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«Le monstre» d'Ingrid Falaise: choisir d'aimer encore, après la violence (ENTREVUE)

Ingrid Falaise: choisir d'aimer encore, après la violence (ENTREVUE)
Librex

Son livre Le monstre n’avait pas été officiellement lancé et n’était pas encore en vente, la semaine dernière, qu’Ingrid Falaise avait déjà reçu des centaines et des centaines de messages sur Facebook, suite à ses passages à Tout le monde en parle, à Salut, Bonjour! et à Dis-moi, à MOI& cie. Son témoignage sur la violence conjugale a, visiblement, été entendu, et a trouvé résonnance chez beaucoup, beaucoup de gens.

«J’ai vécu un tourbillon vraiment intense dans les derniers jours, admet la comédienne de sa voix douce. J’ai même créé un deuxième compte Facebook, pour pouvoir répondre à toutes les demandes. Je n’ai pas le temps de répondre à tout le monde, mais j’essaie de lire tous les messages. C’est surtout ce qui me préoccupe. Je ne m’attendais à rien, mais cette vague est plus grosse que je ne l’aurais cru. Je me sens étourdie, mais remplie d’amour.»

Sa mission

Elle le savait déjà, son équipe l’avait avertie dans la foulée de la sortie de son bouquin, mais Ingrid Falaise en a obtenu la triste confirmation en levant le voile publiquement sur son passé: la violence conjugale est encore un fléau en 2015, et des femmes et des hommes sont à la recherche de repères, ont besoin de dénoncer, de parler.

Malgré la sensibilisation, malgré l’information, qui n’a jamais été aussi omniprésente et accessible, malgré les ressources existantes, il reste encore beaucoup de travail de prévention à faire. Ironie du sort, ses entrevues télévisées ont été diffusées alors que les gestes déplacés de Marcel Aubut défrayaient les manchettes; Ingrid a d’ailleurs mentionné haut et fort appuyer sans réserves les femmes qui ont choisi de briser le silence devant le harcèlement sexuel que leur faisait subir l’ex-avocat. «Je les trouve fortes, extraordinaires, applaudit Ingrid. Il faut être solide pour dénoncer. Personne ne mérite d’être abusé, dans la vie!»

Plus que jamais, Ingrid Falaise se sent investie d’un rôle de porte-parole, d’éveilleuse de consciences. La brutalité dans les rapports amoureux a toujours été, et demeure plus que jamais son grand cheval de bataille. Elle ne prévoit pas mettre sur pied une fondation ou autre mouvement, comme l’a fait son ami Jasmin Roy pour contrer l’intimidation dans les écoles, mais compte s’associer à un organisme déjà en place, en plus de donner des conférences sur le sujet.

Elle a été ahurie d’apprendre que SOS Violence Conjugale reçoit toujours 25 000 appels par année, et espère que son livre contribuera à défaire des préjugés et à outiller les jeunes filles, souvent désarmées la première fois que leur cœur bat pour un garçon.

«C’est ma mission, ça l’a toujours été. J’ai déjà contacté des centres d’hébergement, j’ai voulu m’impliquer, sans le dire à personne. C’est le sujet qui me tient le plus à cœur. Je suis aussi engagée auprès de la Société canadienne du cancer de la Fondation Jasmin Roy, mais ça, c’est ma cause à moi. Si une petite fille tombe sur mon livre et arrive à s’en sortir, je ne l’aurai pas vécu pour rien…»

«Il va par contre falloir que je ne prenne pas tout sur mes épaules, poursuit la jeune trentenaire. Les gens me racontent leur histoire et me demandent conseil, mais je ne suis pas psychologue, ni thérapeute. Je dois aussi me protéger à travers ça car, à chaque fois, ça me fait mal, ça me fait de la peine et je voudrais répondre tout de suite. Mais il y a trop à faire et, à moi seule, je ne peux pas…»

Se reconstruire

Le monstre, c’est donc le récit poignant des deux ans d’enfer qu’Ingrid Falaise a vécus et encaissés en silence, aux âges encore tendres de 18 à 20 ans, sous le joug malsain et total de son amoureux. Un homme qu’elle appelle «M» et dont elle tait l’identité et l’origine exactes parce que, comme l’a-t-elle répété, la violence conjugale n’a pas de nom, pas de sexe, pas de couleur, pas de pays, pas de religion. Elle est partout.

La lettre «M» en évoque par ailleurs beaucoup dans Le monstre: M comme manipulateur, M comme malade, M comme la première lettre du prénom et du nom de famille du goujat qui l’a terrorisée et maltraitée. Et M comme monstre.

