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«Faims»: Insatiable Patrick Senécal (ENTREVUE)

«Faims»: Insatiable Patrick Senécal (ENTREVUE)
Courtoisie

Noirceur, intrigue policière, mosaïque de personnages marginaux ou enracinés dans le quotidien, scènes d'horreur, sombres métaphores et pulsions libérées à l'extrême; c'est un livre s'inscrivant dans la lignée des romans noirs que nous offre Patrick Senécal à nouveau avec Faims, son 17e roman. Rencontre avec un auteur d'horreur qui a faim de tout, surtout de vivre.

Nourrir sa bête intérieure

«Faims, c'est un retour à ma noirceur d'avant Malphas, explique Patrick Senécal. C'est un livre qui n'est pas drôle du tout, mais qui n'est tout de même pas aussi spectaculaire que Le Vide ou Hell.com. Il s'agit de la noirceur et de l'horreur du quotidien. Le titre Faims fait allusion à toutes nos pulsions, à toutes nos faims intérieures et à toutes nos frustrations. C'est un thème que je traite souvent, cette espèce de bête intérieure qui a faim. Cette fois-ci par contre, cela se joue plus au niveau du quotidien, dans une ville ordinaire où se trouvent des gens ordinaires.»

Premier roman senécalien dont l'action est volontairement ancrée dans cette vie de tous les jours, Faims s'attarde sur l'histoire d'une famille rattrapée par le poids du quotidien. Un quotidien particulièrement lourd à porter pour Joël, un policier, père de famille, marié depuis 20 ans.

«C'est la première fois que je fais cela. D'habitude, j'étudie un personnage, comme le père dans Les sept jours du talion. Là, il s'agit d'une famille au complet, de son quotidien et du père qui est malheureux dans tout cela. Un des défis était d'arriver à parler de l'ennui sans être ennuyant.»

Le moyen déniché par l'auteur pour y parvenir? Aller plus loin dans cette idée d'un cirque tentateur qui viendrait semer la pagaille dans la petite ville de Kadpidi.

«Le cirque a été l'image de départ de ce roman. Je pensais à des gens marginaux qui viendraient foutre le bordel dans un endroit tranquille. Je ne voulais pas d' un cirque caricaturé, mais bien d'un ensemble de gens jadis normaux aujourd'hui décalés. Une espèce d'alternative à la vie normale et une métaphore de la marginalité.»

«Le cirque vient pousser les gens à être conscients de leurs faims et à, peut-être, les assouvir, ajoute-t-il. À l'aide de numéros bien spéciaux, ils disent aux gens «Si la bête en vous a faim, nourrissez-la!», ce qui n'est pas nécessairement une solution géniale. Je présente deux extrêmes: les gens qui sont très frustrés et ceux qui assouvissent leurs pulsions jusqu'au bout. Dans les deux cas, il y a des problèmes, ce qui porte à croire que la solution se trouve peut-être entre les deux.»

Les personnages imaginés par Patrick Senécal sont souvent comme cela; des personnages aux pulsions ancrées en eux, qui souvent y répondent quitte à mener à leur perte.

«J'aime la noirceur et le thriller, ajoute-t-il. Je ne suis pas surpris de revenir à quelque chose de noir. Il y a quelques scènes de violence dans Faims évidemment, mais ce n'est pas le cœur du livre. À la base, c'est une enquête policière à laquelle se greffent les thèmes de la famille, du quotidien et de la marginalité.»

Le couple et ce fameux quotidien

À l'aube de la cinquantaine, Patrick Senécal avoue faire face aux mêmes préoccupations que les autres hommes de sa génération.

«Je me pose, moi aussi, des questions sur la façon de déjouer le quotidien et l'ennui. Personne n'est à l'abri de cela. Pour moi, l'une des manières d'y arriver est d'écrire là-dessus. J'écris pour éviter de tomber dans les pièges de mes personnages. Ce fut le cas pour Hell.com, Les sept jours du talion et Contre Dieu. Évidemment, dans Faims, c'est fait de façon plus pessimiste. C'est certain que mes personnages qui ressentent des pulsions vont les assouvir de façon beaucoup plus intense que de simplement sauter la clôture.»

