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Des ingénieurs diplômés de Polytechnique victimes de vols d'identité

Des diplômés de Polytechnique victimes de vols d'identité
Polytechnique Montréal-Facebook

L'École polytechnique enquête sur le vol d'identité de diplômés pour déterminer s'il y aurait eu vol ou perte d'informations sensibles. Au moins quatre ingénieurs, tous d'anciens boursiers, auraient été victimes de vols d'identité.

Un texte de Julie Marceau

Contacté par Radio-Canada, le Service des communications a d'abord confirmé qu'un comité spécial avait été mis en place pour faire la lumière sur cette affaire et pour s'assurer que les victimes potentielles soient contactées.

« Il y aurait effectivement quatre ou cinq cas de vols d'identité depuis le 23 septembre chez d'anciens étudiants de Polytechnique qui auraient en commun d'avoir reçu une bourse pendant leurs études. Tout cela fait présentement l'objet d'une enquête », a indiqué par écrit Annie Touchette, porte-parole de l'École polytechnique.

L'École polytechnique n'a pas voulu nous accorder d'entrevue pour commenter davantage les procédures en place ni le suivi qui sera donné à cette affaire.

20 000 $ sur des cartes de crédit

Une ingénieure civile, Chloé Brier, diplômée et ex-boursière de l'École polytechnique, a été victime d'une fraude d'identité dont le montant s'élève à 20 000 $.

Chloé Brier s'est rendu compte qu'elle était victime d'une escroquerie il y a environ trois semaines, en recevant un appel de Visa Desjardins.

« Ils m'ont demandé si j'étais allée chercher ma nouvelle carte de crédit au comptoir, explique-t-elle. J'ai dit que je n'avais jamais commandé de deuxième carte de crédit! ».

Le lendemain, elle a reçu un appel de BMO Mastercard lui signifiant qu'elle devait rembourser un montant de 7500 $.

« J'ai ensuite appelé Équifax et Transunion, c'est là que j'ai appris qu'une autre carte de la Banque Scotia avait été émise en mon nom...avec 12 500$... et qu'une demande d'autorisation pour une autre carte de crédit avait été faite auprès de la Banque Nationale. »

— Chloé Brier

L'ingénieure de 30 ans n'a pas été contactée par Polytechnique. Elle a appris l'existence de cas similaires chez d'autres diplômés de l'École par l'entremise des réseaux sociaux. Elle a communiqué avec l'institution, mais Polytechnique n'a pu lui confirmer si son cas était lié ou non, précisant toutefois qu'une enquête serait menée.

À la suite de notre reportage, une dizaine d'ingénieurs diplômés de Polytechnique et victimes de fraudes d'identité nous ont contactés pour faire part de leur situation. Plusieurs ont indiqué être surpris de ne pas avoir été avisés avant par l'institution.

Mercredi, Polytechnique a fait parvenir un avis aux diplômés dont voici un extrait :

Utilisation frauduleuse de renseignements personnels

« À la suite de récents événements qui nous ont été rapportés, Polytechnique a des raisons de croire que des renseignements personnels concernant certains étudiants boursiers pourraient être utilisés à des fins frauduleuses. Vous recevez cet avis parce que nos dossiers indiquent que vous avez été récipiendaire d'une bourse de Polytechnique au cours de la période visée.

Une enquête interne est présentement en cours et nous avisons tous les étudiants susceptibles d'être visés par cet incident. Soyez assuré que nous prenons la situation au sérieux. »

Informer devrait être une obligation selon la CAI

Selon la Commission d'accès à l'information du Québec (CAI), « informer rapidement les personnes concernées » par la perte ou le vol de renseignements « est un moyen efficace de limiter ou même de prévenir tout préjudice ».

Dans un mémoire déposé en août devant la Commission des institutions, la Commission d'accès à l'information suggère même que cette « notification » devienne obligatoire au Québec.

« La Commission estime que la procédure de notification aux personnes concernées doit être clairement établie dans la loi ou par règlement » afin que les personnes exposées à un risque d'atteinte à leur vie privée puissent « prendre des mesures pour éviter qu'un préjudice grave, comme un vol d'identité, ne survienne ».

La Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé et la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels obligent par ailleurs les entreprises et les organismes publics à prendre des « mesures de sécurité adéquates » pour protéger les données personnelles.

L'experte en matière de protection des renseignements personnels, Éloïse Gratton, co-chef national du groupe Respect de la vie privée et protection des données au cabinet Borden Ladner Gervais, explique que la sensibilité des renseignements détermine les mesures à prendre.

Selon cette avocate, qui représente surtout des entreprises, « lorsqu'on a un soupçon raisonnable qu'il y a un bris de sécurité ou une brèche (...) il faut faire une enquête pour voir ce qui s'est passé, pour déterminer les mesures à prendre, comme aviser le Commissariat à la protection de vie privée, la Commission d'accès à l'information, la police, et dans certains cas, les individus ».

Qu'est-ce qu'une information sensible?

« Ce sont des renseignements financiers, des numéros uniques, comme numéros d'assurance sociale ou des numéros de carte de crédit, des numéros de permis de conduire ou encore des renseignements sur la santé », explique Me Gratton.

Selon Alexandre Plourde, avocat chez Option consommateurs, pour que la responsabilité civile d'une organisation soit en cause il faut démontrer clairement qu'elle a commis une faute.

« Si on démontre qu'une organisation n'a pas agi avec diligence une fois qu'elle a réalisé que des renseignements personnels ont été détournés, un tribunal pourrait retenir qu'elle a commis une faute », explique-t-il.

Le précieux NAS

Le numéro d'assurance sociale est l'une des informations les plus précieuses et une des plus dommageables si elle se retrouve entre les mains de fraudeurs, selon Alexandre Plourde, avocat chez Option consommateurs.

« C'est le meilleur identifiant, car il est unique à chaque Canadien, c'est un numéro utilisé par les entreprises et établissements à des fins de vérification. »

— Alexandre Plourde, avocat chez Option consommateurs

Fausse identité

Photo : Radio-Canada

Fausse identité

Photo : Radio-Canada

Près d'un demi-million de victimes de fraude d'identité au Canada?

Moins de 5 % des plaintes sur la fraude d'identité sont rapportées, selon le Centre antifraude du Canada (CAFC). Me Alexandre Plourde, avocat chez Option consommateurs, croit que ce pourcentage varie entre 1 et 10 %.

« C'est un phénomène qui est difficile à cerner. Beaucoup de gens victimes de vol d'identité ne le déclarent pas au Centre antifraude (...) donc on a de la difficulté à connaître l'ampleur du phénomène. »

— Alexandre Plourde, avocat chez Option consommateurs

Selon les chiffres du Centre antifraude du Canada, le nombre de victimes de fraude d'identité pourrait donc s'élever à près d'un demi-million actuellement.