Follement éprise de cet être à prime abord charismatique, cultivé et beau parleur («il m’impressionnait parce qu’il était magnifique, séduisant, il ressemblait à James Dean, il était mystérieux, envoûtant, il avait l’art de la langue, l’art du verbe, il avait une assurance, une estime de lui incassable», se souvient-elle encore, comme si c’était hier), Ingrid (rebaptisée Sophie dans l’ouvrage) est entrée peu à peu dans la spirale infernale de la violence verbale, physique et sexuelle.

Le lecteur assiste à sa longue déchéance, au gré des accès de colère, des lubies et des caprices de son bourreau, qui pouvait être aussi beau, dans ses instants de vulnérabilité, que laid, dans ses sautes d’humeur démesurées. Elle a cru à sa romance au point de suivre son soupirant jusqu’en Afrique, où elle a résidé près de sa belle-famille pendant près d’un an, avant de revenir au Québec et de voir ses conditions de vie se détériorer graduellement. Séquestrée, rouée de coups au moindre prétexte, Ingrid/Sophie n’était plus que l’ombre d’elle-même lorsque son calvaire a pris fin.

Le compte rendu de ces événements, qui sont déroulés au début des années 2000, est cru, noir, dur, et fait souvent mal à parcourir. La survivante a véritablement dû toucher le fond du baril et frôler la mort de près pour, finalement, se décider à quitter son Monstre pour de bon. Elle avait auparavant tenté à quelques reprises de fuir, mais l’ascendant de son conjoint sur elle était trop fort, et elle revenait toujours près de lui. Heureusement, ses parents n’ont jamais abandonné espoir de l’extirper des griffes du malotru… mais il leur a fallu embaucher un détective privé pour parvenir à leurs fins.

«Ça fait maintenant 16 ans, expose Ingrid. C’a pris plusieurs années me reconstruire. C’a été long, je suis passée par plein d’étapes. J’ai fait trois choses : j’ai brisé le silence, je suis allée chercher de l’aide, et j’ai choisi d’aimer encore. Ce sont les trois étapes de la reconstruction. Et je suis rendue là : j’ai choisi d’aimer encore et, désormais, je peux partager mon histoire avec d’autres. Avant, ça m’aurait détruite…»

Pour aimer encore, Ingrid Falaise a trouvé un formidable guide en la personne de Cédrik Reinhardt, un touche-à-tout qui œuvre autant en tant qu’auteur-compositeur et mixologue – on l’a notamment vu créer des verres à Par ici l’été, à Radio-Canada - que dans le domaine de la construction. L’amoureuse rend grâce au ciel d’avoir placé Cédrik sur sa route et avance sans hésitation que c’est grâce à lui, à son soutien, qu’elle a pu aller de l’avant en écrivant sa propre histoire.

«C’est un homme qui a une intelligence émotive divine, qui est vraiment capable d’écouter et de comprendre l’être humain, qui ne juge pas, qui ne tasse pas quelqu’un à la première embûche. Cédrik est là, dans ma vie, pour toujours. Il est là pour rester. Il me le dit et me le répète. Moi, quand ça ne va pas, j’ai tendance à fuir. Et lui, il me retient. C’est certain que j’ai des blessures suite à ce que j’ai vécu; j’ai peur d’être abandonnée, d’être humiliée. Dès que je sens le moindrement qu’on veut m’abandonner, je recule ou je me monte une armure. Mais lui la casse à chaque fois. Cédrik m’a supportée, il m’a même écrit une chanson. C’est un homme extraordinaire», décrit Ingrid en hommage à son partenaire.

«Ne jugez pas»

La violence, lorsqu’elle s’invite dans un couple, ne s’installe pas spontanément, sans contexte, sans signes avant-coureurs. En tournant les pages relatant ce sombre épisode de l’existence d’Ingrid Falaise, le lecteur comprend comment celle-ci est devenue dépendante de son M, comment celui-ci a tissé sa toile et embobiné sa victime. Or, certains seront quand même portés à condamner la bienveillance de cette fille au cœur trop grand, qui donne sans cesse une «dernière chance». Ingrid le sait. Mais elle implore les gens de ne pas juger.

«Ça n’arrive pas du jour au lendemain, argue-t-elle. Moi, ça faisait six mois que j’étais isolée, fragilisée. Il m’avait complètement séduite. Les manipulateurs ont l’art de la langue, l’art de te dire exactement ce que tu veux entendre, sans que tu t’en rendes compte. Comme s’il t’avait suivie depuis ta naissance et connaissait par cœur ta personnalité. Il t’élève au détriment des gens que tu aimes. Petit à petit, il t’isole.»