L'auteur l'avoue d'emblée, il n'y a pas de solution miracle dans ce roman qu'il qualifie lui-même de «vraiment déprimant et parfois confrontant». Un roman dont le plus grand risque reste la possibilité que les gens s'imaginent qu'il livre là sa propre histoire.

«Oui, même ma blonde m'a posé la question, dit-il en souriant. Tous les auteurs écrivent sur leurs questionnements, leurs peurs, leurs doutes et leurs états d'âme. Ça va peut-être sembler plus étrange pour les lecteurs cette fois-ci parce que je n'ai pas l'habitude d'écrire sur la vie de tous les jours. C'est un livre écrit par un homme de ma génération qui se pose ce genre de questions. Un roman que je n'aurais pas pu écrire il y a 10 ou 15 ans certes, mais qui n'est pas plus personnel que mes autres romans.»

L'émotion qui prend le dessus

Si Faims marque le retour de Patrick Senécal aux romans noirs, il marque aussi le retour d'un des personnages chouchous du public et de son auteur: Michelle Beaulieu.

«Michelle me fascine et fascine aussi les lecteurs qui m'en parlent souvent. C'est un personnage intéressant à suivre, fascinant à voir évoluer. Elle est passée d'adolescente sans morale dans 5150 rue des Ormes à Reine rouge avide de pouvoir dans le monde d'Aliss. Je me suis dit «Ça ne pourra pas toujours marcher pour elle, cette absence d'empathie pour les autres, ce je-m'en-foutisme et cette soif de pouvoir». Je savais qu'elle allait frapper un mur et j'avais envie de parler de ce mur.»

Infiniment mal dans le monde normal, Michelle Beaulieu se joint ainsi au cirque de Faims, un groupe de marginaux à son image. «C'était l'occasion parfaite de lui faire faire une crise existentielle, explique l'auteur. C'est en écrivant que j'ai trouvé ce qu'était sa faim à elle. Je ne le savais même pas au départ.»

Car l'acte d'écrire vient autant avec ses surprises, qu'avec ses libertés et ses côtés plus techniques.

«Lorsque j'écris une scène d'horreur, je n'en connais pas la chorégraphie au départ. Je me laisse emporter par l'émotion et le niveau émotif où en sont rendus mes personnages. C'est très technique. J'essaie toujours de rendre cela intense, car la violence et le meurtre, c'est intense. Je ne veux pas banaliser ni magnifier la violence. Je veux la montrer dans sa saleté et son intensité, sans la rendre invraisemblable. Je veux que ce soit rapide, explosif, violent, mais pas surréaliste.»

Et que fait le plus peur au plus grand écrivain d'horreur québécois?

«La mort me terrifie, avoue Patrick Senécal sans détour. L'idée que je vais mourir un jour, je ne l'accepte pas du tout. Je ne suis pas athée complètement, je me pose des questions, mais plus je vieillis et plus je me dis que c'est possible qu'il n'y ait rien ensuite. Malgré mon pessimiste, je suis un affamé, un jouisseur, j'aime tout de la vie! Alors l'idée que tout cela s'arrête un jour - pour le néant peut-être - me révolte. C'est peut-être pour cela aussi que j'écris des romans si sombres. Et puis, en mettant le pire de ce que je pense de l'être humain dans mes livres, cela me permet d'exploiter le meilleur de mon quotidien. J'ai envie de rire, d'être de bonne humeur, d'avoir du fun, d'aimer mes enfants et mes amis et de voir le bon côté des choses.»

Faims, le nouveau roman de Patrick Senécal, se trouve en librairie.

Pour tout savoir sur l'écrivain et son univers, c'est ici.

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