Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Groupe État islamique : au cœur de la pensée apocalyptique de Daech

Au cœur de la pensée apocalyptique de Daech
FILE - This file image made from video posted on a militant website Saturday, July 5, 2014, purports to show the leader of the Islamic State group, Abu Bakr al-Baghdadi, delivering a sermon at a mosque in Iraq during his first public appearance. How rooted in Islam is the ideology embraced by the Islamic State group that has inspired so many to fight and die? The group has assumed the mantle of Islam's earliest years, claiming to recreate the conquests and rule of the Prophet Muhammad and his successors. But in reality its ideology is a virulent vision all its own, one that its adherents have plucked from centuries of traditions. (AP Photo/Militant video, File)
ASSOCIATED PRESS
FILE - This file image made from video posted on a militant website Saturday, July 5, 2014, purports to show the leader of the Islamic State group, Abu Bakr al-Baghdadi, delivering a sermon at a mosque in Iraq during his first public appearance. How rooted in Islam is the ideology embraced by the Islamic State group that has inspired so many to fight and die? The group has assumed the mantle of Islam's earliest years, claiming to recreate the conquests and rule of the Prophet Muhammad and his successors. But in reality its ideology is a virulent vision all its own, one that its adherents have plucked from centuries of traditions. (AP Photo/Militant video, File)

ETAT ISLAMIQUE - En quelques années seulement, Daech est passé du stade de groupe activiste irakien, officiellement sous le contrôle d’Al-Qaïda, à celui d’insurrection internationale. L’organisation terroriste, sans doute la plus puissante de la planète, s’empare brutalement de villes importantes et se bat pour établir un califat au Moyen-Orient.

Sa brusque montée en puissance est en partie liée à la conviction qu’elle annonce la fin des temps. Ce ne sont pas là les idées marginales d’une partie du mouvement. Au contraire, comme l’explique l’écrivain Will McCants dans son nouvel ouvrage, The ISIS Apocalypse ("L’Apocalypse Daech"), cette idéologie a un impact direct sur sa manière de fonctionner et de recruter des partisans.

McCants, directeur du projet de la Brookings Institution sur les relations américaines avec le monde islamique, revient sur la manière dont ces idées ont modelé l’expansion de Daech.

Les convictions sur l’apocalypse et la "fin des temps" occupent-elles vraiment une place centrale dans l’idéologie de Daech?

Il existe un certain nombre de prophéties islamiques sur la fin des temps, à la fois chez les Sunnites et les Chiites. A l’ère moderne, les Sunnites ont eu tendance à les minimiser, se considérant au-dessus de ce type de choses, plutôt réservées aux Chiites. Mais tout cela a commencé à changer en 2003, avec l’invasion américaine en Irak.

Ce bouleversement politique et la violence qui s’est en suivie se prêtaient à un mode de pensée apocalyptique, notamment parce que ces prophéties évoquent d’énormes bouleversements et violences en Irak et en Syrie.

Daech et son prédécesseur, Al-Qaïda en Irak, ont vraiment joué la carte de l’apocalypse. Cela leur servait à la fois à appréhender ces bouleversements et à rallier des combattants étrangers à leur cause. Cette stratégie contraste avec celle des chefs d’Al-Qaïda, qui ne prêtaient guère attention à ces prophéties.

Quand Daech est née, en 2006, le juge suprême du groupe à l’époque a déclaré qu’ils avaient la conviction que l’arrivée du sauveur musulman, le Mahdi, était imminente, et qu’il était nécessaire de créer un Etat islamique afin de l’aider à combattre les infidèles.

Parmi les éléments influencés par cette vision de la "fin des temps", vous avez mentionné l’embrigadement. Ces idées ont-elles d’autres incidences sur les comportements du groupe?

Juste après la naissance de Daech, son fondateur, Abou Ayyoub al-Masri, a ordonné à ses lieutenants de se déployer dans tout l’Irak et de se préparer à le conquérir en quelques semaines. Il a dit que le Mahdi arrivait, et qu’ils remporteraient certainement d’incroyables victoires.

Bien entendu, ils se sont pris une déculottée et ont rapidement été obligés de battre en retraite. Mais les premières décisions stratégiques d’al-Masri répondaient à ses prévisions vis-à-vis de l’apocalypse, et je pense qu’un certain nombre de membres de l’organisation a commencé à se sentir mal à l’aise avec cette mission apocalyptique si pressante.

Abou Ayyoub al-Masri a dirigé Daech avant d’être tué en 2010.

Avec le temps, le mouvement s’est écarté de cette mission messianique pressante. À ses débuts, Daech parlait énormément de l’apparition de cette figure du sauveur. Plus tard, elle s’est mise à évoquer l’apparition du califat et sa refondation comme un accomplissement des prophéties.

