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Et si? Les résultats de l'élection sous la loupe de la proportionnelle

Et si? Les résultats de l'élection sous la loupe de la proportionnelle

Avec 184 sièges et 39,5 % des voix, le Parti libéral du Canada formera un gouvernement majoritaire. Juste derrière, les conservateurs, avec 31,9 % des voix et 99 sièges, se retrouveront dans l'opposition. Et si les électeurs avaient voté selon un mode de scrutin proportionnel? Déconstruction en deux temps.

Un texte de Christine Bureau

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Il faut remonter en 1988 pour nommer un gouvernement qui a obtenu à la fois la majorité des voix aux urnes et la majorité des sièges au Parlement. Ce qui est à l'origine de cette situation? Le mode de scrutin uninominal à un tour (SMU) utilisé par le Canada.

Selon les règles du SMU, la majorité absolue n'est pas exigée; le candidat qui a reçu le plus de votes dans sa circonscription l'emporte, tout simplement. C'est ce qui explique qu'en 2004, seulement 134 des 308 députés élus avaient obtenu plus de 50 % des voix de leur circonscription.

C'est ce qui explique aussi l'écart parfois considérable entre le pourcentage de votes qu'un parti reçoit et le nombre de sièges qu'il recueille, ce qu'on appelle la distorsion.

Pour les partisans du SMU, toutefois, la distorsion électorale est un moindre mal. Ils préfèrent un gouvernement stable et fort à un gouvernement de coalition, sans compter qu'il s'agit d'un système simple, qui lie un député à sa circonscription et amplifie l'imputabilité d'un gouvernement à son électorat.

Mais le SMU a aussi ses détracteurs, qui souhaitent que le nombre de voix recueillies par les partis soit reflété de façon plus juste à la Chambre des communes. Ces derniers prônent la mise en place d'un mode de scrutin proportionnel, sous une forme ou sous une autre, soulignant qu'ainsi, chaque vote compte.

Ils rejettent du même coup l'argument voulant qu'un tel mode de scrutin mène à plus d'instabilité. En Allemagne et dans les pays scandinaves, qui utilisent la proportionnelle, les gouvernements de coalition durent en général quatre ans.

Qui est pour, qui est contre?

POUR : Nouveau Parti démocratique, Bloc québécois, Parti vert

CONTRE : Parti conservateur

NI POUR NI CONTRE : Une fois au pouvoir, Le Parti libéral du Canada a dit vouloir confier à un comité parlementaire multipartite l'évaluation des différents modes électoraux : vote préférentiel, représentation proportionnelle, vote obligatoire et scrutin en ligne.

ET SI LE CANADA AVAIT...

Il y a autant de pays qui ont adopté un système proportionnel qu'il y a de particularités et de dérivés de ce mode de scrutin. Voici, en détail, le fonctionnement de ceux choisis par Radio-Canada pour mettre en perspective le système canadien.

A. Un mode de scrutin proportionnel intégral?

En Israël comme aux Pays-Bas, le pays en entier forme une seule circonscription. La part des sièges obtenus par les partis au Parlement devient ainsi une représentation fidèle du pourcentage du vote recueilli aux urnes par chacun d'entre eux.

Si le Canada avait un mode de scrutin proportionnel intégral, le Parti libéral aurait obtenu 50 sièges de moins, tandis que le NPD, le Parti conservateur et le Bloc québécois auraient fait des gains. Le Parti vert aurait pu avoir 11 députés de plus grâce au 3,4 % de votes qu'il a gagnés.

Avec d'autres systèmes, comme en Allemagne, où le seuil électoral est de 5 %, le Parti vert aurait toutefois été complètement écarté du Parlement et n'aurait obtenu aucun siège.

Il y a peu de chances que ce soit ce mode de scrutin qui serait mis en place étant donné la grandeur et les particularités régionales du territoire canadien.

B. Un mode de scrutin mixte compensatoire?

Hybride entre le SMU et le proportionnel, ce mode de scrutin est l'un des plus souvent cités en exemple, puisqu'il permet aux régions d'élire un représentant tout en réduisant les risques de distorsion électorale. L'Allemagne utilise notamment ce mode mixte. L'électeur dispose alors de deux voix :

  • l'une pour élire directement le candidat de sa circonscription;
  • l'autre qu'il accorde au parti de son choix.

Ce deuxième vote sert à combler les sièges dits « compensatoires ». Ils sont calculés en fonction du pourcentage de voix récoltées à l'échelle nationale, auquel on soustrait le nombre de circonscriptions réellement remportées.

Si le Canada avait un mode de scrutin mixte compensatoire, le Parti libéral aurait perdu 20 sièges le 19 octobre, essentiellement répartis entre le NPD et le Bloc québécois. Il s'agit d'ailleurs du modèle prôné par le NPD.

