mais ils partagent entre eux au moins une caractéristique problématique.

"Lorsqu’on regarde Brunei, Singapour, la Malaysie, le Myanmar, mais aussi le Laos, c’est très rétrograde en matière de droits des LGBT… mais même dans les autres pays, plus ‘progressistes’, il y a des problèmes. Les femmes trop masculines sont tuées dans certaines zones rurales en Thaïlande, les femmes transsexuelles sont prises pour cible aux Philippines", explique Jean Chong.

A l’heure actuelle, l’homosexualité est encore un crime à Brunei, qui applique strictement la charia, et des pays comme Singapour, la Malaysie et le Myanmar persistent à suivre une loi archaïque remontant à l’époque coloniale, qui interdit les relations sexuelles entre personnes de même sexe. Lorsqu’elles sont appliquées, les peines visant les homosexuels dans ces pays peuvent être sévères, et peuvent aller jusqu’à la lapidation, aux coups de fouet ou à l’emprisonnement.

En dehors de la Thaïlande, qui a annoncé ce mois-ci la promulgation d’une loi avant-gardiste pour l’égalité entre les sexes, les pays de l’ASEAN ne disposent actuellement d’aucune législation anti-discrimination qui garantisse l’égalité des citoyens indépendamment de leur orientation ou de leur identité sexuelle. Et la Thaïlande n’a pour l’heure pas de loi protégeant les citoyens du fait de leur orientation sexuelle. Le nouveau texte ne protège que contre les discriminations fondées sur l’apparence sexuelle.

Le mariage gay est illégal dans tous les pays de l’ASEAN, et aucun d’entre eux n’a adopté de reconnaissance légale ou de protection pour les couples de même sexe, même pas d’union civile. Les couples homosexuels de la région n’ont pas le droit d’adopter d’enfant. Et dans de nombreux pays il est difficile voire impossible à des femmes seules d’avoir accès à une fécondation in vitro et à des traitements ou services liés à la fertilité.

Dans le même ordre d’idée, l’accès à des services comme la chirurgie de ré-attribution sexuelle ou la thérapie hormonale pour les transgenres est limité. Changer d’assignation sexuelle est très difficile dans la plupart des pays de l’ASEAN.

Conséquence de ces cadres législatifs et politiques répressifs, les mauvais traitements et la marginalisation dont sont victimes les LGBT sont omniprésents dans la région.

Un soldat américain est actuellement poursuivi pour le meurtre d’une transsexuelle aux Philippines. Il a avoué l’avoir tuée en l’"étouffant" dans un motel, après s’être rendu compte qu’elle avait des organes génitaux masculins. Le leader de l’opposition politique malaysienne Anwar Ibrahim purge une peine de cinq années de prison après avoir été reconnu coupable de sodomie, un acte illégal dans ce pays. Et en août dernier, un député du Myanmar a affirmé que le gouvernement "prenait en permanence des mesures" pour que "les gays" soit arrêtés par la police.

"Dans la vie des LGBT [de l’ASEAN], la discrimination est un fil rouge", affirme au Huffington Post Edmund Settle, Policy Advisor du Programme des Nations Unies pour le Développement, dont le bureau est situé à Bangkok.

Edmund Settle fait partie des coordinateurs d’un projet d’envergure récemment lancé par le PNUD et l’Agence américaine pour le développement international (USAID), qui a examiné la situation des droits des LGBT dans différentes parties de l’Asie. Certains pays du sud-est asiatique comme le Vietnam, la Thaïlande et les Philippines ont été inclus dans le périmètre de l’étude.

Et les résultats sont inquiétants.

Ils montrent que dans tous les pays étudiés, les stigmates sociaux et la discrimination restreignent les chances en matière d’emploi et d’éducation, et limitent l’accès aux soins pour les LGBT. Ou encore que les agressions et d’autres formes de maltraitance et de harcèlement sont très fréquentes.

"Les pays [de l’ASEAN] contraignent aussi fortement l’espace de la société civile. Ce manque d’espace pour l’engagement citoyen limite la possibilité d’organiser, de mobiliser et de militer", affirme Settle. "Tout ceci freine les efforts pour améliorer la situation en matière de droits".

Les activistes de la région font valoir que leurs premières priorités sont de faire pression pour une meilleure visibilité de la communauté LGBT et pour l’adoption de législations nationales anti-discrimination par tous les Etats.

De telles lois sont essentielles ici, affirme Jean Chong, "car jusqu’à présent, dans les pays de l’ASEAN, la promotion et la protection des droits de l’homme sont indigentes".

Jean Chong fait partie des dirigeants de l’ASEAN Sexual Orientation, Gender Identity and Gender Expression Caucus (Conseil pour l’orientation, l’identité et l’expression sexuelles de l’ASEAN), un collectif militant qui exhorte les dirigeants de la région à intégrer leur réseau aux Mécanismes de l’ASEAN sur les droits de l’homme, y compris à la Déclaration des droits de l’homme de l’organisation régionale. Ce conseil rassemble des associations militantes de tous les pays de l’ASEAN, sauf Brunei et le Laos.

"Tant que nous ne protégerons pas les LGBT, certains d’entre nous mourront, d’autres s’orienteront vers l’industrie du sexe parce qu’ils n’ont pas de compétences ni la possibilité d’accéder à de meilleurs emplois, et d’autres encore rentreront dans l’illégalité pour pouvoir survivre."

Les groupes LGBT de la région mettent les bouchées doubles pour arriver à faire adopter ces protections juridiques, d’après Ging Cristobal, militante de la Commission internationale pour les droits de l’homme des gays et lesbiennes basée à Manille, elle aussi membre du Caucus. Nous en avons désespérément besoin, dit-elle.

"Je souligne systématiquement que tant que nous ne protègerons pas les LGBT, certains d’entre nous mourront, d’autres s’orienteront vers l’industrie du sexe parce qu’ils n’ont pas de compétences ni la possibilité d’accéder à de meilleurs emplois, et d’autres encore rentreront dans l’illégalité pour pouvoir survivre", affirme Cristobal.

Les défis que doivent relever les militants sont immenses. L’autoritarisme, la corruption et l’instabilité politique sont des marques de fabrique de toute la région, sans même parler d’un mépris bien ancré pour les droits de l’homme.

Il n’en reste pas moins que, comme dans toutes les luttes pour l’égalité qu’a connues l’histoire du monde, ces activistes sont décidés à faire changer les choses.

"Les militants travaillent avec acharnement dans l’ASEAN", dit au Huffington Post Kyle Knight, chercheur spécialiste des droits des LGBT chez Human Rights Watch. "Ils s’attaquent à ces obstacles immenses, qu’ils soient explicites comme les lois de l’époque coloniale ou implicites dans le cas des discriminations. Ce sont des gens incroyablement courageux."

Cet article, publié à l’origine sur le Huffington Post américain, a été traduit de l’anglais par Mathieu Bouquet.

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