Cela leur a permis de conserver un sentiment d’expectative vis-à-vis de l’apocalypse, et donc de continuer à attirer des combattants étrangers, mais aussi de se concentrer davantage sur l’objectif à long terme de la construction d’un État, et non pas sur une fin du monde imminente.

Vous décrivez également dans votre livre le rôle qu’a joué l’instabilité syrienne dans le développement de Daech. Le groupe existerait-il tel qu’il est aujourd’hui si la Syrie n’avait pas sombré dans une guerre civile?

Daech aurait continué à représenter une sérieuse menace terroriste en Irak, même s’il n’y avait pas eu la guerre en Syrie. Elle gagnait déjà en puissance, même s’il ne s’agissait pas encore d’une insurrection et qu’elle ne contrôlait aucune zone géographique.

Mais il est clair que sans la guerre civile en Syrie Daech n’aurait jamais été en mesure de faire mainmise sur un tel territoire, et encore moins de fonder un proto-État ou un gouvernement.

Un élément l’a beaucoup aidé: le fait qu’il se concentrait sur la construction d’un État dans l’arrière-pays sunnite, alors que d’autres groupes rebelles travaillaient au renversement du régime de Bachar al-Assad, si bien que le premier objectif du dirigeant syrien était de vaincre les rebelles qui tentaient de l’évincer.

Vous écrivez qu’Assad a concentré 90% de ses frappes aériennes sur d’autres groupes que Daech. Son intérêt stratégique est-il toujours que l’organisation reste bien vivante?

Ce n’est pas son intérêt à long terme. S’il aspire un jour à reconstituer la Syrie, il devra écraser l’organisation terroriste, mais quand il s’agit de classer les menaces qui s’opposent à lui, Daech représente un moins grand danger que les autres groupes rebelles.

Cependant, ses calculs pourraient changer et, en voyant les djihadistes aux portes de Damas, il pourrait décider qu’ils représentent un plus grand danger et augmenter ses frappes contre Daech.

Au jour d’aujourd’hui, Daech a changé de leader trois fois, selon la manière dont on compte. Mais maintenant qu’Abou Bakr al-Baghdadi est fermement installé à la tête de ce soi-disant califat, quelle incidence sa mort aurait-elle sur le groupe?

Nous savons par la presse que les dirigeants de Daech décentralisent une partie de l’autorité militaire à leurs généraux dans les provinces, en prévision de son décès, vu qu’il est l’un des hommes les plus recherchés de la planète. Mais al-Baghdadi a des capacités de bureaucrate et de chef religieux qui n’appartiennent qu’à lui, et qui manqueront cruellement au groupe.

Il ne vient pas seulement de la tribu du prophète. C’est un descendant direct de la famille de Mahomet. Selon certaines prophéties, c’est là une condition nécessaire pour refonder ce califat. Le groupe aura donc du mal à trouver l’équivalent de sa lignée.

C’est aussi un véritable spécialiste de la religion: il a passé un doctorat dans une véritable université d’études coraniques, ce qui est très rare chez les chefs de groupes djihadistes. Son talent pour bâtir des coalitions leur manquera également, car c’est un excellent bureaucrate qui, non content d’avoir survécu au monde politique impitoyable de Daech, y a même prospéré.

Selon vous, qui est le responsable principal de l’expansion de Daech au sein de l’organisation?

Enormément de personnes, à différents niveaux. Abou Moussab Al-Zarqaoui en est le concepteur, et il en a vraiment jeté les bases du point de vue intellectuel. Son successeur, Abou Ayyoub al-Masri, a consolidé et concrétisé tout cela, mais je dirais que le leader actuel de Daech est probablement celui qui a joué le plus grand rôle.

Il a été aidé par de multiples personnes, dont un certain nombre d’anciens membres du parti Baas de Saddam Hussein, qui occupent un rang très élevé au sein de Daech. Du fait de leur expérience, ils ont un rôle clé dans la direction d’un régime répressif.

Y a-t-il quelque chose qui vous a tout particulièrement surpris pendant vos recherches pour ce livre?

Ce livre a été une révélation pour moi, ce qui peut paraître incroyablement égocentrique. En le terminant, j’ai été obligé de me poser des questions très difficiles: la violence peut-elle être une stratégie politique efficace? Une insurrection peut-elle triompher par la violence? Est-il possible de gouverner en faisant preuve de barbarie?

Tout cela allait à l’encontre de nombre de mes propres idées reçues. Je suis convaincu que quand on se lance dans une insurrection, et qu’on aspire à gouverner le peuple pour lequel on se bat, il est nécessaire de bien traiter les populations afin de parvenir à la création d’un État viable.

Mais je dois être honnête. Au vu des succès de Daech, et d’autres insurrections très violentes, force est de constater que certaines se sont soldées par un succès. Un parfait connard peut tout à fait se retrouver à la tête d’un État.

9 AVRIL 2013: CRÉATION DE L'EIIL

Le groupe armé «État islamique» en dix dates

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.