«Puis, les petites crises commencent, pour des riens. Parce qu’un vase n’est pas placé de la bonne façon, parce que tu ne tiens pas ta pointe de pizza comme lui le voudrait. Ça, c’est se faire affaiblir. Comme un arbre à qui on donne des petits coups de scie, et qui finit par tomber. Il te fait sentir que tout est toujours de ta faute. À un moment donné, tu n’as plus d’estime de toi. La violence verbale arrive, tu te fais traiter de pute, de salope. C’est très sournois. Ce qui fait que, quand le coup arrive, tu te dis que tu l’as cherché, que tu l’as poussé à bout, que tu étais trop ci ou pas assez ça. Et, quand tu essaies de quitter, il pleure, te supplie de revenir, il redevient l’homme de qui tu es tombée en amour. Et tu retournes, tu donnes une deuxième chance, car, à tes yeux, c’est l’amour de ta vie. C’est comme le gourou d’une secte, c’est ta drogue, ton héroïne. Mais il ne faut pas donner de deuxième chance. Dès qu’il y a de la violence verbale, il faut fuir.»

Ne se prétendant pas psychologue ou thérapeute, Ingrid Falaise est néanmoins d’avis que personne n’est à l’abri d’un coup de foudre pour un manipulateur. Encore une fois, elle enjoint le public d’essayer de comprendre avant de statuer être au-dessus d’un tel piège.

«Je peux juste parler pour moi, propose-t-elle. Mais je sais que ça arrive beaucoup, chez les femmes de 18 à 30 ans, et de plus en plus jeune. Je pense que tout le monde est à risque. Un manipulateur est habile et sournois. Certains vont rester moins longtemps que d’autres mais, selon les statistiques, on a tous rencontré un manipulateur au moins une fois dans sa vie.»

Le monstre se termine, au bout de 338 pages, sur la libération d’Ingrid/Sophie, et le bilan, en quelques mots, de la femme qu’elle est aujourd’hui, de cette chenille devenue papillon, à qui personne, dorénavant, ne pourra «faire plier l’échine», écrit-elle avec détermination. La nouvelle auteure n’a pas cru bon étendre son récit à «l’après», à ses années de guérison.

«Je ne trouvais pas ça nécessaire, pour l’instant. Je trouvais que j’en avais assez dit. Ce sera peut-être le sujet de mon prochain livre. Mais, l’important, c’est qu’aujourd’hui, je vais bien. Tout de suite après, j’ai obtenu mes rôles dans Elles étaient cinq, Virginie, Mémoires vives, j’ai beaucoup travaillé.»

Elles étaient cinq

Justement, impossible, en lisant Le monstre, de ne pas songer à Elles étaient cinq, long-métrage de Ghyslaine Côté sorti en 2004, dans lequel un groupe d’amies d’adolescence se rappelle le viol et le meurtre d’une des siennes. Dans la peau de la meilleure amie de la disparue, Ingrid Falaise était alors révélée au grand public et, sans qu’on le sache, exorcisait devant la caméra des démons récents.

«Elles étaient cinq n’est pas arrivé dans ma vie pour rien, observe Ingrid. Ce n’est pas pour rien que j’ai eu ce rôle-là. Avec ce film, j’ai été capable d’extérioriser les sentiments de colère qui m’habitaient encore. Mon personnage, Isa, était un volcan tranquille, qui faisait éruption de temps en temps. C’était moi, à ce moment-là. J’avais en moi cette haine qu’on éprouve à l’endroit d’un agresseur.»

Heureusement, aujourd’hui, la haine est partie. Ingrid goûte un bonheur serein et a le regard tourné vers l’avenir. Et elle rêve de s’épanouir encore et encore comme actrice.

«Je veux tout simplement jouer, mais j’aimerais incarner une femme à la fois forte et sensible. La fleuriste, au lancement de mon livre, m’a dit qu’elle avait mis une orchidée dans chacun des bouquets, parce qu’elle trouvait que ça me ressemble, que ça évoque à la fois la force et la sensibilité. J’aimerais jouer une femme qui a des choses à dire, et qui touche l’âme des gens. C’est toujours mon grand souhait, toucher l’âme des gens…», conclut la battante.

Le livre Le monstre, d’Ingrid Falaise, publié aux Éditions Libre Expression, est présentement en vente.

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