5 QUESTIONS POUR COMPRENDRE

Bien qu'on lui prête de nombreuses vertus, le mode de scrutin proportionnel apporte aussi son lot de questions. Le professeur en sciences politiques de l'Université Laval, Louis Massicotte, et la professeure à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa, Manon Tremblay, répondent à cinq d'entre elles.

1. À quand un mode de scrutin proportionnel au Canada?

L. M. Une réforme électorale? Le Pr Louis Massicotte n'y croit plus. Selon lui, les députés sont trop attachés au système actuel. « Ce qu'ils veulent, c'est gagner la médaille d'or et obtenir une majorité au Parlement. Ça, c'est ce qu'on appelle gagner des élections. Ils ne visent pas la médaille d'argent, qui consisterait à être le pus gros partenaire, mais dans une coalition. Et ils ne visent pas non plus la médaille de bronze, qui consisterait à être le joueur junior. »

M. T. La Pr Manon Tremblay doute également qu'une telle éventualité se réalise. « Il y a comme une allergie, au Canada, notamment au sein de la classe politique [qui fait qu'] on préfère être dans l'opposition plutôt que de partager le pouvoir. » Et il y a toujours cette « pensée magique » chez les partis voulant qu'à cause de l'alternance politique, le pouvoir leur reviendra bien un jour ou l'autre entre les mains.

2. Les femmes et minorités seraient-elles mieux représentées au Parlement?

M. T. Dans son livre 100 questions sur les femmes et la politique, la politologue a mesuré la présence des femmes au sein des 89 États recensés par Freedom House. Chez les 31 Parlements constitués par un scrutin majoritaire et pluralitaire, la moyenne de représentation des femmes est de 12,7 %. Dès qu'il y a une composante proportionnelle, cependant, ce taux double. « Alors oui, ça aurait sans doute un impact important, mais il n'y a pas seulement le mode de scrutin. [...] L'élément fondamental, c'est la volonté politique, bien plus que le mode de scrutin. »

L.M. Ce sont les listes présentées par les partis lors d'une élection proportionnelle, par exemple pour les sièges compensatoires, qui permettent cette meilleure représentation des femmes et des minorités visibles. « Quand vous présentez une équipe plutôt qu'un candidat unique, c'est plus facile d'inclure une femme. »

3. Quel effet aurait-il sur la participation électorale?

L.M. « Une chose qu'on a constatée, quand on regarde les taux de participation, c'est qu'ils sont plus élevés quand le système est proportionnel que quand le système est majoritaire. » Dans une étude qu'il a coécrite et publiée pour Élections Canada en 2003, ce taux serait de 5 à 6 % plus élevé. Mais attention! Même si le taux de participation est généralement plus élevé dans ces pays, il continue de ralentir partout en Occident, peu importe le système.

M. T. Une augmentation est probable pour la raison suivante : avec le système actuel, il y a des circonscriptions qui sont gagnées ou perdues d'avance. Le mode proportionnel pourrait cependant inciter certaines personnes réfractaires à aller voter parce qu'elles considèrent que les dés sont pipés. « Peut-être qu'avec un nouveau jeu électoral, elles iraient voter. »

4. Pourrait-on espérer moins de cynisme chez les Canadiens, sachant qu'il n'y aurait plus de votes « perdus »?

M. T. Il y a plus d'un facteur qui contribue au cynisme de la population, le plus important étant probablement « l'absence d'impunité des politiciens ». Un mode de scrutin proportionnel pourrait à tout le moins réussir à adoucir les joutes partisanes. « Le "problème" avec la proportionnelle, c'est que ça oblige le parti qui est au pouvoir à parler à ses adversaires plutôt que [laisser] la classe politique s'invectiver de part et d'autre. »

L.M. Le cynisme est répandu, peu importe le système électoral. « La proportionnelle, il ne faut pas non plus se leurrer : ce n'est pas jardin de roses. [...] Une fois au pouvoir, vous êtes obligés de faire un compromis avec les autres. Ce n'est pas tout le monde qui va être satisfait des compromis qui vont être faits. »

5. Le mode de scrutin est-il néanmoins un enjeu important aux yeux des Canadiens?

M.T. « J'ose croire que si cet intérêt est stimulé, oui, il y aura un intérêt pour cette question du mode scrutin et de la représentation. » Elle rappelle qu'en Colombie-Britannique, une assemblée non partisane composée de citoyens avait même remis en 2004 un rapport qui recommandait l'adoption du mode de scrutin à vote unique transférable (VUT). La question a fait l'objet de deux référendums ayant abouti au statu quo. « On s'est rendu compte qu'en Colombie-Britannique, ça avait généré un certain engouement. »

L.M. La plupart des Canadiens sont indifférents à l'enjeu du mode de scrutin, selon Louis Massicotte. « C'est compliqué et il n'y a pas grand-monde qui a envie de fouiller là-dedans. Les seuls qui sont réellement allumés sur ces questions-là, ce sont les petits partis politiques. »

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